Le président du Parlement Nabih Berry a déclaré mercredi, devant des milliers de partisans du mouvement Amal, à Tyr, au Liban-Sud, qu'il n'entendait pas se soumettre aux menaces du vide, lancées par "ceux qui veulent faire tomber le Liban dans ce cycle". Ces propos interviennent à la veille du délai constitutionnel (1er septembre) pour l'élection d'un successeur au chef de l’État Michel Aoun, et alors qu'un gouvernement de pleins pouvoirs n'a pas encore été formé. Dans un long discours prononcé à l'occasion de la 44e commémoration de la disparition de l'imam Moussa Sadr, fondateur du mouvement Amal, il a appelé les députés à garantir le succès des prochaines échéances constitutionnelles "dans les délais". Il est également revenu sur le litige frontalier avec Israël, mettant en garde contre des négociations qui risquent de "s'éterniser" au vu de l'absence prolongée du médiateur américain, Amos Hochstein, promettant de défendre "avec toutes ses capacités" les ressources offshore du Liban.
Le cycle du vide
S'exprimant dans son discours sur la présidentielle, dont le délai constitutionnel s'est ouvert ce mercredi et s'étendra sur deux mois, jusqu'au 31 octobre, Nabih Berry a dénoncé ceux qui "trafiquent la Constitution afin de servir les ambitions d'un candidat ou d'un autre", en allusion au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, bien que ce dernier n'ait pas encore annoncé officiellement sa candidature. Certains observateurs craignent que, faute d'un gouvernement en exercice, le cabinet de Nagib Mikati étant toujours chargé des affaires courantes et les tractations pour la mise sur pied d'une nouvelle équipe faisant du surplace, le chef de l’État ne refuse de quitter le palais présidentiel à l'expiration de son mandat. La semaine dernière, M. Aoun avait affirmé, selon des propos rapportés par le président de la Ligue maronite, qu'un gouvernement démissionnaire ne pouvait assumer les prérogatives du président.
Le président de la Chambre a adressé une autre pique à M. Bassil en l'accusant implicitement de vouloir "se prendre pour plus intelligent que les autres en proposant de revenir à des pratiques d'avant Taëf", l'accord qui avait mis fin en 1989 à la guerre civile libanaise. Il lui a rappelé que le Liban est "un pays parlementaire" et que c'est "au Parlement d'interpréter la Constitution et de définir le timing de l'élection du président". Le chef du CPL avait proposé un amendement de la Constitution pour que le chef de l’État soit élu au suffrage universel, et non via la Chambre.
"Nous n'avons pas l'intention de nous soumettre aux volontés de certains qui veulent faire tomber le pays dans le cycle du vide", a poursuivi M. Berry dans cette perspective. Il a encore souligné que les députés "portent sur leurs épaules la mission de sauver le Liban", les appelant à garantir le succès des prochaines échéances constitutionnelles "dans les délais". Il a aussi précisé que le mouvement Amal voterait pour un candidat à la magistrature suprême "qui fédère et unit et non qui divise. Une personnalité qui croit dans les constantes nationales".
"Zéro électricité"
"Je le dis en toute honnêteté et transparence, le Liban ne va pas bien", a en outre lancé le chef du législatif. Il a estimé que le pays traverse "la pire période de son histoire", déplorant que certains abordent cette situation "avec la pire mentalité possible, par malveillance et méchanceté".
Commentant les pénuries d'électricité, il s'en est pris frontalement, bien que toujours sans le nommer, au courant aouniste fondé par le chef de l’État, son ennemi juré, et qui contrôle le ministère de l’Énergie depuis 2008 à ce jour : "Existe-t-il un pays au monde où il y a +zéro électricité+, assorti du prétexte +on ne nous a pas laissés faire+ ?" M. Berry reprenait là l'expression régulièrement utilisée par les responsables aounistes pour justifier les pénuries et la non-application de plans successifs pour améliorer l'approvisionnement en courant. "Est-il normal que le Liban soit privé du gaz égyptien et du courant jordanien", promis dans le cadre d'un projet parrainé par Washington, "à cause de l'absence de l'Autorité de régulation" d’Électricité du Liban, s'est-il offusqué, ajoutant que le ministère de l’Énergie est à l'origine de "l'hémorragie d'un tiers des finances de l’État".
