L’appel du pied lancé hier par le patriarche maronite Béchara Raï aux différentes forces politiques pour la formation rapide d’un gouvernement au Liban qui soit « représentatif au plan national » a sonné comme une invitation aux forces chrétiennes surtout, mais aussi à l’ensemble des forces de l’opposition, à ne pas bouder le prochain cabinet.
Alors que les Forces libanaises et les forces du changement affichent depuis des semaines leur objection au principe d’un gouvernement d’union nationale souhaité par le tandem chiite et le Courant patriotique libre, le prélat maronite, qui s’exprimait à l’occasion de son homélie dominicale, a vraisemblablement voulu couper court au scénario d’un cabinet monochrome qui serait aux mains du camp du 8 Mars et dans lequel le camp aouniste aurait la part du lion en briguant la majorité des portefeuilles ministériels dévolus aux chrétiens.
Une crainte justifiée par les informations qui ont récemment filtré sur les conditions placées par le chef du CPL Gebran Bassil, qui souhaiterait sécuriser au moins les portefeuilles de l’Énergie et des Affaires étrangères, deux ministères régaliens, en contrepartie de la reconduction du Premier ministre Nagib Mikati. Des affirmations que le CPL a toutefois démenties samedi, affirmant ne pas avoir encore discuté au sein du parti de l’éventualité d’une participation des aounistes au futur cabinet.
En l’absence d’un concurrent de taille qui puisse faire l’unanimité, Nagib Mikati a de fortes chances d’être à nouveau désigné pendant les consultations parlementaires contraignantes prévues jeudi prochain.
Dans une pique visant clairement le CPL et le mouvement Amal qui monopolisent depuis des années respectivement le ministère de l’Énergie et celui des Finances, Mgr Raï a estimé que la formation du prochain cabinet devrait se faire « sans condition étrangère à la Constitution, au document d’entente nationale et aux coutumes » et dans lequel aucun portefeuille ne sera « héréditaire ou propriété d’une confession ».
« Nous réclamons à nouveau la formation, le plus rapidement possible, d’un gouvernement fédérateur, a déclaré le patriarche à Bkerké. Nous appelons toutes les forces politiques qui croient en un Liban libre, souverain, indépendant, fort et résilient, à mettre de côté leurs conflits et intérêts et à garantir la stabilité politique, afin non seulement qu’un cabinet soit formé et un nouveau président élu, mais également pour éviter l’impact de risques régionaux pour le Liban. »
Si le souci de la stabilité politique et de la continuité des institutions fait partie des priorités du prélat maronite, son appel dimanche est également destiné à sécuriser un climat propice pour garantir l’élection d’un chef de l’État, dont le mandat expire le 31 octobre prochain. Une échéance qui risque d’être compromise si le futur Premier ministre qui sera désigné est incapable de mettre sur pied un cabinet, du fait des tiraillements et du marchandage politique qui régit traditionnellement ce type d’exercice.
« Nous voulons un gouvernement dans lequel toutes les composantes libanaises assumeront les responsabilités ministérielles, un gouvernement courageux qui fera face à tout ce qui est illégal et sera prêt à traiter avec les communautés arabe et internationale », a ajouté Mgr Raï.
En invitant toutes les composantes libanaises à assumer leurs responsabilités au sein du futur cabinet, le patriarche souhaite probablement pallier le cas de figure où il serait impossible d’élire un nouveau président, ce qui signifierait que les prérogatives du chef de l’État reviendraient constitutionnellement au Conseil des ministres réunis. D’où l’importance, selon lui, que « le cabinet puisse être représentatif de toutes les tendances politiques, y compris chrétiennes, pour préserver un tant soit peu l’équilibre communautaire », décrypte un analyste souverainiste sous couvert d’anonymat.
Un appel auquel les Forces libanaises, mais aussi certains partis d’opposition et forces indépendantes, risquent toutefois de rester sourdes, ayant déjà opté pour une non-participation à un cabinet d’union nationale. « Notre position est claire : nous sommes opposés à un gouvernement d’union nationale qui a déjà prouvé son inefficacité et son échec », commente un cadre FL. Ces dernières n’accepteraient de participer qu’à un gouvernement formé par une majorité souverainiste sans la présence des composantes du 8 Mars.
Un son de cloche similaire est exprimé par le député de Zghorta Michel Moawad. Sur le fond, il affirme soutenir l’opposition du patriarche à l’hérédité au niveau des portefeuilles et à la consécration d’un ministère quelconque à une communauté déterminée ou à un parti. Mais il réitère la position de principe sur laquelle semble désormais convenir une grande majorité des forces de l’opposition, entendue dans son sens large, et qui est de ne pas prendre part au futur cabinet.
« Les gouvernements dits d’union nationale se sont avérés être des gouvernements de corruption et de paralysie. Ils sont incapables de gérer ce genre de crise », dit-il.
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Zahi SAAB
18 h 28, le 20 juin 2022