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Agenda - Hommage à Gabriel Harfouche

Le champion n’est plus

Dans ta simplicité naturelle de villageois dans sa plus noble expression et que ne saisit que l’autre villageois, ton ami sans failles depuis des décennies, rien n’indiquait que tu étais un champion, car tu ne te pavanais pas en public et tu menais une vie normale.

Champion, oui, dans ce jeu hautement intellectuel qui titillait tes méninges et que tu pratiquais depuis l’âge de 16 ans : j’ai cité le bridge.

Deux semaines avant ton départ, tes compagnons de jeu venaient chez toi te consulter sur tel ou tel autre choix qu’ils avaient fait.

Champion, oui, dans l’art de protéger les ouvrages des intempéries et dans les détails subtils que tu apportais à cette technique de terrain appelée étanchéité. Tu en as été le pionnier et, malgré toutes les boîtes qui ont essaimé, tu es resté le meilleur.

Champion, oui, face à l’adversité et à la maladie qui a essayé de te malmener dans tous les sens depuis plus de 7 ans et à laquelle tu as répondu avec la désinvolture du philosophe : à peine l’opération chirurgicale terminée et 4 ou 5 jours de convalescence passés, tu retournais au club soit en présentiel, soit en ligne quand le Covid se faisait menaçant.

Et je ne peux oublier avec quel calme stoïcien et ton sourire merveilleux tu nous as confié que ton médecin t’avait dit que les traitements ne servaient plus à rien et qu’il te restait trois mois à vivre !

Ta bonté, ta loyauté et ta confiance naturelle ont été exploitées, malheureusement par des proches, qui ont mis à un moment ton entreprise à plat. Mais tu as pu relever le défi et remonter courageusement la pente selon le poète « et, sans dire un seul mot, te mettre à rebâtir ».

L’annonce de ton décès ne m’a pas surpris car tu semblais très fatigué et exténué trois jours avant. Et je ne peux oublier ta grande affection quand, par des mots à peine compréhensibles, tu as voulu savoir si j’étais toujours debout au travail.

Avec cette annonce, viennent les larmes qui entachent ce papier. Mais en même temps, reviennent en vrac plus de cinquante ans de moments heureux que nous avons connus dans cette amitié partagée avec joie : de la classe de mathématiques élémentaires, avec ta belle réponse quand on te faisait remarquer que des cheveux blancs apparaissaient dans ta chevelure : « Je réfléchis trop sans être intelligent », toi qui étais l’un des meilleurs en mathématiques.

Aux années de l’ESIB où tu étais mon binôme aux TP d’électricité, au projet de topographie fait à Baabda durant l’été 64, à nos quatre années passées dans deux bureaux voisins, tous les deux pionniers dans le métier du sol et de l’étanchéité.

À nos rencontres chez toi à Baabda où tu m’as présenté ta voisine, celle qui allait devenir mon épouse.

À tous nos voyages à Paris, à Damas et à Bagdad sans crainte de la guerre qui y sévissait.

Pars en paix, cher ami. La messe dite par le père Sion, à laquelle nous avons participé chez Jacques, a sûrement contribué à ce que tu conserves l’amour et l’espérance dans l’épreuve que tu as vécue. Elle t’a aidé à sceller ta réconciliation avec Dieu. Je suis sûr que tu es déjà avec le Christ au paradis.

Dans ta simplicité naturelle de villageois dans sa plus noble expression et que ne saisit que l’autre villageois, ton ami sans failles depuis des décennies, rien n’indiquait que tu étais un champion, car tu ne te pavanais pas en public et tu menais une vie normale.Champion, oui, dans ce jeu hautement intellectuel qui titillait tes méninges et que tu pratiquais depuis l’âge de 16...