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Société - Statut personnel

Le mariage civil en ligne, nouveau moyen de pression des couples libanais

La question est sur toutes les lèvres : cette union qui s’est déroulée légalement au États-Unis, mais a eu lieu physiquement au Liban, sera-t-elle validée par le ministère de l’Intérieur ?

Le mariage civil en ligne, nouveau moyen de pression des couples libanais

À Dhour Choueir, le 10 juillet, Omar et Najwa sont unis civilement et en ligne par un juge de l’État américain de l’Utah. Photo fournie par le couple

Le 10 juillet dernier, un couple libanais druzo-chiite, Omar Abdel Baki et Najwa Sbeity, se mariait civilement à Dhour Choueir. Les deux époux se trouvaient physiquement au Liban, pays qui interdit le mariage civil, sauf s’il est contracté à l’étranger (sur base de l’arrêté 60 LR de 1936), et dont le statut personnel est régi par les lois des communautés religieuses. Mais leur union a eu lieu en ligne, officialisée par le juge américain Christopher Scuderi depuis l’État américain de l’Utah. Un État qui depuis 2020 et suite à la pandémie de Covid-19 reconnaît les mariages célébrés sur internet, même quand les couples se trouvent dans un autre pays.

Omar et Najwa ne sont pas les premiers Libanais à se marier civilement en ligne. Du moins le pensent-ils, en l’absence de données de la part du ministère de l’Intérieur. Par contre, ils sont les premiers à médiatiser leur démarche. Avec pour objectif de mettre les autorités devant le fait accompli et d’enregistrer officiellement leur union dans les registres d’état civil. « Enregistrer notre mariage civil devrait se faire sans problème, vu que le tribunal chargé de l’officialiser est situé aux États-unis, dans l’État de l’Utah, qui a légalisé les unions en ligne. C’est comme si nous étions à l’étranger », assure le couple à L’Orient-Le Jour.

Briser les codes et libérer les couples

Pour ce faire, l’acte de mariage signé par les deux époux et le juge américain devra transiter par le consulat du Liban aux États-Unis, avant d’être transféré au ministère libanais des Affaires étrangères et enfin au ministère de l’Intérieur. Mais du côté de ce dernier, on refuse pour l’instant de se prononcer sur la question de la recevabilité de la formalité. Des sources de ce ministère promettent toutefois que « la question sera débattue à l’arrivée des documents. Mais pas avant ».

Pour mémoire

Quand le mariage civil devient une arme contre les députés de la contestation

Zoom sur une union qui entend briser les codes et libérer les couples du joug des communautés religieuses, de leurs lois patriarcales, voire machistes, car discriminatoires envers les femmes. Omar et Najwa ont la quarantaine. Tous deux enseignants, lui de maths, elle d’anglais, ils avaient pour seul objectif d’« être ensemble, après un premier mariage chacun de son côté ». Le couple est membre du Parti syrien national social (PSNS), qui aspire notamment à une séparation entre la religion et l’État, à l’adoption d’une loi unifiée sur le statut personnel qui reconnaîtrait le mariage civil et l’égalité des droits et devoirs des deux conjoints.

Le couple était aussi confronté à une réalité bien libanaise. Le passeport de Najwa était arrivé à expiration. Il lui était quasiment impossible de le renouveler dans l’état de crise sans précédent que traverse le pays. « Nous cherchions donc un moyen de nous marier civilement au Liban », raconte la professeure universitaire et coordinatrice d’anglais dans une école privée. Sa carte d’identité traduite et certifiée lui servira de document officiel. Si le couple a aussi contracté un « mariage national », selon la coutume au PSNS, il a vite réalisé qu’une telle entreprise n’avait aucune valeur légale.

« Celui qui veut un État civil, qu’il nous retrouve au mariage civil », invite le slogan sur ce bus itinérant, lancé par la Fondation culturelle Antoun Saadé. Photo fournie par la fondation

Il ne s’agit pas de rayer sa religion

Quant à l’éventualité pour chacun d’entre eux de rayer sa religion du registre d’état civil, comme l’avaient fait en 2012 Khouloud Succariyé et Nidal Darwiche, premier couple à s’être marié civilement au Liban, la question n’était pas sur la table. « Nous avons chacun gardé sa religion. Nous nous sommes même mariés religieusement avant notre union civile auprès d’un cheikh chiite, vu que la religion druze à laquelle j’appartiens rejette le mariage interconfessionnel », raconte Omar. Au préalable, le couple avait prévenu le cheikh de son intention de se marier civilement et d’enregistrer l’union civile auprès des autorités libanaises. « Il nous a unis en connaissance de cause », précise ce professeur de maths.

Au moment où Omar et Najwa conduisaient leurs recherches pour trouver la bonne adresse susceptible de les marier civilement, la Fondation culturelle Antoun Saadé (liée au PSNS) lançait publiquement son initiative d’assister les couples dans leur démarche de se marier civilement en ligne depuis le Liban, tous frais payés. Une initiative conforme à la ligne directrice du parti qui a présenté en 1998 une proposition de loi pour une loi unifiée sur le statut personnel. « Cette proposition de loi qui instaure le mariage civil repose sur l’égalité entre les conjoints, prône la séparation entre le religieux et le politique et la levée des barrières entre les différentes communautés religieuses, explique Dia Hassan, présidente de l’institution culturelle. Malheureusement, elle a été classée sans suite dans les tiroirs du Parlement. »

Pour mémoire

Mariage civil : une question qui déchaîne les passions depuis des décennies au Liban

En lançant son initiative début 2022, la fondation espérait provoquer un effet boule de neige, vu la grande difficulté de la jeunesse libanaise, touchée par la crise économique et financière, d’envisager des noces à l’étranger. Car jusque-là, les initiatives étaient timides, voire isolées. Seuls Omar et Najwa en ont bénéficié pour l’instant. Mais il s’agit d’une lutte de longue haleine. « Nous envisageons à plus long terme de créer un groupe de pression avec toutes les instances qui militent pour le mariage civil au Liban », espère Dia Hassan.

Le débat s’invite une nouvelle fois dans la sphère publique

Omar et Najwa réussiront-ils à enregistrer au Liban leur mariage civil contracté en ligne ? Et ce mariage constituera-t-il une brèche dans les législations communautaires locales si rigides ? D’ores et déjà, le débat s’invite dans la sphère publique. Car les spécialistes du statut personnel ne parlent pas tous d’une même voix. D’aucuns considèrent que sans une loi unifiée sur le statut personnel, toutes les initiatives ne sont que des tentatives illégales de forcer la main à l’État, alors que pour d’autres, l’affaire crée un véritable précédent et promet de démocratiser le mariage civil au Liban, sachant que l’union du couple concerné est considérée comme contractée à l’étranger.

L’avocat et professeur universitaire Ibrahim Alfred Traboulsi, spécialiste du droit de la famille au Liban, constate un blocage juridique sur la question du mariage civil. Il note aussi « l’absurdité » de la législation libanaise qui autorise les unions civiles à la condition qu’elles soient contractées à l’étranger, et porte ainsi atteinte à la souveraineté libanaise. Il considère dans ce cadre que Omar Abdel Baki et Najwa Sbeity « ont commis une infraction pour faire part de leur volonté de ne pas se soumettre aux lois religieuses », à l’instar de la société civile qui « multiplie les pressions, jusqu’à la provocation parfois, pour créer un état de fait ». « Tant qu’il n’y a pas au Liban de loi civile sur le statut personnel qui réglemente toutes les dispositions d’un mariage civil, cette union est considérée comme invalide », martèle-t-il, se demandant si ce mariage sera enregistré au ministère de l’Intérieur. Et comme cette réalité va certainement aller crescendo, Me Traboulsi insiste sur la nécessité « de voter une loi au Parlement autorisant le mariage civil dans ce Liban qui se dit démocratique ». Il regrette par le fait même la propagation de préjugés contre le mariage civil. « Certains disent que le mariage civil est immoral et antireligieux. Or, en instaurant le mariage civil, c’est la liberté de conscience et de choix qui est sauvegardée », assure-t-il.

