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Culture - Cinéma

Lea Najjar et sa surprenante histoire des pigeons beyrouthins

La jeune réalisatrice libano-allemande repousse avec talent les limites du réalisme. Son film « Kash Kash – Without Feathers We Can’t Live » clôture la huitième édition de la Semaine du film allemand du Goethe-Institut, au Grand Cinemas Galaxy le 29 septembre à 20h.

Lea Najjar et sa surprenante histoire des pigeons beyrouthins

Sur les toits de Beyrouth, les kashash retrouvent liberté et espoir. Photo DR

Lea Najjar est née à Vienne en 1994. Sa mère est allemande, son père libanais. Elle a grandi dans la capitale autrichienne jusqu’à ce que sa famille décide de retourner au Liban. Elle avait quatorze ans. Quelques années plus tard, après une première année à l’AUB (Université américaine de Beyrouth) elle poursuit sa formation en réalisation documentaire à la Filmakademie Baden-Wurttemberg de Ludwigsburg en Allemagne.

C’est son amie Alia Haju – artiste multidisciplinaire (cinéaste, illustratrice, musicienne, photographe et vidéaste) libanaise qui évolue entre Beyrouth et New York – avec qui elle a collaboré sur plusieurs projets depuis (dont Kash Kash), qui lui transmettra son goût pour le septième art en l’emmenant « sortir chasser des histoires ».Et c’est tout naturellement les histoires du pays paternel qu’elle ira pourchasser.

« Le Liban est tellement fou, si riche en histoire, en images remplies de contradictions, s’exclame-t-elle. C’est un endroit très inspirant, déconcertant, parfois même déroutant, que je cherche à comprendre à travers mes films. » Lea Najjar explore le pays, intéressée et curieuse de découvrir ses habitants, leurs perspectives singulières, leurs histoires surprenantes, car pour elle « les (histoires) plus intéressantes sont celles qui existent déjà ». En effet, la jeune réalisatrice ne raconte rien ; ce sont ses rencontres atypiques, inusuelles et si particulières à qui elle donne une voix, qui partagent leurs histoires. Ses réalisations n’ont pas de scénarios, sont sans acteurs ni simulation ; les personnages sont des habitants de Beyrouth, du Liban, des voisins, des témoins, qui viennent servir de preuve, révéler leur vérité, et dévoiler leur intimité et partager leurs secrets.

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« Beaucoup de choses qui se passent dans le monde, si quelqu’un les écrivait et en faisait des films de fiction, les gens diraient : “C’est un peu trop exagéré, ça n’a pas de sens, ce n’est pas réaliste !”, mais en documentaire, il n’y a pas ce problème. » En effet, les films de Lea Najjar ne masquent rien, ils sont purs, objectifs et réalistes. Son œuvre n’est qu’une représentation exacte des réalités humaines et sociales, ni idéalisée ni falsifiée. Le format documentaire donne à la jeune femme l’excuse légitime de son réalisme, malgré la fiction et le surréalisme qui nous apparaissent à l’écran, et viennent s’y confondre. Lea Najjar dresse ainsi un portrait aussi fidèle et authentique que surprenant et créatif du Liban. Réalité et fiction se mélangent, les frontières se brouillent, disparaissent presque parfois. Ses réalisations sont comme des allégories, où chacune de ses œuvres dépeint le Liban sous ses caractéristiques spécifiques.

L’injustice et l’impuissance face au pouvoir de l’argent dans Janette (2014), où Madame Janette, seule femme pêcheur sur la côte de Beyrouth, raconte son histoire sur la transformation de la ville et son amour pour la mer : « La mer est le meilleur ami de l’homme. Elle prend, mais elle ne donne pas. »

L’absurde, le patriotisme et la crise identitaire dans Almania (2016), où des drapeaux allemands pendent fièrement aux fenêtres et aux balcons arméniens et palestiniens qui bordent les coins de Beyrouth, et interroge sur un patriotisme mal placé des minorités arméniennes et palestiniennes qui ont trouvé un point d’ancrage dans un étendard étranger.

La folie dans Ship of Fools qui sortira en 2023, où Alia, rencontre un homme du littoral qui s’entraîne pour devenir Superman pour combattre le mal à Beyrouth.

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Des scénarios assurément originaux, sûrement surprenants, peut-être même à peine pensables, mais des scénarios indubitablement véritables, inspirés de la vraie vie. Est-ce que Lea Najjar et le documentaire n’insinueraient-ils pas que fiction et réalité se ressemblent, que la réalité est fiction autant que la fiction est réalité ?

Portrait de la jeune réalisatrice Lea Najjar, avec qui la frontière entre réel et fictif disparaît. Montage réalisé par Tarek Riman

Beyrouth jalouse de ses pigeons

Son film Kash Kash, présenté en séance unique le jeudi 29 septembre au Grand Cinemas Galaxy à 20h, et dont l’idée originelle était de seulement filmer les joueurs de kash mamam (jeu ancestral où les kashash – nom donné aux joueurs – essaient de capturer les pigeons des autres joueurs dans leur volée) des toits plats de Beyrouth, est devenu une allégorie de la résilience, de la liberté et de l’espoir. Cet opus clôture la huitième édition de la Semaine du film allemand (German Film Week), organisée par le Goethe-Institut.

