Les résultats du bac français sont tombés, impressionnants. Le taux de réussite est de 99,44 % pour l’édition 2022 contre 99,15 % l’année dernière, selon le bureau des examens de l’ambassade de France. Sur 2 773 candidats de terminale du Liban, seuls 15 ont été recalés à l’issue de l’oral de rattrapage et des délibérations. De plus, les résultats de 6 candidats fraudeurs ont été suspendus dans l’attente d’une décision de la commission de discipline du baccalauréat qui promet d’être sévère. Alors mises à part quelques exceptions, l’excellence est de mise cette année, comme chaque année d’ailleurs, malgré la crise multiple et la pandémie qui ont plombé le secteur éducatif. « Dans les détails, 28,32 % des candidats ont obtenu la mention très bien. Parmi eux, 5,81 % avec félicitations du jury à partir d’une moyenne de 18 », révèle à L’Orient-Le Jour Yoann Demoli, président du jury de passage au Liban pour les délibérations, sachant que le (ou la) major de promotion a obtenu une moyenne « autour de 19,60 ». Selon le maître de conférence en sociologie à l’Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), 30,61 % des candidats ont par ailleurs obtenu la mention bien et 27,43 % la mention assez bien.
100 % de réussite
Sur les réseaux sociaux, c’est avec fierté que nombre d’établissements annoncent leurs taux de réussite de 100 % et des mentions à foison. Le Lycée franco-libanais Alphonse de Lamartine de Tripoli affiche ainsi 91 % de mentions, parmi lesquelles 14 mentions très bien dont 3 félicitations du jury et 13 mentions bien. L’établissement est pourtant situé dans la ville la plus pauvre du pays. De même, le collège de la Sagesse Saint-Jean Brasilia s’invite dans la cour des grands et annonce l’admission de ses 62 candidats, 14 avec mention très bien, dont 4 avec félicitations, 22 avec mention bien et 19 avec mention assez bien. Dans un Liban en crise aiguë depuis trois ans, le système français est un gage pour les 62 000 élèves inscrits dans les écoles homologuées du pays, vu la baisse de niveau d’un système éducatif local qui peine à se réformer. « Le Liban a toujours eu le meilleur taux de réussite au bac français », commente pour L’Orient-Le Jour Rachel Atallah, chef d’établissement du Lycée Montaigne dont la première promotion de bacheliers, 21 au total, a été entièrement reçue, avec 91 % de mentions. Une excellence qui permet à ses bacheliers de prétendre aux meilleures universités françaises, mais aussi mondiales. « Nos élèves ont été reçus dans les meilleures universités françaises, notamment à Lille, Strasbourg, Nice, Nantes, Toulouse, Paris 1 Panthéon Sorbonne et dans les classes préparatoires Louis Berthelot, mais aussi au Canada à McGill, Polytechnique Montréal, Concordia… au Royaume-Uni, à Queen Mary, Imperial College… aux États-Unis dans les universités de l’Ohio, de Géorgie, de Virginie, de Bentley…, sans oublier les universités locales », souligne Mme Atallah. Même constat du directeur académique du collège Melkart, Fawzi Makhoul, dont l’établissement est aussi un centre d’épreuves du bac français, pour l’écrit et l’oral. « Sur 53 bacheliers tous reçus, 30 ont déjà été admis en France, dans les institutions universitaires de leur choix », reconnaît-il. « Quant aux autres, lorsqu’ils ne restent pas au Liban par choix ou vu les conditions économiques difficiles, ils poursuivront leurs études au Canada, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, en fonction de leur attaches à ces pays », précise-t-il.
Des notations trop généreuses au contrôle continu
Cet excellent bilan nécessite toutefois un bémol. Car il est atténué par la trop grande différence entre les notes de l’examen final et celles du contrôle continu, dans une dizaine d’établissements éducatifs homologués du Liban. Comprendre, par la trop grande largesse dans les notations du contrôle continu attribuées par ces établissements scolaires, ce qui a pour effet de gonfler les moyennes des élèves, selon les experts français. Et ce comparé aux moyennes de la majorité des établissements et aux moyennes du bac des années précédentes. « Cette pratique risque de privilégier les élèves de ces établissements, sachant que depuis la réforme des programmes scolaires français – appliquée dans son intégralité au bac pour la première fois en 2022, Covid oblige –, la note définitive du bac est le cumul des notations du contrôle continu données par les établissements (qui comptent pour 40 % de la note finale) et de celles des épreuves d’examens (60 % de la note finale) », explique Yoann Demoli.
La surévaluation est donc à l’origine du taux très élevé de réussite des élèves du Liban. S’il a « toujours été excellent, à partir de 95 % », selon Marcelle Sarouphim, responsable du bureau des examens à l’ambassade de France, il « a gagné un point par an depuis 2018 », souligne à L’OLJ Henri de Rohan-Csermak, conseiller adjoint de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France, également inspecteur général au ministère français de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. « Nous avons observé que les moyennes du contrôle continu d’une dizaine d’établissements du Liban à système français sont très élevées, ce qui est inadmissible », révèle M. de Rohan-Csermak. « Le baccalauréat français n’est pas un bac de pacotille, rappelle-t-il. C’est à partir de ce diplôme que les élèves se dirigent vers l’enseignement supérieur, sachant que les universités françaises ne sont pas sélectives et qu’il n’existe aucun barrage pour y accéder. » William* vient d’obtenir son bac avec pour spécialités la physique-chimie et les SVT. Il se prépare déjà à partir pour les États-Unis où il a été reçu dans l’université de son choix. Mais il se dit déçu par ses résultats à l’examen final de SVT : « Je ne suis pas satisfait. J’ai raté la mention très bien de peu. Je crains qu’il n’y ait eu erreur. J’avais pourtant d’excellentes notes jusque-là », regrette-t-il, avouant ne pas comprendre.
Mais pour la France une chose est sûre : « Il est nécessaire de créer une culture de l’évaluation et d’encourager les établissements homologués à se l’approprier, préconise Yann Demoli. Le risque étant, si les bonnes pratiques n’étaient pas respectées, que la valeur du bac français au Liban soit questionnée par les grandes universités internationales. » Dans ce cadre, une harmonisation est aussi envisagée l’année prochaine. Elle pourrait prendre la forme d’une baisse du coefficient du contrôle continu. Quant aux établissements qui continueront de surévaluer leurs élèves, « cela risque de se retourner contre eux », prévient M. de Rohan-Csermak. Car il est hors de question de briser la relation de confiance entre la France et les institutions éducatives homologuées du Liban. « Si cette relation de confiance venait à se distendre, ceux qui persistent dans cette politique pourraient à terme perdre leur homologation », assure-t-il, dans une mise en garde.
* Le prénom a été modifié.
commentaires (7)
Bravo à tous les candidats qui ont travaillé dur pour réussir, et à la communauté éducative qui les as soutenus dans les circonstances que l’on connaît. Le bac français reste une référence et une valeur, et ce taux de réussite n’est qu’un indicateur de la motivation de nos jeunes libanais à avoir un «visa » éducatif pour voler vers des cieux plus cléments!
Lina Samir HELOU
18 h 03, le 06 juillet 2022