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Culture - Théâtre

La parole est aux hommes

Au Monnot, Walid Arakji présente « Ekher cigara  », sa première pièce mise en scène par Lina Abyad et interprétée par l’auteur lui-même, avec Dory el-Samarany et Wissam Saliba. Un trio masculin en retraite pour refaire le monde. Un plaisir rétinien et sensoriel, et un dialogue décapant.

La parole est aux hommes

Le trio de comédiens de « Ekher cigara ». Photo DR

Il a le plus souvent abordé les problèmes des femmes, leurs divorces (Mafrouké), leur célibat, leur sexualité (Le monologue du vagin), leurs tabous (Bass ana bhebbak), le poids de la société (Vénus), leur puissance (Julia Domnia) : le théâtre libanais abonde de sujets féminins, tant et si bien qu’on en a presque oublié les hommes.

Va-t-on du principe que l’homme en général, et oriental en particulier, n’a de soucis que de pourvoir aux besoins de la famille, contenter sa femme et assurer un avenir à ses enfants ?

Mais qu’en est-il de ses états d’âme, de ses fantasmes refoulés, de ses complexes tus durant des années, de sa sexualité brimée, de ses peurs et de ses appréhensions ?

Problème ! Très peu à l’aise pour parler amour et sentiments, l’homme n’aime pas exprimer son ressenti, n’ose pas se dévoiler ou, plutôt, a du mal à le faire. Parce qu’il est pudique ? Qu’il ne se sent pas suffisamment en confiance ? Ou simplement parce qu’il est en déni ?

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Les hommes mettent de côté ce qui les perturbe et finissent par oublier la plupart du temps. Le temps s’écoule, la tempête s’essouffle et la vie continue comme s’il ne s’était rien passé. Ils se souviennent bien qu’il y avait quelque chose, mais rien de grave en principe… Vous avez beau l’encourager, peine perdue, l’homme se recroqueville dans sa carapace. Et plus la pression est importante, plus il se bloque. D’où le décalage avec la femme dans sa manière d’aimer, d’évoquer son ressenti, de verbaliser ce qu’il pense, d’avouer ce qu’il dissimule, de reconnaître ses erreurs, de demander pardon, par crainte de jugement critique.

Ekher cigara (La dernière cigarette), première pièce écrite par Walid Arakji et mise en scène par Lina Abyad au théâtre Monnot*, donne enfin la parole aux hommes.


Complicité masculine, même en milieu aquatique. Photo DR

Première pièce pour une dernière cigarette

Né en 1980 à Londres de mère palestinienne et de père libanais, Walid Arakji a grandi en France où il fait des études commerciales à l’Université d’Évry. Jusqu’à l’âge de 26 ans, c’est un Français d’origine libanaise qui s’accommode parfaitement de son pays d’adoption.

« Le théâtre n’avait pas fait irruption dans ma vie, sauf une petite expérience épuisante mais inoubliable, quand, à l’âge de 10 ans, je suis pris pour un rôle dans une grosse production franco-tunisienne. Ces trois mois en Tunisie à jongler entre mes études et cette responsabilité à parcourir les routes, à me réveiller aux aurores, ont laissé dans ma mémoire un avant-goût délicieux de cet univers fantastique. « J’avais une vie tranquille, un métier (je travaillais dans la gestion d’équipe), des amis, des amours, je ne savais pas grand-chose du Liban à part les moments volés des vacances, et, comme un déclic un jour, je décide que le moment était venu de faire le pas pour tenter de m’y installer. »

C’est en 2006, quatre jours avant la guerre israélienne, qu’il foule la terre libanaise bien déterminé à ne pas être découragé. À Beyrouth, il ouvre en 2009 une académie de football. Mais dans la vie, rien n’arrive par hasard. Sa sœur Nibal Arakji, scénariste, réalisatrice, actrice et fondatrice de la boîte de production Dream Box Productions, l’engage de temps en temps pour figurer dans ses films. « Je prenais beaucoup de plaisir », avoue le scénariste et acteur.

