Le pire a été évité. La position du Liban officiel, qui a condamné l’envoi par le Hezbollah de trois drones vers le champ frontalier de Karish, a provoqué la colère du parti chiite, qui a blâmé Nagib Mikati pour sa position « taillée sur mesure pour complaire aux Américains ». Un contentieux qui risquait de torpiller les efforts de médiation menés par le parti de Hassan Nasrallah entre le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné pour la formation d’un gouvernement. La perspective aurait affaibli la position de M. Mikati, d’autant plus que le tandem chiite Amal-Hezbollah est le seul groupe parlementaire substantiel à avoir soutenu sa reconduction au Sérail. Selon des informations obtenues par L’Orient-Le Jour, c’est le député Amal Ali Hassan Khalil, bras droit du président de la Chambre Nabih Berry, qui a été chargé d’œuvrer pour une désescalade. M. Khalil a alors mené des contacts intensifs mercredi soir entre la banlieue sud et le Sérail, et semble avoir réussi.
« Karish est désormais derrière nous », confirme ainsi à notre journal une source bien informée. « Le Hezbollah est sûrement déçu de la position de M. Mikati, mais cela n’aura pas d’impact sur la formation du gouvernement, car le parti reste attaché à la formation de la prochaine équipe ministérielle dans les délais les plus brefs », affirme Kassem Kassir, un analyste évoluant dans l’orbite de la formation pro-iranienne. À deux mois de l’élection d’un nouveau président de la République, le gouvernement pourrait jouer un rôle central en cas de vacance présidentielle, la Constitution attribuant alors au Conseil des ministres réuni les prérogatives du chef de l’État. Même son de cloche du côté des principaux concernés, tant les proches du Sérail que les aounistes, qui affirment que la question des drones sur Karish est « complètement dissociée » de la formation du gouvernement Mikati IV. « Le Hezbollah nous a dit qu’il n’était pas engagé dans une politique de blocage et ne compte pas mettre des bâtons dans les roues de Nagib Mikati », reconnaît Rindala Jabbour, porte-parole du Courant patriotique libre. « Personne n’a intérêt à retarder la formation du cabinet », ajoute un fidèle du Premier ministre désigné.
Qu’est-ce qui bloque ?
Cela ne signifie pas cependant que la mise en place du prochain cabinet est imminente. En effet, les principaux points de discorde restent les mêmes. D’abord, le Courant patriotique libre et le Premier ministre n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la nature du gouvernement. « Nous sommes convaincus qu’il faut attribuer une couverture politique à la prochaine mouture ministérielle », affirme Rindala Jabbour. À la suite des élections de mai, Gebran Bassil avait dit « bye-bye aux gouvernements de technocrates », réaffirmant son attachement au retour des cabinets politiques, trois ans après la contestation populaire du 17 octobre qui avait imposé la formation d’une équipe ministérielle de technocrates. « Nous proposons que le prochain gouvernement inclue six ministres d’État sans portefeuille représentant les six partis principaux », précise la porte-parole du CPL, reprenant une des trois propositions de solution que Michel Aoun avait posées sur la table face au Premier ministre désigné.
La deuxième option consiste à changer quelques noms au gouvernement démissionnaire actuel, mais en tenant compte des équilibres et non comme l’a proposé M. Mikati dans sa première combinaison. La troisième issue acceptable par Baabda est le renflouement de l’équipe actuelle dans laquelle le camp aouniste (le CPL et le chef de l’État) détient six portefeuilles. Si l’option de l’élargissement était prise en compte, le cabinet serait alors composé de 30 ministres (contre 24 actuellement) et « tous les partis souhaitant participer seront les bienvenus », estime Mme Jabbour. Dans la formule qu’il a présentée, et qui avait fortement déplu au camp du président, M. Mikati avait nommé 24 ministres au profil principalement technocrate, à l’exception de l’ancien député Amal Yassine Jaber, choisi pour le portefeuille des Finances, de Georges Bouchikian, député arménien de Zahlé affilié au Tachnag et nommé à l’Économie, ainsi que de Sajih Attié, député du Akkar proche des anciens haririens, chargé du portefeuille des Déplacés. « Le Premier ministre est satisfait de la nature du gouvernement qu’il avait présenté », affirme le proche de Nagib Mikati.
