
Le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé lors d'un entretien avec la journaliste Roula Haddad sur la chaîne LBCI. Capture d'écran LBCI
Le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé a estimé mardi soir, dans un long entretien sur la chaîne locale LBCI, qu'il ne faut pas modifier le secret bancaire au Liban.
Selon plusieurs médias locaux, au moment de la diffusion de l'entretien avec M. Salamé, une patrouille du service de la sécurité de l’État perquisitionnait sa maison à Rabieh, au nord de Beyrouth, à la demande de la procureure générale du Mont Liban Ghada Aoun, qui avait lancé à son encontre un mandat l'assignant à comparaître.
Un agent de la sécurité de l'Etat devant la maison de Riad Salamé à Rabieh, le 21 juin 2022. Photo REUTERS/Mohamed Azakir
Au cours de son interview avec la journaliste Roula Haddad, M. Salamé a affirmé qu'à son avis, il faut garder tel quel le secret bancaire au Liban, en vigueur depuis les années 1950, car "il ne s'applique pas aux transferts illicites, provenant du blanchiment d'argent, de l'évasion fiscale ou du terrorisme". Dans ces situations, la Commission spéciale d'investigation (CSI) lève de toute façon le secret bancaire, a-t-il rappelé. Il convient de noter cependant que c’est Riad Salamé lui-même qui préside cette commission.
La modification du secret bancaire, afin de le faire correspondre aux normes internationales, fait partie des réformes demandées par le Fonds monétaire international pour débloquer un prêt de 3 milliards de dollars sur quatre ans pour venir en aide au pays, en crise depuis au moins 2019. Un projet de loi sur le secret bancaire a été étudié au cours de la dernière réunion du gouvernement de Nagib Mikati et a été transmis au Parlement. Le gouverneur a également rappelé que le Groupe d'action financière (GAFI), qui est un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, devrait prochainement vérifier les avancées du Liban sur cette question. Selon nos sources, les experts devraient venir au Liban en juillet, pour contrôler non seulement le secteur bancaire, mais aussi d'autres secteurs, comme les avocats, les notaires, etc.
Les déposants
Revenant sur les pertes de la Banque du Liban estimées par le gouvernement de Nagib Mikati (62 milliards de dollars sur près de 72 milliards de dollars de pertes que comptabilise le pays), Riad Salamé a affirmé qu’il ne s’agissait pas de pertes engendrées par une mauvaise gestion de la part de la BDL. Selon lui, c’est l’État, au travers de lois, qui a contraint la Banque centrale à financer ses dépenses, ainsi qu'à souscrire à des eurobonds (titres de dette en devises) et à la dette en livres. Au taux officiel, la dette totale du Liban frôle les 100 milliards de dollars. Il a ainsi assuré que ces pertes se trouvent bel et bien dans les comptes de la BDL, mais qu’il ne s’agissait en aucun cas de pertes de la Banque centrale. La législation internationale, et en particulier la Banque des règlements internationaux, permet aux banques centrales de reporter leurs pertes d’année en année. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a annoncé que "les déposants ne doivent pas supporter les pertes de l’État, qui sont inscrites dans les comptes de la Banque du Liban". Il s'agit-là de l'un des points les plus clivants du plan de redressement économique, qui met à contribution les déposants dont les comptes dépassent un certain montant. Le cap de 100 000 dollars a été évoqué, mais le vice premier ministre Saadé Chami avait indiqué que cette valeur pouvait être revue à la hausse ou à la baisse dépendamment de l’audit des 14% plus grandes banques du pays, qui rassemblent la grande majorité des actifs.
Riad Salamé a également évoqué une possible modification du taux de change en vigueur pour la circulaire 158, publiée en juin 2021 et entrée en vigueur en juillet de la même année, sans plus de précisions. Cette circulaire permet aux déposants de retirer chaque mois de leurs comptes en dollars bloqués par les restrictions bancaires 400 dollars en espèces et la somme équivalente en livres convertie au taux de 12.000 livres pour un dollar (la moitié remise en espèces et la seconde pouvant être utilisée pour des paiements par carte). D'après lui, 150.000 déposants ont jusqu'à présent bénéficié de ce mécanisme, parmi lesquels 30.000 ont déjà récupéré la totalité de leurs avoirs.
La circulaire 161
Riad Salamé est également revenu sur la circulaire 161, qui permet aux banques commerciales de vendre des dollars à leurs clients au taux de la plateforme Sayrafa de la BDL. Ce mécanisme "sert à garantir les salaires des fonctionnaires en dollars au taux de Sayrafa, et à protéger ce qu'il reste du pouvoir d'achat de ces travailleurs", a-t-il souligné. Il a dans ce contexte commenté la "dernière correction" de cette circulaire, il y a quelques semaines, qui allégeait les conditions de change, soulignant que cela devait permettre de "mettre un terme aux manipulations entre le taux du dollar sur la plateforme Sayrafa et celui sur le marché parallèle". En effet, un communiqué de la BDL annonçant ces modifications avait permis une appréciation du taux de change le vendredi 27 mai. Le taux était alors passé de 38.000 livres pour un dollar en début de journée, un record, à 28.000 livres.
Si ces modifications avaient stabilisé un marché devenu très volatile après les législatives, elles ont, selon plusieurs analystes et financiers, coûté à la BDL 500 millions de dollars au cours de la première moitié de juin. M. Salamé a dans ce contexte souligné que le volume journalier de change annoncé par la Banque du Liban n'est pas un montant qui est entièrement payé par cette institution depuis ses réserves de devises. Il indique ainsi que d'autres acteurs vendent également des dollars, même si la BDL n'est pas directement impliquée.
Selon lui, pour sortir de l’une de ses pires crises contemporaines, "le Liban a besoin de 15 à 20 milliards de dollars", ajoutant que les trois milliards que devrait payer le Fonds monétaire international dans le cadre de son accord avec le pays ne suffisent pas. Il a toutefois précisé que le prêt du FMI est nécessaire pour pouvoir relancer la confiance, perdue depuis mi-2019, et inciter les autres pays et organismes à aider financièrement le Liban.
Manque pas d'air Riad Salamé, ni d'argent d'ailleurs !
20 h 32, le 22 juin 2022