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Nos Lecteurs ont la Parole

Guerre en Ukraine et neutralité

Guerre en Ukraine et neutralité

Des scènes de guerre et de destructions en Ukraine. Genya Savilov/AFP

Le congrès de Vienne de 1815 a consacré la neutralité, qualifiée de perpétuelle, de la Suisse et en fit un modèle pour les 207 ans suivants dans tous les pays en mal de voisins belliqueux, ou trop envahissants, ou dont l’histoire est trop torturée, ou dont les nations et les peuples n’ont pas pu ou su trouver la voie pour unifier leurs voix face à des idéologies différentes ou des croyances non partagées, déchirées ou sollicitées par un entourage ambitieux nationaliste ou, aujourd’hui, mondialiste.

2022... Le 24 février 2022, un coup de tonnerre en Europe et dans le monde… Un grand pays, un grand État en plein cœur de l’Europe envahit militairement un autre, violant toutes les lois du droit international et toutes les règles d’une paix chèrement payée et défendue, respectée depuis plus de 70 ans et que tout un chacun pensait pérenne et présageait de la fin de l’histoire.

Slave, et dernier défenseur de la chrétienté, la sainte Russie entreprend au cœur de l’Europe une guerre qui refuse de dire son nom et, euphémisme délicat, impose le vocable « opération militaire », « une action » serait-elle de surcroît anodine ?

La Russie envahit l’Ukraine slave et chrétienne, fille, jusque-là, de l’Église orthodoxe relevant du patriarcat de Moscou, de laquelle le patriarche d’Ukraine vient de se séparer officiellement.

Volonté déclarée : éradiquer un reste de nazisme et surtout s’approprier des territoires qui lui assureraient au moins une jonction avec la Crimée à partir de sa frontière sud en ramenant le Donbass et l’oblast de Louhansk dans le giron russe ; empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN qui lui serait une menace ; se venger de la promesse non tenue de James Baker, d’une part, que l’OTAN ne s’avancerait pas vers l’est et, d’autre part, que la Russie d’après la chute du mur de Berlin rejoindrait la sécurité européenne...

Aussi les bombes pleuvent-elles, et les colonnes de chars et de l’armée russe se déploient-elles, laissant destruction et mort derrière elles.

Mais l’Ukraine résiste : son président Volodymyr Zelensky, cet ancien acteur, s’élève avec sa femme au rang des plus grands... des nationalistes irrédentistes.

Irrédentiste, le peuple admirable d’héroïsme et de nationalisme suit, résiste, s’enferme, se terre, s’exile mais résiste ; l’opération militaire s’enlise, s’intensifie et la guerre qu’il est interdit en Russie de nommer guerre prend de l’ampleur ; un bras de fer « mouché » s’engage entre l’Occident atterré, mené par les États-Unis, l’Europe occidentale et l’Union européenne, et le président Poutine... Les sanctions de plus en plus ciblées et douloureuses et de plus en plus suivies contre la Russie n’y font rien et l’extension du conflit amène l’Occident à envoyer des aides financières puis militaires, pour soutenir l’effort de guerre ukrainien face à la deuxième plus puissante armée du monde...

L’envoi d’armes par un pays tiers à un pays en guerre étant considéré, en droit international, comme une aide externe et ne conférant pas le statut de belligérant au pays tiers, la Russie ne semble pas l’entendre de cette oreille et par la voix de différents généraux, de Lavrov son ministre des Affaires étrangères et surtout celle du président Poutine béni par le patriarche de Moscou Kirill, multiplie les menaces jusqu’à celle d’une guerre nucléaire limitée ou d’une troisième guerre mondiale.

La menace est prise au sérieux et l’Europe entière mais surtout les États de l’ancien bloc soviétique veulent rejoindre l’OTAN croyant en la nécessité d’un parapluie nucléaire et d’une protection musclée : enjeux devenus réalisables avec la nouvelle posture américaine de Joe Biden qui sécurise les alliés européens de l’Alliance après les exigences de Donald Trump et son isolationnisme affiché.

