Bien qu’il y ait mis toute sa bonne volonté et passé des heures à négocier pour faire front commun, le groupe des treize députés issus de la contestation n’a finalement pas réussi à accorder ses violons sur le nom du Premier ministre qu’il compte désigner jeudi prochain lors des consultations contraignantes de Baabda.
Dans une tactique visant probablement à placer ses collègues devant le fait accompli afin de couper court aux hésitations et divergences qui minaient jusque-là ses rangs, le parti Taqqadom, dont sont issus Mark Daou et Najate Saliba, députés du Chouf, a tranché hier en cours de journée : leur candidat sera Nawaf Salam, ancien ambassadeur à l’ONU et juge à la Cour internationale de justice (CIJ), a indiqué le parti dans un communiqué.
Cette annonce est survenue alors que les tractations se poursuivaient hier en cours de journée pour tenter d’harmoniser les positions qui s’articulaient principalement autour de deux tendances : une en faveur de la nomination de Nawaf Salam, considéré par une partie non négligeable du groupe des treize comme la personne appropriée pour sortir le pays de la crise, et une autre plus « puriste » qui refuse catégoriquement la candidature de M. Salam. Ce dernier est accusé d’avoir fini par rejoindre « une partie de la classe dirigeante », notamment lors des législatives, et pour avoir soutenu, lors des élections de Beyrouth II, le tandem constitué par Fouad Siniora et Khaled Kabbani qui parrainaient la liste Beyrouth confronte, sachant qu’il avait lui-même été pressenti pour rejoindre cette liste avant d’y renoncer. Contacté par L’OLJ, M. Salam etait injoignable hier.
« Non seulement il a tenté de rejoindre le camp de M. Siniora, qui pour nous fait partie de l’establishment politique avec lequel nous refusons de traiter, mais en soutenant activement cette liste lors du vote, il a œuvré à créer des divisions dans les rangs de la contestation », confie Paula Yacoubian à L’Orient-Le Jour. Une position que rejoint le parti Lana dont est issue Halimé Kaakour, également opposée à sa désignation, ainsi que d’autres membres du groupe qui ont préféré taire leur choix pour l’instant. Craignant d’étaler au grand jour leurs divergences qui les rendent extrêmement vulnérables dans ce type de situation, les députés de la contestation ont refusé de se prononcer de manière définitive avant la réunion prévue hier soir, à l’issue de laquelle ils espéraient encore pouvoir parvenir à une unanimité.
« Même si le parti Taqaddom a annoncé sa préférence pour un candidat donné, il n’en reste pas moins que ses membres, Mark Daou et Najate Saliba, vont faire de leur mieux pour s’entendre avec leurs pairs sur un nom », commente Laury Haytayan, porte-parole du parti. L’idée n’est pas tant de retourner dans le giron pour rejoindre les pourfendeurs de M. Salam que de tenter de convaincre les récalcitrants de la pertinence de cette option.
« Nos propres candidats »
Les membres de Taqaddom justifient leur choix en mettant en avant « l’intégrité et la transparence du juge, ainsi que sa capacité à faire front ». « Il n’a aucun intérêt avec le réseau qui incarne la corruption et la pratique des quotes-parts », précise le communiqué. Tout en reconnaissant qu’il est de leur droit le plus fondamental de se prononcer pour tel ou tel candidat, Yassine Yassine, député de la Békaa et membre du groupe des treize, estime que le parti Taqaddom a été un peu « trop vite » en se prononçant unilatéralement en faveur de Nawaf Salam.
Si M. Salam continue d’avoir le vent en poupe auprès de quelques membres du groupe, il n’est pas dit qu’il parviendra à une majorité confortée. Alors qu’il pourrait également recueillir l’aval d’autres formations politiques traditionnelles, telles que les Forces Libanaises, le Parti socialiste progressiste, voire même le Courant patriotique libre qui laisse entendre que cette option existe pour lui, plusieurs membres du groupe de la contestation craignent par ailleurs de perdre un aspect important de leur identité en avalisant un candidat qui serait finalement soutenu par plusieurs partis de l’establishment.
« Il n’y a pas que Nawaf Salam ou Nagib Mikati en lice. Nous avons nos propres candidats », lance une source proche de la contestation.
Parmi les autres noms qui circulent, celui de Hassan Sinno, un ancien candidat de la contestation à Beyrouth II qui a fini par se retirer de la liste Beyrouth le changement pour des raisons d’incompatibilité avec certains de ses membres. Outre ses compétences dans les domaines économique et financier, M. Sinno – diplômé en génie industriel et financier de la Columbia University – a l’avantage « d’être l’enfant de la contestation par excellence », souligne Zeina Helou, membre du bureau politique du parti Lana dont Hassan Sinno est également issu. Un autre nom semble également séduire au sein de ce groupe. Celui de Khaled Ziadé, directeur d’un centre de recherche d’études politiques à Beyrouth, ambassadeur du Liban en Égypte et représentant au sein de la Ligue arabe.
Autre point de divergence sur lequel le groupe des treize pourrait également buter, outre le profil du candidat : l’architecture du gouvernement. Alors que le parti Taqaddom s’est clairement prononcé pour un gouvernement mixte formé de « technocrates et de figures politiques », le parti Lana notamment se prononce pour un cabinet de sauvetage formé de technocrates purs et doté de pouvoirs exceptionnels limités dans le temps pour pourvoir exécuter un programme éminemment axé sur les questions socio-économiques qui constituent, selon eux, la priorité alors que le pays est plein effondrement. « Au final, il n’y pas d’option parfaite. Quel que soit le choix que nous ferons, il y aura toujours une épine, comme dans les roses », conclut Yassine Yassine.
commentaires (9)
Nul n'est Prophète en son pays !
Le Point du Jour.
23 h 41, le 21 juin 2022