« Courageuse ! » C’est ainsi que l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud décrit de son côté l’initiative de Omar Abdel Baki et de Najwa Sbeity. « La célébration en ligne de leur mariage civil est un témoignage fort et un message ferme à l’adresse de ceux qui insistent pour que les Libanaises et Libanais sombrent dans la schizophrénie juridique et la médiocrité procédurale », souligne l’avocat et ancien militant de la société civile. Il rappelle en revanche qu’« à la différence des mariages civils notariés contractés au Liban, la célébration physique de ce mariage s’est déroulée au Liban, mais sa célébration légale est dans l’Utah, aux États-Unis, conformément à la loi américaine qui admet ce genre de mariage et le considère comme valable ». « C’est comme si Najwa et Omar s’étaient mariés dans l’Utah », note l’avocat.

Omar Abdel Baki et Najwa Sbeity créeront-ils un précédent au Liban ? Photo fournie par le couple

Tazawaj Online

Dans ce cadre, ce mariage sera-t-il reconnu au Liban ? Ziyad Baroud répond illico par l’affirmative. « Et pour cause, le Liban admet, reconnaît et donne pleine exécution aux mariages civils contractés à l’étranger sous l’empire d’une loi autre que la sienne », explique-t-il. « De plus, ce mariage ne fait pas défaut à la règle précitée, puisqu’il est soumis à une loi civile étrangère. En aucune façon on ne peut donc considérer qu’il a été conclu au Liban, puisque les époux ont choisi la formule en ligne selon la loi de l’Utah », ajoute-t-il. À la condition cependant que les époux obtiennent des autorités compétentes américaines les documents requis pour les soumettre aux services consulaires, les légaliser et les transférer aux services du statut personnel pour exécution.

Dans l’attente, les adeptes du mariage civil s’organisent. Sur Instagram, la plateforme « Tazawaj Online-Lebanon » (« Marie-toi en ligne ») fait la promotion des unions civiles virtuelles de couples libanais réalisées aux États-Unis, annonçant qu’elle apporte une assistance légale à tous ceux qui veulent s’unir virtuellement pour ensuite faire enregistrer leur mariage au Liban.

Le 10 juillet dernier, un couple libanais druzo-chiite, Omar Abdel Baki et Najwa Sbeity, se mariait civilement à Dhour Choueir. Les deux époux se trouvaient physiquement au Liban, pays qui interdit le mariage civil, sauf s’il est contracté à l’étranger (sur base de l’arrêté 60 LR de 1936), et dont le statut personnel est régi par les lois des communautés religieuses. Mais leur...

commentaires (5)

Alf Mabrouk à Najwa et Omar

SFEIR ANNE -MARIE

23 h 55, le 20 juillet 2022

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Commentaires (5)

  • Alf Mabrouk à Najwa et Omar

    SFEIR ANNE -MARIE

    23 h 55, le 20 juillet 2022

  • Je pense qu'il a un problème de for juridique pour un tel mariage, puisque le célébrant détenait son pouvoir dans un pays étranger et le couple s'est uni sur le sol libanais, lieu de leur résidence.

    Céleste

    08 h 33, le 19 juillet 2022

  • Blague et demagogie de bas etage. Les seuls mariages civils vraiment utile seront ceux contractes pleinement au Liban. La loi le permet et les canailles du pouvoir refusent de les enregistrer illegalement. Nul besoin de rechercher la protection de la loi de l'Utah. Il faut faire appliquer les lois civiles Libanaises.

    Michel Trad

    19 h 06, le 18 juillet 2022

  • Quand comprendra t on que le mariage civil n’exclût pas un mariage religieux? Au contraire, le mariage civil permet au mariage religieux de se concentrer sur sa vocation spirituelle. Or c’est cette vocation spirituelle qui nous manque cruellement au Liban, évincée par l’appât du gain, les considérations tribales et sectaires….

    Alexandre Choueiri

    15 h 23, le 18 juillet 2022

  • Bravo et Alf mabrouk

    Robert Moumdjian

    04 h 25, le 18 juillet 2022

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