Avec les peurs et les angoisses engrangées par l’invasion de l’Ukraine et la défense héroïque des Ukrainiens, tout laisse envisager l’extension du conflit en tache d’huile meurtrière dans toutes les anciennes républiques soviétiques. L’OTAN refuge et parapluie déconstruit toutes les données et tous les principes que signifiait jusque-là la neutralité.

Changement de siècle, changement de mentalité et de paradigmes !

L’OTAN, diagnostiquée de mort cérébrale par le président Macron au début de son mandat, se retrouve non seulement renforcée mais à la fois parapluie et glaive pour les nations européennes.

Des scènes de guerre et de destructions en Ukraine. Photo Genya Savilov/AFP

Les États neutres de tradition ou d’obligation sortent de la réserve que leur impose le statut de neutralité.

La Finlande et la Suède après la demande instante de l’Ukraine et à son instar demandent de rejoindre officiellement l’OTAN, se départant ainsi de leur statut de neutralité et allant, ainsi, bien au-delà des simples manœuvres communes ou d’homogénéisation de leur armement ainsi que de leur chaîne de commandement avec ceux de l’OTAN.

L’Autriche, neutre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en débat, hésite et cherche à évaluer les enjeux et le meilleur moyen de faire face à toutes les éventuelles menaces.

L’Irlande, aujourd’hui, aguerrit son armée et les Irlandais apprennent à se battre mais dans le respect du statut de neutralité.

Nichée au cœur de l’Europe et à toutes sortes de croisées de chemins, la Suisse hors jeu des nations jusque-là inflexion ou volte-face sort de sa réserve multiséculaire...

Pour la Suisse, la neutralité reconnue et défendue globalement se déclinait en tout premier lieu par une défense moderne des personnes et de tout le territoire : armement moderne sans cesse renouvelé souvent mis à l’abri dans les montagnes et cavernes creusées à cet effet, mise à jour continue pour toute la population réserviste de son service militaire obligatoire, chacun gardant par-devers soi son armement ; les munitions seules pouvant ainsi être distribuées rapidement en cas de nécessité.

La Suisse s’interdisait toute vente d’armes directe ou indirecte aux belligérants et tout droit de passage vers des lieux de conflit et se refusait à toute participation aux sanctions imposées à l’un ou l’autre des belligérants...

Après trois mois d’une guerre meurtrière au cœur même de l’Europe « inflexion ou volte-face » – imposée par un pragmatisme né d’une géopolitique guerrière charriant des menaces vitales nucléaires ou traditionnelles –, la Suisse semble abandonner ses réticences et positions séculaires quant à son approche des conflits impactant ses voisins directs ou l’Europe entière...

Aujourd’hui la Suisse décide,elle, l’envoi à l’Ukraine en pleine guerre et belligérante malgré elle non seulement d’une aide financière et morale mais aussi la vente et l’envoi d’armes modernes et sophistiquées au travers de pays tiers, ce que sa neutralité lui interdisait jusque-là, et décide d’un rapprochement inédit avec l’OTAN, elle adopte même les cinq séries de sanctions décrétées par les États-Unis et l’Europe contre la Russie.

Renoncerait-elle au statut de neutralité qui l’a protégée deux siècles durant des ambitions, velléités et querelles de ses voisins ?

Est-ce un pas vers une volte-face historique ou une simple inflexion, une adaptation pragmatique aux circonstances mondiales dont le changement semble être non seulement durable mais annonce une redistribution nouvelle du pouvoir mondial, ainsi qu’une nouvelle définition des enjeux et stratégies et des lignes de force géopolitiques ?

Si la Suisse allait encore plus loin et renonçait à son statut de neutralité perpétuelle en intégrant l’OTAN, même si son intégration était aménagée à l’instar de sa participation aux Nations unies, qu’en serait-il du statut de neutralité que la Suisse définissait ?

Le patriarche maronite suivi par la population libanaise et un grand nombre de politiciens croit à la nécessité d’un statut de neutralité pour le Liban calqué quelque peu sur celui de la Suisse. Le Liban écartelé entre les problèmes et les pôles sunnite-saoudien et chiite-iranien, et la présence aux frontières terrestres et maritimes d’Israël qui ambitionne une partie des réserves de gaz et d’hydrocarbures des eaux libanaises, et de millions de réfugiés Syriens.

