Rechercher
Rechercher

Idées - Commentaire

Le secteur éducatif libanais est au bord du gouffre

Le secteur éducatif libanais est au bord du gouffre

Des élèves dans une école au Liban. Photo d’illustration Marc Fayad

Longtemps considéré comme l’une des rares institutions nationales fondamentales et une bouée de sauvetage pour la population, le secteur éducatif libanais se trouve aujourd’hui à un moment critique : tandis que les écoles privées persévèrent dans des circonstances difficiles, les écoles publiques sont au bord de l’effondrement.

En raison de la crise économique, environ 55 000 élèves sont passés des écoles privées aux écoles publiques rien qu’en 2020-2021, selon un rapport de la Banque mondiale publié l’an dernier. On constate également une augmentation alarmante des taux d’abandon scolaire, due à la fois aux fermetures prolongées liées à la pandémie et au besoin de revenus supplémentaires des familles appauvries par la crise. Dans un rapport publié cette année, l’Unicef rapporte que « 3 jeunes sur 10 au Liban ont arrêté leurs études » et estime qu’environ 13 % des familles demandent à leurs enfants de travailler pour faire face à la situation économique.

Pressions structurelles et conjoncturelles

Le système éducatif libanais a largement été un rempart de résilience : il a permis de diversifier et de former la main-d’œuvre du pays, d’autonomiser les femmes et les communautés défavorisées et d’offrir aux gens une mobilité sociale et économique, y compris en dehors du Liban. À un niveau moins quantifiable, il a été la clé de l’image que le pays se faisait de lui-même et le reflet des défis posés par son état persistant de fragilité.

Ce secteur est le fruit de décennies d’investissement, de travail et de confiance. Pourtant, les dernières années ont été particulièrement difficiles, produisant des pressions structurelles non résolues qui l’ont rendu particulièrement vulnérable aux crises actuelles.

Les ressources publiques allouées à l’éducation au Liban ont toujours été insuffisantes. En 2020, moins de 2 % du PIB du pays a été consacré à l’éducation, ce qui est nettement inférieur au minimum recommandé de 4 à 6 %. Comme le détaille un récent rapport de la Banque mondiale, de janvier 2020 à février 2021, le système scolaire libanais a ouvert ses portes pendant moins de 25 % de l’année scolaire.

Au fil des ans, le pays a dû faire face à un certain nombre de défis importants, dont beaucoup sont encore en cours. À leur tour, ces défis – en particulier la crise des réfugiés syriens – ont ajouté de la pression sur un secteur éducatif déjà fragile, le tout sur fond de crise de gouvernance plus large du pays. En 2019, « No Lost Generation » a estimé que 365 000 enfants réfugiés syriens étaient inscrits dans les écoles libanaises.

Dans le contexte d’un flux coordonné, même si limité, de l’aide des donateurs, de nombreux projets soutenus par la communauté internationale ont été mis en œuvre pendant une certaine période afin d’alléger la charge du secteur de l’éducation et d’offrir une éducation de qualité aux élèves réfugiés. Mais, une fois que le rapport final de chacune de ces initiatives a été présenté aux parties prenantes, la mise en œuvre des mesures essentielles pour construire un secteur éducatif solide et inclusif s’est largement arrêtée. Avec des conséquences alarmantes, puisque plus de la moitié des enfants réfugiés syriens ne sont pas scolarisés.

La pandémie de Covid-19 a fait peser des charges supplémentaires sur le secteur éducatif déjà vulnérable. L’apprentissage à distance s’est avéré difficile, en raison de divers facteurs : les instructeurs n’étaient pas formés pour enseigner à distance, l’accès à internet était limité et instable, et le rationnement de l’électricité et les pénuries de carburant ont fait que de nombreux foyers n’avaient pas d’électricité pendant plusieurs heures chaque jour.

L’enseignement à distance a également mis les étudiants dans le même panier, malgré les différences dans leurs besoins éducatifs, sociaux et économiques. Si l’ouverture des écoles a pu répondre à certains problèmes, elle s’est également inscrite dans le contexte de la nouvelle vague Omicron et d’un système de santé malmené.

La période antérieure d’apprentissage à distance et le retour de l’apprentissage en classe ont coïncidé avec l’effondrement presque total de l’économie du pays. Les enseignants qui se trouvaient en première ligne ont été particulièrement touchés. Ceux des écoles publiques et privées qui sont encore payés dans la monnaie locale ont été rendus extrêmement vulnérables, les plus touchés étant ceux payés à l’heure.

Réforme globale

Malgré une inflation galopante et une dollarisation informelle de l’économie, le projet de budget national ne prévoit aucun ajustement des salaires des enseignants des écoles publiques, alors que ces derniers sont tellement dévalués qu’ils couvrent parfois à peine les frais de transport pour se rendre au travail, en particulier depuis les zones rurales.

À l’instar d’autres secteurs-clés, la crise prolongée a provoqué une forte émigration. Plus de 15 % des enseignants des écoles privées ont quitté le pays pour chercher du travail ailleurs, selon une étude publiée en 2021. Les enseignants qui restent au Liban doivent souvent assumer les responsabilités supplémentaires qu’entraîne la diminution des effectifs, malgré des baisses de salaire importantes et les charges quotidiennes résultant de l’effondrement de l’économie. L’impact durable de la crise économique du pays est également ressenti par les familles et les ménages qui ne peuvent plus payer les frais de scolarité ou de transport vers et depuis l’école, en particulier dans les zones rurales. Dans un contexte où l’augmentation du coût de la vie a rendu les produits de première nécessité de plus en plus inaccessibles pour les ménages vulnérables, certains enseignants ont fourni du matériel scolaire de leur poche, malgré leurs revenus très précaires.

L’état critique du secteur de l’éducation au Liban révèle qu’il ne peut y avoir de réformes cosmétiques ou d’approches de fortune. De même, une aide ponctuelle au secteur de l’éducation ne le maintiendra pas longtemps à flot. Il n’y a pas de secteur de l’éducation durable et fonctionnel sans la résolution du modèle de gouvernance défaillant du pays et de sa crise économique généralisée. En un sens, la façon dont nous répondons à la menace qui pèse sur l’une des institutions les plus fiables du pays déterminera notre avenir collectif.

Le Liban doit préparer une feuille de route complète qui s’appuie sur les études récentes et offre un plan pour une éducation de qualité à tous les étudiants. Mais le plus urgent est que le gouvernement libanais donne la priorité à son aide au secteur de l’éducation pour sauver ce qui reste, en s’assurant que nos éducateurs puissent dispenser leurs cours de manière digne, que les étudiants n’aient pas à choisir entre leur éducation et la survie économique de leur famille, et que les écoles et les familles puissent ensemble offrir aux enfants un environnement adéquat pour apprendre.

Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur le site du LCPS.

Rima BAHOUS, Professeure associée en sciences de l’éducation à la Lebanese American University.

Fadi Nicholas NASSAR, Chargé de recherche au Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) et professeur adjoint de sciences politiques et d’affaires internationales à la LAU.

Makram OUAISS, Directeur exécutif du LCPS.

Longtemps considéré comme l’une des rares institutions nationales fondamentales et une bouée de sauvetage pour la population, le secteur éducatif libanais se trouve aujourd’hui à un moment critique : tandis que les écoles privées persévèrent dans des circonstances difficiles, les écoles publiques sont au bord de l’effondrement.En raison de la crise économique, environ...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut