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Moyen-Orient - Irak

Le cadeau empoisonné de Moqtada Sadr à Téhéran

Si la démission des députés sadristes permet à la République islamique de se débarrasser de son principal rival sur la scène politique irakienne, elle soulève également de nouveaux défis.

Le cadeau empoisonné de Moqtada Sadr à Téhéran

Moqtada Sadr, le 3 juin à Najaf. Photo AFP

À première vue, c’est une aubaine pour Téhéran. Son challenger numéro un sur la scène irakienne, Moqtada Sadr, a sommé le 12 juin dernier ses députés de démissionner du Parlement où ils détenaient pourtant le plus grand nombre de sièges, 73 sur 329. À l’issue du scrutin législatif d’octobre 2021, la liste du puissant clerc chiite était en effet arrivée largement en tête. Galvanisé par la coalition qu’il avait formée avec le KDP kurde et « l’alliance pour la souveraineté » arabe sunnite, Moqtada Sadr pouvait prendre de grands airs : il avait infligé un camouflet aux plus proches alliés de l’Iran dans le pays. L’alliance du Fateh, bras politique de la coalition paramilitaire al-Hachd al-Chaabi (PMF), très liée à la République islamique, était sortie déconfite des urnes. Et Sadr l’avait juré : il romprait, quoi qu’il en coûte, avec la culture du consensus qui domine la vie politique irakienne depuis la chute de l’ancien régime en 2003. Cette fois-ci, l’exécutif serait majoritaire ou ne serait pas. Déterminé, le clerc prévoyait alors d’exclure ses concurrents pro-iraniens membres du Cadre de coordination chiite (CCC) et de les renvoyer dans les rangs de l’opposition.Sauf qu’il n’est pas parvenu à obtenir les deux tiers nécessaires au sein de l’Assemblée pour élire le prochain président irakien, première étape avant la nomination d’un Premier ministre chargé ensuite de former un nouveau gouvernement. Car les alliés de Téhéran ont à cet égard pu bénéficier d’entourloupes sur mesure visant à entraver les desseins de celui qui apparaissait alors comme l’homme fort du pays. En février, la Cour suprême fédérale irakienne a ainsi fourni une interprétation de l’article 70 de la Constitution arguant que le quorum nécessaire pour élire le président n’est atteint qu’« en présence des deux tiers du nombre total » des députés, à la plus grande joie du CCC. La Cour, présidée par Fa’iq Zeidan, jugé proche de la République islamique, avait par ailleurs suspendu la candidature à la présidence de Hoshyar Zebari proposée par le KDP. Dans la même veine, cette même Cour avait aboli une loi qui permettait depuis 2007 au gouvernement régional du Kurdistan de vendre son pétrole et son gaz indépendamment de Bagdad. Pour certains analystes, il s’agissait ainsi de faire pression sur l’alliance Sadr-KDP, à plus forte raison que le premier s’est distingué tout au long de son ascension par une rhétorique officielle antiaméricaine et anti-israélienne tandis que le second est régulièrement soupçonné d’intelligence avec Israël.

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Si l’alliance aujourd’hui n’est plus, les raisons derrière cet effondrement restent floues. La formation kurde aurait-elle eu l’impression de devoir payer le prix fort pour ce partenariat sans réellement en bénéficier ? À partir de mars dernier, une série d’attaques ont directement visé Erbil, la plus spectaculaire ayant eu lieu dans la nuit du 12 au 13. Revendiquée par les gardiens de la révolution, l’action avait été justifiée sous prétexte que la zone abriterait des centres d’espionnage israéliens. Mais d’aucuns soulignaient déjà la possibilité d’un message en forme d’ultimatum à destination de Sadr : « Gare à vous si vous nous écartez du pouvoir. » « L’une des critiques du KDP à l’égard de Sadr est qu’ils avaient l’impression d’être traités comme un partenaire junior au sein de la coalition, et non pas sur une base d’égalité », commente Sardar Aziz, analyste politique et ancien conseiller au sein du Parlement de la région autonome du Kurdistan. Mais « ce retrait est d’abord la conséquence de l’incapacité à former un gouvernement ».

Une nuisance pour l’Iran

Comme souvent avec le clerc chiite aux volte-face légendaires, personne ne sait sur quel pied danser. Ni ses rivaux du CCC ni Téhéran. Sur le papier, celui-ci avait tout à gagner de la dernière manœuvre sadriste. « Sadr était une nuisance pour l’Iran car il a divisé ladite “maison chiite” en tentant de changer le processus politique », résume Massaab el-Aloosy, chercheur spécialisé sur l’Irak, l’Iran et les groupes armés chiites. « Dans l’ensemble, l’Iran a évité son scénario cauchemardesque, la mise à l’écart de ses supplétifs dans un gouvernement majoritaire dirigé par Sadr », abonde de son côté Michael Knights, spécialiste de l’Irak au sein du Washington Institute for Near East Policy. « Maintenant, Téhéran peut faire preuve de générosité et permettre la formation d’un gouvernement d’apparence modérée, tout en l’infiltrant au cours des quatre prochaines années », avance-t-il.Reste que la séquence qui s’ouvre relève d’un casse-tête insoluble pour la République islamique. Elle doit prendre en considération l’imprévisibilité de Sadr, le seul à véritablement pouvoir mobiliser la rue. Au pouvoir ou pas, le trublion aura toujours son mot à dire, d’autant que lui aussi, à l’instar du Fateh, dispose d’une milice lourdement armée. Or rien n’inquiète plus Téhéran que l’éventualité d’un conflit interchiite en Irak, a fortiori à une époque où sa mainmise sur ses supplétifs n’est plus aussi forte. Esmaïl Qaani, le successeur du général Kassem Soleimani – ex-commandant en chef de l’unité d’élite al-Qods au sein des pasdaran assassiné dans un raid américain à Bagdad en janvier 2020–, n’a ni l’aura ni l’autorité de l’ancien cerveau derrière l’expansion régionale iranienne.

Retour de bâton

Le CCC doit en outre tenter de convaincre les ex-alliés kurde et sunnite de Sadr de les rejoindre dans un gouvernement d’union nationale. « L’Iran et ses alliés sont désormais confrontés au même défi que Sadr concernant la formation d’un gouvernement : à savoir dépasser le seuil très élevé d’une majorité des deux tiers des sièges », rappelle Michael Knights. « Les milices soutenues par l’Iran ont conçu la nouvelle règle des deux tiers pour empêcher Sadr de former un gouvernement, mais maintenant, ils vont subir le retour de bâton », avance-t-il.

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Autre enjeu : si les formations qui composent le cadre se sont montrées unies face aux ambitions majoritaires sadristes, les relations entre elles sont en dents de scie et pourraient buter sur la nomination du prochain Premier ministre. Sans compter que « le cadre sera tenu pour responsable, s’il forme un gouvernement, des conditions catastrophiques en Irak », ainsi que le mentionne Massaab el-Aloosy. « Pour le cadre, le retrait sadriste était initialement un cadeau. Mais à présent, il s’agit d’un cadeau empoisonné », résume pour sa part Sardar Aziz. En somme, pas de changement de stratégie à l’horizon pour Téhéran, mais une adaptation à l’inconnu. À moins que l’évolution des pourparlers avec Riyad d’une part et Washington de l’autre ne le conduisent à terme à revoir son approche.

À première vue, c’est une aubaine pour Téhéran. Son challenger numéro un sur la scène irakienne, Moqtada Sadr, a sommé le 12 juin dernier ses députés de démissionner du Parlement où ils détenaient pourtant le plus grand nombre de sièges, 73 sur 329. À l’issue du scrutin législatif d’octobre 2021, la liste du puissant clerc chiite était en effet arrivée largement en tête....

commentaires (2)

SI NOTRE BARBU ETAIT AUSSI PATRIOTE QUE SADR. MAIS HELAS ON REVE ! .

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 43, le 09 juillet 2022

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Commentaires (2)

  • SI NOTRE BARBU ETAIT AUSSI PATRIOTE QUE SADR. MAIS HELAS ON REVE ! .

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 43, le 09 juillet 2022

  • Miracle qu’il est encore en vie ….

    Eleni Caridopoulou

    12 h 44, le 09 juillet 2022

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