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Idées - Infrastructures

Pénuries d’eau : sortir du piège de l’informalité

Pénuries d’eau : sortir du piège de l’informalité

Un camion-citerne à Beyrouth en 2019. Photo Yasmina Choueiri

Une fois encore, les habitants de plusieurs régions libanaises ont dû faire face la semaine dernière à une interruption totale de l’approvisionnement en eau en raison de « pénuries d’électricité, de dysfonctionnements majeurs et de vols de câbles », selon les explications fournies par un communiqué de l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban. Déjà courantes depuis des années, en particulier pendant l’été, les pénuries se sont considérablement aggravées avec la crise économique et financière qui secoue le pays depuis plus de deux ans, et notamment la dépréciation de la livre libanaise et la situation dramatique dans laquelle se trouve le secteur électrique. Dès juillet 2021, l’Unicef tirait la sonnette d’alarme en annonçant que 71 % de la population libanaise pourrait souffrir d’un manque d’accès à l’eau dans un pays pourtant considéré comme plutôt bien pourvu en ressources hydriques. Faute de capacités financières suffisantes pour assurer le fonctionnement régulier des groupes électrogènes censés alimenter les stations de pompage pendant les coupures d’électricité, les quatre offices autonomes du pays peinent à assurer leur mission.

Résultat : alors que près des deux tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, les ménages sont de plus en plus contraints d’avoir recours aux systèmes informels d’approvisionnement en eau – des livraisons par camions-citernes à l’eau pompée dans des puits domestiques privés –, payant ainsi le prix lourd de défaillances structurelles dans la gestion du secteur.

Coûts élevés et inégaux

Bien que les premiers camions-citernes soient apparus dans les années 1970 et que le marché informel n’ait pas cessé de croître depuis, on a assisté à une augmentation soudaine de leur nombre, surtout après les sécheresses de 2013 et 2015. Ces épisodes ont augmenté les perturbations du système de distribution officiel et ont considérablement accru la demande sur le système informel. Cela a conduit à l’augmentation du nombre de fournisseurs de camions-citernes et à l’accroissement de la concurrence entre eux. Au final, certains acteurs ont contrôlé l’accès aux sources d’eau et le marché informel de l’eau qui en a résulté. Cet effet a été à double tranchant : si, à court terme, l’augmentation du nombre de camions-citernes a fait baisser les prix pour les utilisateurs finaux, cette hausse s’est automatiquement accompagnée d’un pompage excessif des eaux souterraines de manière non surveillée et non contrôlée, ce qui a exacerbé l’intrusion d’eau de mer à Beyrouth et sur la côte libanaise.

Par ailleurs, si le coût des camions-citernes a légèrement diminué, le coût total des sources d’eau au Liban reste assez élevé. À Beyrouth, le prix de l’abonnement pour les ménages était d’environ 200 dollars avant la crise (soit 300 000 LL à l’époque) par an pour un volume fixe « promis » d’un 1m3 par jour. Cependant, en raison des pénuries d’eau, les ménages sont également obligés de payer pour des sources informelles supplémentaires (citernes, bouteilles et puits), ce qui représentait alors une moyenne de 1 900 dollars par an.

En général, pour s’assurer que les coûts de l’eau sont équitables et abordables, les ingénieurs et les planificateurs comparent généralement les coûts de l’eau aux revenus des personnes. Il existe un consensus général sur le fait que le seuil d’accessibilité à l’eau du ratio coût/revenu se situe entre 2 et 5 % selon le lieu et le contexte. Cela signifie que tant que l’on paie moins de 5 % de son revenu pour l’eau, on a accès à une ressource plutôt abordable. À Beyrouth, le ratio moyen coût/revenu de l’ensemble des sources d’eau (formelles et informelles) était d’environ 6 % avant la crise, selon une enquête réalisée auprès de 105 ménages de catégories sociales différentes. Mais cette moyenne masque de fortes disparités entre les communautés à faibles et à forts revenus : par exemple, le rapport coût/revenu moyen de l’eau pour une communauté à faible revenu était d’environ 10 % avant la crise, alors qu’il était d’environ 4 % pour une communauté à revenu plus élevé.

Dégâts environnementaux

Pour faire face aux pénuries et à la charge des coûts supplémentaires, les différentes communautés, d’une part, ont appliqué des stratégies différentes. Les communautés à faibles revenus ont compromis la qualité de leur eau potable en achetant des bouteilles sans marque moins chères et de qualité incertaine. En outre, elles ont modifié leurs habitudes de consommation en programmant les activités qui consomment beaucoup d’eau (par exemple, le lavage du linge) aux moments où l’eau municipale est fournie (parce que c’est la source la moins chère). D’autre part, les communautés aux revenus plus élevés ont eu recours à des unités de traitement de l’eau individuelles coûteuses qui leur ont permis de pomper et de traiter des quantités illimitées d’eau provenant de leurs puits privés, ce qui a compromis la qualité et la durabilité des eaux souterraines.