La redéfinition du statut de neutre – même simple inflexion – de la neutralité suisse imposerait au Liban plus que jamais la nécessité d’une réflexion sur un statut de neutralité mais aménagé à la lueur de ce que la guerre en Ukraine a entraîné dans les changements de stratégie et même de définition juridique.

Se défendre à tout prix et par tous les moyens, laisser les querelles de nos voisins et amis proches ou lointains à la porte du Liban pour reformer une nation à l’abri de sa neutralité qui lui permettra comme elle a permis à l’Autriche dépecée de se reconstruire ou à la Suisse d’unifier sa population aux ethnies, langues et religions différentes et de lui assurer en temps de paix ou de guerre une prospérité et un respect enviables et dont le Liban embourbé dans une crise profonde aurait le plus grand besoin.

Samira HANNA EL-DAHER

Ambassadrice, professeure de relations internationales et de géopolitique

Paris

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Le congrès de Vienne de 1815 a consacré la neutralité, qualifiée de perpétuelle, de la Suisse et en fit un modèle pour les 207 ans suivants dans tous les pays en mal de voisins belliqueux, ou trop envahissants, ou dont l’histoire est trop torturée, ou dont les nations et les peuples n’ont pas pu ou su trouver la voie pour unifier leurs voix face à des idéologies...

commentaires (3)

Un Liban neutre serait certes la solution idéale pour nous sortir de ce marasme. Notre pays possède tous les atouts qu'il faut pour atteindre cet objectif. Le Libanais eduque a le know how, l'éducation, et la vision pour le faire. Toutes communautés confondues. Rien qu’à voir l’incroyable succès de la communauté libanaise en dehors du Liban prouve ce dont un Libanais integre est capable de realiser. Malheureusement, Il reste la bénédiction de la communauté internationale qui est plus tentée par la classe gouvernante corrompue tellement plus facile à manipuler. Tant que cette classe pourrie nous gouverne, il nous faut attendre un miracle. Et peut-etre.......

Nouna Chidiac

01 h 22, le 10 juin 2022

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Commentaires (3)

  • Un Liban neutre serait certes la solution idéale pour nous sortir de ce marasme. Notre pays possède tous les atouts qu'il faut pour atteindre cet objectif. Le Libanais eduque a le know how, l'éducation, et la vision pour le faire. Toutes communautés confondues. Rien qu’à voir l’incroyable succès de la communauté libanaise en dehors du Liban prouve ce dont un Libanais integre est capable de realiser. Malheureusement, Il reste la bénédiction de la communauté internationale qui est plus tentée par la classe gouvernante corrompue tellement plus facile à manipuler. Tant que cette classe pourrie nous gouverne, il nous faut attendre un miracle. Et peut-etre.......

    Nouna Chidiac

    01 h 22, le 10 juin 2022

  • Est-ce-que l'attiude de la Suisse neutre, face au conflit russo ukrainien, ne donne pas à réfléchir à tous les opposants politiques vis à vis de l'adoption de la Neutralité positive du Liban ? Est-ce-que leur rejet permanent arguant de l'état de guerre existant entre le Liban et Israel, nonobstant le traité d'Armistice appliqué entre eux, est recevable et acceptable??? Ne faut-il pas donner cet exemple suisse pour convaincre le peuple libanais dans sa quasi majorité à exiger de ses représentants au sein du Parlement de déposer une motion parlementaire dans ce sens ?

    Salim Dahdah

    12 h 12, le 09 juin 2022

  • dilemne reel. opter de rester neutre ? laisser faire poutine sans reagir ? ne pas craindre ses visees dorenavant claires de recouvrir autant que faire se peut la gloire de l'empire tsaristo sovietique ? meme au prix de se voir prisoniers de ce meme poutine qui les laisserait a leur neutralite diplomatique & politique au prix d'un asservissement financier & surtout energetique ?

    Gaby SIOUFI

    08 h 51, le 08 juin 2022

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