« En 2018, on cherche un profil qui ressemble au mien pour un casting d’une pièce de théâtre. Je me présente et d’emblée, j’annonce la couleur : je n’ai jamais fait de théâtre. Josyane Boulos la productrice semble n’avoir rien entendu. D’abord, elle me tend un script : “Tu es Samir”, dit-elle, ensuite, elle me tend sa main : “Tu es pris !” » C’était L’Inattendu d’Alexandre Najjar, un titre de pièce qui correspond à la situation de ce jeune homme qui n’avait jamais ni accompli de formation théâtrale ni pris de cours, mais qui avoue avoir toujours été attiré par ce monde. Et de confier avec beaucoup de gratitude dans le regard : « Première expérience théâtrale avec pour ma chance Lina Abyad (metteuse en scène) pour qui j’ai une grande admiration. Je tombe amoureux de la scène, de la dynamique, du contact avec le public, de l’esprit de famille des comédiens. En 2019, on récidive l’expérience avec un petit rôle dans Monsieur Béchara, toujours d’Alexandre Najjar, avec Lina Abyad qui, durant les répétitions, alors que j’avais beaucoup d’heures libres, me surprend en train de tapoter sur mon ordinateur : “Tu fais quoi ?” me demande-t-elle. “J’écris un semblant de pièce”, je lui réponds. “Je voudrais lire une fois terminé”, dit-elle alors. Arrive le moment de la lecture et de l’ultime question : “Est-ce qu’on a une idée pour une nouvelle pièce ?” Et elle de me répondre : “Non, tu as ta pièce !” Et voilà comment Ekher cigara est née. »

« Ce qui me tenait à cœur, avoue Walid Arakji, c’était de monter une pièce où je dévoilerai le vrai visage des hommes dans leur intimité. Quand ils sont heureux, les hommes en parlent, et quand ça va mal, ils se taisent. Cette phrase, prononcée un jour devant moi par un psychologue, m’avait interpellé. « C’est propre à l’homme, un peu à cause de l’éducation qu’il a reçu, un peu à cause de la pression sociétale. »

La trame

Voilà donc trois hommes, amis depuis l’école, qui décident de passer un week-end ensemble, quelque part dans la montagne libanaise, loin de leurs épouses et de leurs petites amies. Ils se connaissent par cœur, du moins c’est ce qu’ils pensent. Ils parlent de leurs souvenirs, de leur jeunesse, mais aussi de leur quotidien, de leur vie maritale, de leurs fidélités ou infidélités, de leurs principes, de leurs convictions… Entre désarroi de l’un et arrogance de l’autre, entre agitation, reproches et fous rires, un imprévu va venir faire exploser la dynamique et tomber les masques. Leurs secrets seront mis à nu. Walid Arakji précise : « La première partie de la pièce ne ressemble pas à la seconde. Il y a un véritable décalage entre ce que l’on voit et ce qu’il y a en dessous, à charge pour le spectateur de le déceler. »

Interprété par Wissam Saliba (fils de Ghassan Saliba, le grand chanteur) et Dory el-Samarany, qu’on ne présente plus, ainsi que Walid Arakji lui-même, on a du mal à croire que c’est du simple jeu tellement le naturel, la véracité de leurs propos, la gestuelle en adéquation avec leurs discours et leur franc-parler sont aux rendez-vous.

Walid Arakji finira par avouer qu’il a eu beaucoup de chance de travailler avec Lina Abyad, d’abord parce qu’il admire et son énergie, et son professionnalisme, ensuite parce qu’il avait besoin d’une écoute féminine pour relever ce qui risquait d’être mal interprété ou blessant. Une grande chance aussi de partager la scène avec deux grands acteurs qui ont su répondre à sa demande : faire de cette pièce un moment de grande authenticité. Tant et si bien que l’on ne demande qu’à prolonger cet instant de partage.

(*) « Ekher cigara », du 7 septembre au 2 octobre, au théâtre Monnot, à 20h30. Réservations sur Antoine Ticketing.

Il a le plus souvent abordé les problèmes des femmes, leurs divorces (Mafrouké), leur célibat, leur sexualité (Le monologue du vagin), leurs tabous (Bass ana bhebbak), le poids de la société (Vénus), leur puissance (Julia Domnia) : le théâtre libanais abonde de sujets féminins, tant et si bien qu’on en a presque oublié les hommes. Va-t-on du principe que l’homme en général,...

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