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Société - Mort d’un détenu syrien

Pourquoi cette paralysie du Comité de prévention de la torture ?

« Le gouvernement n’a pas signé les décrets nécessaires à l’entrée en fonctions de cet organisme », déplore l’un de ses membres.

Pourquoi cette paralysie du Comité de prévention de la torture ?

La torture continue d’être pratiquée par les services de sécurité au Liban, déplorent des activistes. Photo d’illustration Bigstock

Le scandale qui a éclaté vendredi dernier au sujet de la torture à mort, 48 heures plus tôt, d’un détenu syrien auprès du bureau régional de la Sûreté de l’État à Bint-Jbeil (Liban-Sud) a remis sur le tapis l’urgence de mettre un terme à cette pratique dont sont victimes de multiples personnes lors d’interrogatoires préliminaires. Et d’invoquer la dynamisation du Comité national de prévention de la torture, créé en 2019 en vertu de la loi antitorture (2016), conformément à la ratification par le Liban de la Convention internationale contre la torture (2000).

Trois ans après la nomination de ses cinq membres, choisis parmi les noms proposés par les ordres des avocats et des médecins, ainsi que parmi des professeurs d’université et des acteurs de la société civile, le comité ne fonctionne toujours pas. Motif : l’État ne lui a pas alloué de budget à ce jour. « Il s’agit d’un problème politico-financier », affirme à L’Orient-Le Jour Raymond Medlej, un avocat membre de ce comité.

Blocage par l’État

« Un tel scandale aurait pu être évité si l’État ne bloquait pas le fonctionnement de notre organe », lance-t-il. « Le gouvernement n’a pas signé les décrets nécessaires à l’entrée en fonctions du comité », déplore-t-il. « Tant que le décret avalisant le règlement intérieur rédigé par le comité et le décret de rémunération de ses membres ne sont pas signés, notre travail relève du volontariat », note Me Medlej. « Il est insuffisant à répandre largement la culture du respect et du développement des droits de l’homme », explique-t-il. Selon l’avocat, pour que l’action du comité soit efficace, il est nécessaire de mettre en place une logistique. « Il faut nous consacrer un local, comme le prévoit la loi », clame-t-il, indiquant, à ce propos, que « les réunions des membres se tiennent actuellement dans le cabinet d’un médecin, qui le prête à cette fin ». « Notre travail commande le recrutement d’au moins 50 employés pour participer notamment à la rédaction de publications, à la visite des prisons, à l’organisation de forums, aux campagnes de sensibilisation… » ajoute-t-il par ailleurs.

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Raymond Medlej indique que, selon les textes légaux qui l’ont institué, le Comité de prévention contre la torture est un organe totalement indépendant, échappant à toute ingérence politique. « Nul ne peut nous révoquer avant la fin de notre mandat », précise-t-il.

Pour ce qui est des prérogatives, elles sont larges. Le comité peut obtenir du parquet le contenu des enquêtes relatives aux dossiers de tortures. Ses membres peuvent visiter, sans autorisation préalable, les prisons et autres centres de détention, et sont habilités à discuter avec les détenus de leurs conditions de vie. Les informations récoltées peuvent être incluses dans des rapports destinés aux responsables des Nations unies.

Ironie du sort, l’avocat affirme qu’avec ses confrères, il s’est rendu récemment au siège de la Sécurité de l’État pour une réunion avec un officier en charge des questions des droits de l’homme affilié à ce service. « Nous avons discuté de programmes de sensibilisation », précise-t-il.

Réfléchir à deux fois

Le décès du détenu syrien Bachar Abdel Saoud, dû à une crise cardiaque causée par la violence des coups, suivie quelques heures plus tard de la diffusion sur les réseaux sociaux d’images du corps du malheureux recouvert d’entailles et d’ecchymoses, avait aussitôt suscité choc et colère auprès de l’opinion publique et de la société civile. La Sécurité de l’État s’était justifiée en affirmant que le détenu était membre du groupe État islamique. Un responsable de cet organisme avait en outre invoqué « la légitime défense », sous prétexte que Abdel Saoud avait agressé l’agent qui l’interrogeait. Mais le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire Fadi Akiki, qui s’était immédiatement mobilisé en se rendant à Bint Jbeil pour un examen de la dépouille mortelle, avait ordonné après enquête l’arrestation d’un officier et de plusieurs agents du service sécuritaire. Un rapport établi par un médecin légiste, Ghaleb Saleh, chargé d’examiner le corps et dont un extrait a été diffusé par la chaîne al-Jadeed, évoque des blessures dans toutes les parties du corps, notamment « la tête, le front, le cou, le dos, le bas-ventre, les pieds (…) » causées « par des coups de fouet, des objets métalliques (…) ».

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Interrogée par L’Orient-Le Jour, Suzanne Jabbour, présidente de l’association Restart qui se consacre à la réhabilitation des victimes de la violence et de la torture, souhaite que l’annonce fracassante de la torture à mort de Bachar Abdel Saoud serve de leçon aux services en charge de mener les investigations préliminaires. « L’information médiatisée aura vraisemblablement un impact positif sur les agents sécuritaires », suppute-t-elle, estimant que ceux-ci « réfléchiront à deux fois avant de se livrer à des violences ». « Nous allons scruter la manière dont la justice va poursuivre son enquête », ajoute-t-elle, soulignant que « si elle continue avec cette transparence, son verdict constituera un précédent ». « Il faudrait aussi que la reddition de comptes ne se cantonne pas à ce seul cas », poursuit-elle, souhaitant que « les sanctions soient appliquées à tous les responsables de telles cruautés ».

Dans le cadre de son association, l’activiste œuvre à former les agents de sécurité dans le sens d’un changement de leur culture et de leur comportement liés aux pratiques de torture. « De nombreuses études montrent que les procédés violents ne donnent pas de résultat », constate-t-elle, soulignant qu’« ils ont un impact sur la concentration et la mémoire, et peuvent générer de fausses déclarations et informations ». Elle propose de les remplacer par des moyens alternatifs, notamment « des techniques scientifiques ».

Mme Jabbour déplore par ailleurs la non-application des lois, notamment l’article 65 du code pénal qui criminalise la torture et l’article 47 qui permet aux détenus d’être accompagnés d’un avocat pendant leur interrogatoire après leur interpellation. Elle préconise dans ce cadre des interrogatoires audiovisuels qui constitueraient des preuves pour faire assumer d’éventuelles responsabilités.

La torture est une pratique omniprésente dans un État déliquescent réticent à protéger les droits de l’homme. Le Liban avait pourtant participé à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme de 1948...

Le scandale qui a éclaté vendredi dernier au sujet de la torture à mort, 48 heures plus tôt, d’un détenu syrien auprès du bureau régional de la Sûreté de l’État à Bint-Jbeil (Liban-Sud) a remis sur le tapis l’urgence de mettre un terme à cette pratique dont sont victimes de multiples personnes lors d’interrogatoires préliminaires. Et d’invoquer la dynamisation du Comité...

commentaires (2)

"… Pourquoi cette paralysie du Comité de prévention de la torture ? …" - Ils ont peur de se faire arrêter et torturer…

Gros Gnon

12 h 43, le 06 septembre 2022

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Commentaires (2)

  • "… Pourquoi cette paralysie du Comité de prévention de la torture ? …" - Ils ont peur de se faire arrêter et torturer…

    Gros Gnon

    12 h 43, le 06 septembre 2022

  • On a appris la torture des geôliers syriens……ceux qui sèment le vent , récoltent la tempête!!

    Robert Moumdjian

    12 h 22, le 06 septembre 2022

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