Par définition, les systèmes informels ne sont pas surveillés et ne sont pas contrôlés. Ils peuvent donc entraîner des injustices sociales et des dégâts environnementaux en compromettant la durabilité des ressources en eau. Par conséquent, pour rétablir l’équité et la durabilité de l’approvisionnement en eau, il est essentiel de rétablir l’efficacité et la fiabilité du système formel pour satisfaire les besoins en eau des communautés de manière à atteindre un niveau de confiance acceptable. Cela est plus facile à dire qu’à faire, car tous les aspects du système actuel de l’eau doivent être évalués, y compris les dimensions hydrauliques, environnementales, économiques, sociétales, légales et politiques, afin de développer des politiques à long terme et des solutions viables.

Les systèmes d’eau informels sont un piège : s’ils aident les communautés à résoudre leurs problèmes d’accessibilité à l’eau, ils ont un coût supplémentaire, ils augmentent les disparités entre les communautés et épuisent les ressources. Malheureusement, tant que les infrastructures officielles seront défaillantes, le système informel ne pourra être éradiqué. Une gamme de stratégies globales qui prennent en compte de multiples dimensions est nécessaire pour rétablir progressivement l’efficacité des systèmes formels. Lorsque la confiance des usagers sera regagnée, alors seulement les systèmes informels pourront être abandonnés. 

Assistante professeure non résidente à l’Université catholique de Louvain et consultante en environnement urbain.

Une fois encore, les habitants de plusieurs régions libanaises ont dû faire face la semaine dernière à une interruption totale de l’approvisionnement en eau en raison de « pénuries d’électricité, de dysfonctionnements majeurs et de vols de câbles », selon les explications fournies par un communiqué de l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban. Déjà courantes...

commentaires (5)

Courant 24/24=> N>24×24 de petits générateurs et de factures (électriques, medicaleset mortuaire) à payer par les consommateurs pris en otages et par l'environnement qui se pollue irrémédiablement... Barrages pour eau potables pour tous => des centaines ou milliers de camions citernes qui transporte de l'eau à tout un chacun. Désastre pareil, factures à la pelle du même type. Solution??????

Wlek Sanferlou

15 h 08, le 03 juillet 2022

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Commentaires (5)

  • Courant 24/24=> N>24×24 de petits générateurs et de factures (électriques, medicaleset mortuaire) à payer par les consommateurs pris en otages et par l'environnement qui se pollue irrémédiablement... Barrages pour eau potables pour tous => des centaines ou milliers de camions citernes qui transporte de l'eau à tout un chacun. Désastre pareil, factures à la pelle du même type. Solution??????

    Wlek Sanferlou

    15 h 08, le 03 juillet 2022

  • ON A SOIF ! ON MEURT DE SOIF ! ET CA AU PAYS DES MULTIPLES FLEUVES ET DES MILLIERS DE SOURCES ET DE FONTAINES. PEUPLE LIBANAIS, TU AS FAIM, TU AS SOIF, ILS T,ONT DEVALISE, ILS ONT PIETINE TA DIGNITE, ILS ONT DETRUIT TON PAYS, LA TERRE DE TES AIEUX, CELLE DE TA FAMILLE, L,AVENIR DE TES ENFANTS. - QU,ATTENDS-TU ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 44, le 03 juillet 2022

  • Ils ne laisseront pas une source vive, ni un arbre vert, ni une terre arable ni un homme vivant, merci à celui qui veut nous envoyer en enfer, bonjour l'Ile de Pâques.

    Christine KHALIL

    09 h 42, le 03 juillet 2022

  • lol from Montreal

    Abdallah Barakat

    06 h 44, le 03 juillet 2022

  • Des rapports d’experts, des analyses savantes et des articles sophistiqués sur les systèmes formels et informels pour résoudre les pénuries d’eau qui ne mènent vraiment à rien: c’est la pagaille absolue et la loi de la jungle…Chacun pour soi et toujours la même rengaine: les bien nantis s’en tirent très bien encore individuellement, quant aux autres, après moi le déluge et qui s’en fout: au point où se trouve la décrépitude du pays et l’absence totale de responsables et de moyens financiers pour résoudre les problèmes, on continuera de se gargariser sinon se consoler avec de belles paroles et…vogue la galère!

    Saliba Nouhad

    02 h 06, le 03 juillet 2022

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