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Moyen-Orient - Nucléaire

Entre Téhéran et Washington, la surenchère avant l’impasse finale ?

Selon l’AIEA, l’Iran envisage de retirer les caméras de surveillance de ses principaux sites, mettant en péril l’accord visant à limiter ses ambitions en échange d’une levée des sanctions.

Entre Téhéran et Washington, la surenchère avant l’impasse finale ?

Des photographes et des caméramen de télévision observant le fonctionnement d’une caméra de surveillance utilisée en Iran, lors d’une conférence de presse de Rafael Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, au siège de l’agence à Vienne, le 9 juin 2022. Joe Klamar/AFP

Il y a quelques mois, il était à portée de main. Aujourd’hui, il est au bord de la faillite. Les négociations indirectes entre Washington et Téhéran pour la réactivation de l’accord sur le nucléaire traversent une zone de turbulences que d’aucuns jugent d’ores et déjà fatale. Le tout dans un contexte mondial marqué par l’invasion russe de l’Ukraine, et ses répercussions humaines, géopolitiques et économiques. Dernier épisode : la République islamique a annoncé mercredi avoir déconnecté certaines des caméras de surveillance de ses sites, sans en préciser le nombre, juste avant le vote, au Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), d’une résolution la rappelant à l’ordre pour son manque de coopération alors que les pourparlers sont au point mort depuis mars.

Dans le collimateur du texte voté par 30 des 35 membres, l’absence de réponses iraniennes « techniquement crédibles » concernant des traces d’uranium enrichi retrouvées sur trois sites qui n’avaient pourtant pas été déclarés comme ayant abrité des activités nucléaires. Il s’agit du premier blâme de la sorte depuis juin 2020. Seules la Russie et la Chine s’y sont opposées quand trois pays se sont abstenus, à savoir l’Inde, le Pakistan et la Libye. Au cours des débats ayant précédé le vote, Paris, Londres et Berlin – pays médiateurs entre Téhéran et Washington – ont fustigé « un programme nucléaire avancé comme jamais auparavant » et des activités « sans justification civile crédible ». Bien que les autorités iraniennes démentent toute visée militaire, l’AIEA estime que le pays est en passe d’accumuler suffisamment d’uranium enrichi à 60 % pour la fabrication d’une bombe. Mercredi, l’agence a souligné l’intention de Téhéran d’étendre ses capacités d’enrichissement sur le site de Natanz.

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Depuis, Téhéran accuse le coup, Washington se lamente et Tel-Aviv fanfaronne. « L’Iran n’a pas d’activités nucléaires cachées ni de sites non signalés », a déclaré Mohammad Eslami, chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA). À travers cette résolution, les Occidentaux cherchent, selon lui, avant tout à « maintenir une pression maximale ». De son côté, la diplomatie américaine a qualifié dans la même journée l’arrêt des caméras d’acte « extrêmement regrettable » et « contre-productif ». Quant au Premier ministre israélien Naftali Bennett, il s’est félicité d’une « décision majeure qui expose le véritable visage de l’Iran ».

Les pasdaran

Depuis sa prise de fonctions en janvier 2021, l’administration Biden mène une course contre la montre pour réactiver le deal conclu avec l’Iran en 2015 sous le mandat de Barack Obama. Celui-ci permettait de restreindre sévèrement les activités nucléaires de la République islamique en échange d’un allégement des sanctions économiques. Mais en 2018, le président Donald Trump s’en était retiré de manière unilatérale, entraînant la mise en œuvre d’une pression maximale sur l’Iran qui, en réaction, s’est défait d’une large partie de ses engagements. Joe Biden a fait de la reprise des négociations l’une de ses priorités en matière de politique étrangère, mais savait d’avance qu’il se heurterait à l’opposition ferme d’Israël – son plus proche allié – à ces discussions, et le souhait de ce dernier ainsi que de Riyad de prendre en compte d’autres dossiers, tels que le programme balistique de Téhéran ou encore ses activités régionales via ses supplétifs en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen. Deux lignes rouges pour le principal intéressé. Si elle semblait imminente en mars dernier, la perspective d’un accord s’est depuis éloignée, la République islamique et les États-Unis butant sur un point : le refus par Washington – après l’avoir envisagé – de retirer les gardiens de la révolution de la liste noire américaine des « organisations terroristes », une sanction imposée par Donald Trump. La Maison-Blanche juge officiellement que la question n’est ainsi pas directement liée au nucléaire.

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Selon les propos tenus jeudi par le chef de l’AIEA Rafael Grossi, Téhéran a déjà amorcé le retrait de 27 caméras de ses sites. Une mesure qui « pose naturellement un sérieux défi à notre capacité à continuer à travailler là-bas », a-t-il estimé au cours d’une conférence de presse à Vienne, précisant cependant que l’organisation onusienne pouvait toujours poursuivre ses inspections et disposait encore de 40 caméras sur place. Si, jusque-là, l’Iran avait tenté d’éviter la confrontation avec l’AIEA, le président iranien Ebrahim Raïssi a tenu cette fois à taper du poing sur la table. « Nous ne reculerons pas », a-t-il insisté jeudi. « Le seul résultat d’une telle voie sera une aggravation de la crise nucléaire, et un nouvel isolement économique et politique de l’Iran », a souligné pour sa part le chef de la diplomatie US Antony Blinken.

Cercle vicieux

Pour l’heure, la résolution votée mercredi est d’abord symbolique. Mais elle pourrait à terme être portée au Conseil de sécurité de l’ONU. Malgré les veto de Moscou et de Pékin, Téhéran se retrouverait confronté à une pression multilatérale très forte. « Cela pourrait tuer l’accord sur le nucléaire une bonne fois pour toutes », avançait à L’Orient-Le Jour, il y a près de deux semaines, la spécialiste de l’Iran Sanam Vakil.

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Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi Washington et Téhéran – qui avaient tous deux plus à gagner qu’à perdre en s’engageant sur la voie des négociations – se retrouvent-ils dans cette situation qui paraît inextricable ? Selon une analyse détaillée sur Twitter par le fondateur du think tank Bourse and Bazaar Esfandyar Batmanghelidj, la Maison-Blanche n’a jamais, du point de vue de Téhéran, réellement joué la carte de la désescalade depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. L’expert estime qu’une telle approche a renforcé l’idée en Iran que l’escalade avec les États-Unis est nécessaire, puisque Washington poursuit la pression maximale. Un cercle vicieux propice à toutes les surenchères. Côté américain, le maintien de mesures punitives étranglant l’économie iranienne, couplé à un soutien tacite à l’État hébreu dans le cadre de sa confrontation avec Téhéran, dont la dernière manifestation a été l’assassinat en pleine capitale iranienne d’un membre des pasdaran le 22 mai dernier. Côté iranien, l’extension du programme nucléaire et les prises d’otages. « Le texte de l’accord est littéralement prêt, mais son existence ne semble pas avoir d’importance, observe Esfandyar Batmanghelidj. Malgré la clarté technique, aucune des parties n’est disposée à s’écarter de l’attitude politique qui a gouverné ces pourparlers depuis le début. Les États-Unis veulent que l’Iran cesse l’escalade, l’Iran veut que les États-Unis commencent à désamorcer. »

Il y a quelques mois, il était à portée de main. Aujourd’hui, il est au bord de la faillite. Les négociations indirectes entre Washington et Téhéran pour la réactivation de l’accord sur le nucléaire traversent une zone de turbulences que d’aucuns jugent d’ores et déjà fatale. Le tout dans un contexte mondial marqué par l’invasion russe de l’Ukraine, et ses répercussions...

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