Que feront les députés joumblattistes jeudi prochain à Baabda ? À quelques jours des consultations parlementaires contraignantes pour nommer un Premier ministre, cette question est sur toutes les lèvres. D’autant que les principales échéances après les législatives de mai dernier, notamment l’élection du président de la Chambre, ont montré qu’avec ses huit députés, le groupe parlementaire du Parti socialiste progressiste peut faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
Figure incontournable de la classe politique traditionnelle, Walid Joumblatt est sorti vainqueur d’une bataille électorale ardue qu’il avait qualifiée d’« assassinat politique dans les urnes » et d’ « attaque » lancée par le camp de la moumanaa mené par le Hezbollah. À l’issue du scrutin, le chef du PSP est parvenu à reconduire l’écrasante majorité de ses parlementaires à la Chambre pour un nouveau mandat. Walid Joumblatt a surtout pu battre ses principaux adversaires sur la scène druze : Talal Arslane, son rival historique, et Wi’am Wahhab, tous deux figures prosyriennes. À l’heure où Marwan Hamadé a remporté la bataille face à M. Wahhab dans le Chouf, c’est au niveau du siège druze de Aley que la véritable surprise a été créée. Talal Arslane a été vaincu par Mark Daou, un candidat de la contestation qui a séduit 11 656 votants contre 9 008 seulement pour le chef du Parti démocratique libanais. Ce résultat s’explique en partie par le fait que la circonscription du Mont-Liban IV, fief incontesté de Walid Joumblatt, était le seul territoire où les forces de la thaoura ont unifié leurs rangs. Mais selon des informations obtenues par L’Orient-Le Jour, la victoire de M. Daou et de ses colistières Halimé Kaakour et Najat Saliba au Chouf aurait été rendue possible grâce à un apport de voix joumblattistes. « Il n’y a pas eu de décision du directoire du parti d’accorder des voix à la contestation. Mais il est normal que des partisans en colère contre la classe politique traditionnelle optent pour les nouvelles figures », tempère un député PSP qui a requis l’anonymat. Comprendre : pour Moukhtara, la contestation s’avérait un moindre mal par rapport à ses adversaires prosyriens. « L’objectif principal de Walid Joumblatt était de consacrer son leadership sur la scène druze et se débarrasser de ses concurrents, du moins au niveau des institutions. Et il a gagné ce pari », commente pour notre journal l’analyste politique Karim Mufti. « M. Joumblatt a facilité la tâche à son fils Teymour en lui retirant ces figures druzes de la scène. Mais la confrontation est loin de prendre fin dans un avenir proche », souligne-t-il, rappelant que MM. Arslane et Wahhab sont toujours présents sur la scène, forts de leur allié de poids, le Hezbollah.
Illisibilité politique
Le groupe parlementaire joumblattiste a contribué à la reconduction de Nabih Berry à la présidence de la Chambre dès le premier tour avec 65 voix, en dépit de l’opposition de plusieurs parties. Ces huit voix en faveur du chef du mouvement Amal n’ont pas vraiment créé la surprise, le chef du législatif, pourtant un vieux partenaire du camp pro-Hezbollah, étant un allié de longue date du leader de Moukhtara. Lors de l’élection du vice-président de la Chambre, les députés du PSP et apparentés ont toutefois opté pour Ghassan Skaff, député de la Békaa-Ouest appuyé par les forces de l’opposition, qui a finalement perdu la bataille face à Élias Bou Saab, candidat soutenu par le tandem chiite Amal-Hezbollah, et donc par Nabih Berry aussi, et le Courant patriotique libre.
C’est de cette « illisibilité politique », pour reprendre les termes de Karim Mufti, que découle l’importance de la décision que prendront les huit députés joumblattistes au moment des consultations contraignantes jeudi à Baabda. Si le Premier ministre sortant Nagib Mikati est donné candidat favori à sa propre succession, le PSP n’a pas encore dit son dernier mot. « Nous ne sentons pas qu’il y a une volonté de former un gouvernement avant la fin du mandat présidentiel (fin octobre) », confie un proche de Moukhtara. « Le Premier ministre sortant n’a pas réussi toutes les missions qui lui étaient confiées », ajoute-t-il, laissant ainsi entendre que le bloc joumblattiste pourrait priver M. Mikati de son appui, à l’instar des Forces libanaises et du CPL. Selon des informations obtenues par L’OLJ, le PSP aurait en effet pris la décision de ne pas nommer le milliardaire de Tripoli. « Nous n’avons pas encore tranché », tempère Fayçal Sayegh, député joumblattiste de Beyrouth. « Nous allons nous réunir mercredi soir pour prendre une décision », dit-il, précisant que le parti se focalise actuellement sur « les caractéristiques du chef du gouvernement ». Vendredi, à l’issue d’une réunion du groupe parlementaire joumblattiste sous la présidence du chef du PSP, les députés ont plaidé en faveur de la formation d’un gouvernement « au plus vite ». S’attardant sur la composition du cabinet, le groupe a dénoncé « la politique d’accaparement » de ministères par certaines formations politiques, alors que selon certaines sources citées par notre chroniqueur Mounir Rabih, les aounistes auraient déjà réclamé, une fois de plus, les ministères des Affaires étrangères et de l’Énergie. Et le groupe de réitérer son « refus de toute tentative de revenir à cette hérésie appelée tiers de blocage ». La partie détenant cette garantie peut paralyser l’exécutif par la démission de ses ministres. Une pique en direction du courant aouniste, longtemps accusé de vouloir détenir cette minorité au sein des gouvernements précédents.
En attendant la réunion de mercredi, le Parti socialiste progressiste poursuit ses contacts avec les députés indépendants et les parties de l’opposition. Outre une nouvelle rencontre entre Waël Bou Faour et Akram Chehayeb, respectivement députés de Rachaya et de Aley, avec le chef des Forces libanaises Samir Geagea, une réunion est prévue dans les prochains jours entre Walid Joumblatt et l’ex-Premier ministre Fouad Siniora, farouche opposant au Hezbollah, qui essaie de combler le vide laissé par Saad Hariri sur la scène sunnite, apprend-on de source informée.
commentaires (7)
Joumblat prendra la décision qui réconforte le choix du parti iranien, et ceci à travers son catalyseur Berri. Comme récemment, et comme toujours.
Esber
22 h 33, le 20 juin 2022