Le litige frontalier
"Nous allons défendre notre frontière, nos terres, notre gaz et notre pétrole avec toutes nos capacités", a par ailleurs lancé le président de la Chambre concernant le litige frontalier avec Israël. "Nous sommes prêts pour des négociations indirectes, mais elles ne doivent pas s'éterniser", a-t-il ajouté, déclarant que son parti "considère que chaque mètre carré de gaz et de pétrole ainsi que la frontière maritime sont considérés comme violés et occupés, puisqu'il devrait s'agir de la frontière avec nos frères palestiniens". Il a toutefois affirmé attendre "la réponse du médiateur américain" Amos Hochstein, qui devrait prochainement venir à Beyrouth avec une proposition écrite. Il a reproché à l'émissaire de ne pas être revenu au Liban "depuis un mois", alors qu'il avait précédemment évoqué un délai de deux semaines lors de sa dernière visite, au début du mois d'août.
Mercredi, la Maison Blanche a indiqué que les efforts du médiateur US se poursuivent et "réduisent les écarts" entre les parties, estimant qu'un "compromis durable est possible" et que ce dossier est une "priorité essentielle" de l'administration du président américain Joe Biden. M. Hochstein "n'a pas visité le Liban ni Israël ces dernières semaines, mais il poursuit son solide engagement visant à clôturer les discussions sur la frontière maritime, a déclaré un responsable à la présidence américaine. Nous continuons à réduire les écarts entre les parties et pensons qu'un compromis durable est possible". "Nous accueillons favorablement l'esprit de consultation des deux parties afin de parvenir à une résolution du litige", a ajouté ce responsable s'exprimant sous couvert d'anonymat.
Nabih Berry est le parrain de l'accord-cadre prévoyant la reprise des négociations entre Beyrouth et Tel-Aviv sur la délimitation de leur frontière maritime. Après plusieurs réunions au Liban-Sud à partir d'octobre 2020, ces pourparlers avaient été suspendus en mai 2021 après des demandes maximalistes faites par les négociateurs libanais. Le dossier était resté en suspens jusqu'à une reprise des tensions entre les deux pays à ce sujet, suite à l'arrivée début juillet d'une plateforme gazière au large d'Israël, dans une zone qui pourrait être revendiquée par le Liban. C'est dans ce contexte que le négociateur américain avait repris ses efforts de médiation pour parvenir à un accord. M. Hochstein est censé revenir au Liban début septembre, avec une proposition écrite. Il y a quelques jours, L’Orient-Le Jour avait appris auprès de sources diplomatiques occidentales qui suivent l'affaire que la proposition prévoit d’octroyer au Liban ce qu’il a demandé, notamment en ce qui concerne la ligne 23, et qu’en contrepartie Israël pourra poursuivre ses travaux d’exploitation du champ de Karish dès le mois prochain, sans faire l’objet de menaces et sans que cela ne provoque de tensions. L’État hébreu aurait également renoncé à réclamer une partie du bloc 8 de la zone économique exclusive libanaise.
La disparition de Moussa Sadr
Parmi la foule immense rassemblée à Tyr se trouvaient notamment des partisans du mouvement Amal venus de nombreuses régions du pays, et notamment du Akkar (Liban-Nord), selon notre correspondant Michel Hallak. Dans cette région, un grand panneau représentant l'imam Moussa Sadr et Nabih Berry a été installé au niveau du rond-point de Abdé.
L'imam fondateur du mouvement Amal avait disparu le 31 août 1978, lors d'une visite en Libye, à Tripoli, avec deux proches collaborateurs, le cheikh Mohammad Yaacoub et le journaliste Abbas Badreddine. A ce propos, M. Berry a réaffirmé que le régime libyen est responsable de sa disparition et qu'il n'"a pas quitté la Libye à destination d'un autre pays", contrairement à ce qu'affirme Tripoli, qui souligne que le religieux libano-iranien avait quitté pour l'Italie. Il a appelé le gouvernement à "réaliser ce qu'il a promis" concernant le suivi de cette affaire et la Ligue arabe à "faire pression sur l’État libyen pour que la vérité soit faite".
commentaires (9)
Les jours se suivent et se ressemblent, comme tous ces vendus qui se relayent pour nous annoncer la mort de ce pays dont ils sont les seuls tueurs. Ils nous gavent avec leurs discours fallacieux et une polyphonie qui tourne à la cacophonie bien rodée qui a fini par assommer le peuple.
Sissi zayyat
10 h 56, le 01 septembre 2022