Pas de réunion Mikati-Aoun cette semaine
Outre la nature du gouvernement, l’allocation des portefeuilles est également source de désaccord. Le milliardaire tripolitain avait en effet choisi dans sa proposition préliminaire de remplacer le ministre sortant Walid Fayad (grec-orthodoxe), proche du CPL, par l’homme d’affaires Walid Sinno (sunnite), au grand désarroi des aounistes. « Le CPL réclame le ministère de l’Intérieur en échange de celui de l’Énergie », affirme à L’Orient-Le Jour une source qui suit de près les tractations. Une condition à laquelle il sera difficile au Premier ministre désigné de se plier. En effet, la pratique politique au Liban au cours de ces dernières années a réparti les 4 portefeuilles-clés comme suit : les Finances à un chiite, l’Intérieur à un sunnite, la Défense à un grec-orthodoxe et les Affaires étrangères à un maronite. En attribuant le ministère de l’Intérieur à la formation chrétienne, M. Mikati devra composer avec la colère de la rue sunnite (sa propre communauté), dont une partie importante se sent lésée depuis le retrait de l’arène du chef du courant du Futur Saad Hariri. De plus, l’actuel ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, est très proche du Premier ministre désigné qui insiste pour le reconduire dans ses fonctions. Du côté du CPL, on dément cependant avoir revendiqué un quelconque portefeuille. « Nous n’avons pas encore abordé la répartition politique des ministères puisque nous nous opposons à la nature même de l’équipe à venir », insiste Rindala Jabbour. « En attendant, la balle est dans le camp de Nagib Mikati. Qu’il se rende à Baabda pour discuter avec le chef de l’État », ajoute-t-elle. Dans l’entourage du Premier ministre désigné, on affirme qu’il compte se rendre au palais présidentiel « après la fête de l’Adha », sans donner plus de détails. Il a donc décalé sa visite initialement prévue cette semaine. Signe qu’aucune éclaircie ne pointe à l’horizon...
Le Conseil de sécurité appelle à accélérer la formation d’un cabinet
Le Conseil de sécurité des Nations unies a appelé hier à « accélérer la formation d’un gouvernement » au Liban et enjoint à « tous les acteurs politiques de travailler ensemble pour privilégier l’intérêt national », deux semaines après la désignation de Nagib Mikati à la présidence du Conseil.
« Les membres du Conseil de sécurité ont pris note de la nomination de M. Mikati comme nouveau Premier ministre désigné ainsi que de la présentation par ce dernier de la composition de son gouvernement au président de la République libanaise le 29 juin », souligne le Conseil de sécurité dans un communiqué, en allusion à la combinaison ministérielle présentée à Michel Aoun. Ce dernier s’était engagé à étudier ce document. Une semaine plus tard, les deux hommes ne se sont pas encore revus. « Plus d’un mois après les élections législatives, les membres du Conseil de sécurité appellent à accélérer la formation d’un gouvernement pour mettre en œuvre les réformes nécessaires, ajoute le texte. Compte tenu de l’intensité des crises qui se multiplient au Liban, il relève de la responsabilité et du devoir de tous les acteurs politiques de travailler ensemble pour privilégier l’intérêt national et relever les défis auxquels le peuple libanais est confronté. » Le Liban subit depuis l’été 2019 une grave crise économique et financière qui a poussé près de 80 % de la population dans la pauvreté, selon l’ONU. La haute instance internationale a aussi appelé à une représentation « significative » des femmes au sein du nouveau gouvernement et « souligné l’importance vitale du respect du calendrier constitutionnel pour que l’élection présidentielle ait lieu à temps ». Le mandat du président Aoun prend fin en octobre et un nouveau chef de l’État doit donc être élu avant cette échéance.
commentaires (11)
Quelle honte le peuple à faim et eux se disputent des ministères. Honte , honte , honte
Eleni Caridopoulou
18 h 49, le 08 juillet 2022