Critiques littéraires Essais

Douze réflexions sur la France

Douze réflexions sur la France

D.R.

Une certaine idée de la France d’Yves Thréard, éditions du Rocher, 2022, 251 p.

À l’heure où l’on se pose la question de savoir si la France est gouvernable – et ce n’est peut-être pas un mal –, la lecture du livre que présente Yves Thréard, directeur adjoint à la rédaction du Figaro, arrive à point nommé. Ces quelques réflexions émanant de diverses personnalités sur « une certaine idée de la France » se révèlent être une délectation. Les questions posées sont différentes d’un entretien à l’autre, mais deux thèmes principaux s’imposent : leur vision de la France – en référence à cette formule du général de Gaulle – et le questionnaire de Proust. Le journaliste conduit ces discussions avec une telle habilité que les réponses sont fluides, spontanées et sans fioritures. On prend plaisir à piocher dans ce livre, à passer d’un point de vue à l’autre. D’Alain Finkielkraut, en passant par Yves de Gaulle, Rachel Khan, David Djaïz, Abnousse Shalmani, Eugène Bastié, Franz Olivier Giesbert, Jacques Julliard, Gaspard Koenig, Arlette Laguillier, Catherine Nay à Michel Winock, tous se confient aisément.

La journaliste Eugène Bastié est fière de son pays dont elle estime qu’il « reste intellectuellement sur la brèche, que le débat y demeure de qualité ». À la question d’où vient la France, David Djaïz répond qu’elle est « un creuset, elle vient aussi de Phocée, qui a fondé Marseille six siècles avant Jésus-Christ (…), elle vient de la latinité, elle vient de la Grèce ancienne, elle vient bien sûr de la religion catholique, elle vient (…) de l’Islam. La France a une relation avec le monde islamique forte, et très particulière, très antérieure à la colonisation ». L’historien Jacques Julliard rappelle que les deux pôles historiques de la France sont le baptême de Clovis et la fête de la Fédération. Il ajoute que « la France est historiquement une chrétienté et, en même temps, une idée de gauche née de la Révolution française ». Quant au philosophe Gaspard Koenig, il considère que la France « prend corps en 1789. La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (…) est un texte politique inouï ». Une époque où un système politique extraordinaire libéral s’est mis en place pour donner naissance à l’État moderne dans un rapport direct à l’individu.

Sans surprise, Arlette Laguiller, fidèle à elle-même, pense que la lutte des classes est encore d’actualité. « Il y a une France des exploiteurs et des exploités. » Elle reste une révolutionnaire dans l’âme.

Étonnamment, Yves de Gaulle, petit-fils du général, n’est pas inquiet pour l’avenir de la France. Il considère que le plus gaulliste des présidents fut Emmanuel Macron. Tout aussi déconcertant est Michel Winock qui pense que c’est l’État qui préexiste à la nation. « La France c’est un État, c’est une culture. »

Surprenante, Rachel Khan se décrit comme une Afro-Yiddish 1000% française qui ne serait pas là sans la France. Elle regrette cette cancel culture ou woke culture qui écrit l’histoire en la gommant et qui représente un danger. Elle est fière de ce pays qui est un cadeau : « Nous sommes français (…) par un état d’esprit qui est en lien avec cette liberté et cette manière d’embrasser notre histoire et notre culture. » Tout en gardant sa foi en la jeunesse, Catherine Nay dénonce aussi cette cancel culture qui s’importe en France et qui empêche un débat sain et fructueux. Elle pense que la France a « perdu sa singularité et sa puissance par sa faute, par les politiques qu’elle a menées ».

Arrivée d’Iran en 1985, Abnousse Shalmani porte un regard sur la France qui interpelle. Ce pays lui a tout donné. Elle ne parle pas d’assimilation mais d’appropriation, l’immigré doit être actif et embrasser cette culture. Elle pense que l’égalitarisme a tué l’égalité puisque le nivellement s’est fait par le bas. Elle ajoute que la devise « Liberté, égalité, fraternité » a été malmenée car il n’y a plus de jonction entre les trois. La droite a pris la liberté, la gauche a pris l’égalité, et la fraternité s’est retrouvée orpheline. Pour elle « la France s’aime de moins en moins ».

Enfin, Alain Finkielkraut et Franz-Olivier Giesbert sont assez pessimistes. « La France est en train de devenir une petite nation », c’est sa propre existence qui est en danger selon Finkielkraut. Il considère qu’au nom de l’universel et de l’égalité « il y a une très sévère crise de l’intégration » et qu’il y a une « francophobie endogène » en France. Pour Giesbert, il y a une espèce de démission collective et une culture française à préserver.

On en conclut que malgré la morosité ambiante qui pèse aujourd’hui, et n’en déplaise à certains, la France est un grand pays. Une France au féminin, une France riche de son histoire et un peuple qui fait la France. Tant qu’il y aura des controverses, des avis divergents, des râleurs… la France restera ce pays de diversité, de culture, de littérature, des 246 fromages, des paysages, etc. Elle demeurera cette France qui rayonne à l’étranger et qui nourrit les passions.


Une certaine idée de la France d’Yves Thréard, éditions du Rocher, 2022, 251 p.À l’heure où l’on se pose la question de savoir si la France est gouvernable – et ce n’est peut-être pas un mal –, la lecture du livre que présente Yves Thréard, directeur adjoint à la rédaction du Figaro, arrive à point nommé. Ces quelques réflexions émanant de diverses...

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Quand on considère une carte de France, et les spécificités régionales qu'elle contient, on est étonné que ce pays ait conservé ce sentiment d'unité nationale, contre vents et marées. La langue, les constantes dynastiques, l'adhésion aux valeurs de la révolution, y ont contribué. Mais rien n'est jamais acquis.

F. Oscar

09 h 15, le 13 juillet 2022

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Commentaires (1)

  • Quand on considère une carte de France, et les spécificités régionales qu'elle contient, on est étonné que ce pays ait conservé ce sentiment d'unité nationale, contre vents et marées. La langue, les constantes dynastiques, l'adhésion aux valeurs de la révolution, y ont contribué. Mais rien n'est jamais acquis.

    F. Oscar

    09 h 15, le 13 juillet 2022

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