Au départ, lorsque Lea Najjar et Alia Haju (coautrice) découvrent le kash hamam, elles voient en ce sport un réseau apolitique céleste permettant d’apporter une nouvelle perspective sur le Liban, en partie expliqué par le fait que les joueurs viennent de tous les horizons politiques, religieux et sociaux. Mais l’équipe sera rapidement confrontée aux aléas et à l’indomptabilité de Beyrouth. Le tournage, qui a commencé quelques jours seulement avant la thaoura (les mouvements de protestation qui ont commencé le 17 octobre 2019 au Liban), a été rallongé de plus de trois ans en raison des événements. Trois années durant lesquelles l’équipe devra continuellement repenser l’idée, forcée de surmonter les imprévus exceptionnels que Beyrouth et le Liban ont traversé durant cette période. Autant d’événements historiques que l’équipe décidera finalement d’intégrer au documentaire, vécus à travers les yeux de Radwan, Abu Mustafa, Hassan et Aisha, les quatre amoureux des pigeons beyrouthins, qui participent à la magie et à la poésie de Kash Kash.

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« Nous voulions seulement faire un film sur kash haman, qui ne montre pas les conflits qui ont lieu au sein de la ville, mais lorsque nous avons commencé à tourner, la révolution commençait ! raconte Lea Najjar. Quand la thaoura est arrivée, nous ne voulions pas l’intégrer au film au risque de gâcher l’intemporalité du jeu (qui se joue depuis des centaines d’années). Au début, nous n’avons pas fait le lien, car nous ne comprenions pas ce qui se passait. Nous étions dans les rues, en train de penser que nous ne pouvions pas continuer de filmer les oiseaux (…) certains membres de l’équipe disaient : “Je veux aller manifester !”. Nous pensions que ça n’allait durer que deux ou trois semaines, mais le peuple est resté dans la rue pendant des mois. Nous avons dû arrêter le projet pendant un long moment. (…) Au fur et à mesure que la révolution se poursuivait et s’insérait dans la vie de chacun, nous avons réalisé que nous ne pouvions pas séparer la thaoura du film. (…) Puis tout a commencé à aller de mal en pis avec le coronavirus, l’inflation, la violence pendant les manifestations, puis la double explosion... » Tout a été bousculé, repensé, réadapté. Même le personnage principal originel a dû être changé; Beyrouth, éternelle drama queen, a été prise de jalousie pour les volatiles et a fini par remplacer les pigeons qui étaient censés avoir la vedette : « Nous voulions faire un portrait sur le jeu et nous avons fini par faire un portrait de la ville, à travers le jeu. »

Pour la réalisatrice, « Kash Kash s’est transformé en une véritable thérapie ». Après le 4 août 2020, l’équipe était sur le point d’arrêter, mais lorsqu’ils ont réalisé que les quatre kashash jouaient toujours, le tournage reprend : « Ils ne se sont pas arrêtés de jouer ; et tant qu’ils jouaient, nous devions filmer. Nous étions inspirés par les joueurs qui continuaient de monter sur les toits malgré les événements. Le jeu était devenu plus qu’un jeu, il était devenu un moyen d’évasion. (…) Radwan, quelques jours après l’explosion, malgré le fait que sa maison ait été complètement détruite, continuait de jouer depuis son toit. »

Kash Kash – qui a déjà reçu le Next : Wave Award au prestigieux festival documentaire CPH:DOX à Copenhague et le Prix spécial du jury au Millenium Festival à Bruxelles – montre la force de résilience de Beyrouth et du Liban à travers ces quatre kashash, qui bien que durement éprouvés par les événements continuent de se rassembler, de jouer et de former des communautés malgré le chaos, depuis les toits plats de la ville, qui deviennent leurs exutoires, leurs havres de paix, où ils viennent retrouver espoir et liberté.

Projection le jeudi 29 septembre au Grand Cinemas Galaxy, à 20h.

Programme de la Semaine du film allemand

La Semaine du film allemand, organisée par le Goethe-Institut, se déroule jusqu’au 29 septembre dans divers lieux de Beyrouth et présente huit œuvres récentes de genres variés.

Le coup d’envoi a été donné hier jeudi 22 septembre, sur l’esplanade du musée Sursock, avec Next Door, le premier film de Daniel Brül, l’un des acteurs les plus appréciés d’Allemagne, connu pour ses rôles dans Good Bye Lenin ! et Inglourious Bastards. Au programme également, le film multiprimé de science-fiction I’m Your Man de Maria Schrader, une romance futuriste ludique, profonde et inhabituelle dans son expression des relations entre humains et androïdes, le mardi 27 septembre à 20h au Grand Galaxy. Parmi les films marquants, citons The Last Execution de Franziska Stünkel, l’histoire vraie d’un espion est-allemand, le samedi 24 septembre à 20h au Galaxy et Copilot d’Anne Zohra Berrached avec la participation d’acteurs libanais et du directeur de la photographie libano-allemand Christopher Aoun, un long-métrage inspiré de l’histoire vraie du terroriste du 11 septembre 2001 Ziad Jarrah et de sa petite amie Aysel Şengün, le vendredi 23 septembre à 20h à Galaxy. La salle Montaigne de l’Institut français accueille le film Toubab de Florian Dietrich, le 26 septembre à 20h, et le théâtre Ishbilia à Saïda présente The Peppercorns and the Secret of the Deep Sea de Christian Theede, le vendredi 23 septembre à 19h. Le même film sera projeté le 24 septembre à 19h30, à Action 4 Hope, Bar Élias (Zahlé).

La clôture de la Semaine se fera avec la première régionale de la coproduction libano-allemande Kash Kash de Lea Najjar.

Entrée libre, mais réservation obligatoire sur MetropolisCinema.net

Lea Najjar est née à Vienne en 1994. Sa mère est allemande, son père libanais. Elle a grandi dans la capitale autrichienne jusqu’à ce que sa famille décide de retourner au Liban. Elle avait quatorze ans. Quelques années plus tard, après une première année à l’AUB (Université américaine de Beyrouth) elle poursuit sa formation en réalisation documentaire à la Filmakademie...

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