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Idées - Réfugiés

La détresse silencieuse des Palestiniens au Liban

La détresse silencieuse des Palestiniens au Liban

Le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, au sud de Beyrouth, le 7 janvier 2017. Anwar Amro/AFP

La crise économique et sociale sans précédent qui frappe le Liban menace de démanteler le refuge que les Palestiniens vivant dans le pays ont mis des décennies à construire. De nombreux Libanais supposent pourtant que ces réfugiés sont bien pris en charge par des organismes comme l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) et d’autres organisations locales et internationales. Cela nourrit le ressentiment de Libanais eux-mêmes en difficulté, abandonnés par leur État et ne disposant d’aucune agence onusienne dédiée à laquelle s’adresser. À y regarder de plus près, cependant, les Palestiniens n’ont pas échappé à cette chute libre du pays qui a accéléré celle de populations déjà vulnérables.

Les réfugiés palestiniens, qui n’ont historiquement bénéficié que d’un accès limité aux services publics libanais, ont longtemps dû trouver seuls des solutions pour répondre à leurs besoins les plus urgents. L’Unrwa joue ainsi le rôle de chef de file dans des secteurs essentiels tels que l’éducation, les soins de santé, les services sociaux et même les projets d’amélioration des infrastructures. Elle gère un réseau d’écoles à l’intérieur et à l’extérieur des camps, ainsi que des cliniques de soins primaires. Mais ce prestataire essentiel est confronté à des déficits de financement chroniques et est donc structurellement incapable de planifier à long terme. En novembre 2021, l’agence a même dû retarder le versement des salaires de son personnel après avoir été à court de liquidités.

Les lacunes des services de l’Unrwa ont tendance à être comblées par un large éventail d’organisations caritatives et d’ONG déjà présentes avant la crise actuelle. Ces organisations adaptent leur travail à des besoins spécifiques, en aidant par exemple les personnes handicapées à accéder à des soins de santé et à des services sociaux spécialisés. Mais elles dépendent également des donateurs, dont les cycles de financement courts sont rendus encore plus imprévisibles par des priorités en constante évolution.

Moyens plus limités

Les Palestiniens finissent par se rabattre sur des formes plus immédiates de solidarité, comptant sur la famille, les amis et les voisins pour répondre à certains de leurs besoins fondamentaux. La densité sociale des camps facilite ce type de soutien horizontal. Mais cette apparente résilience n’a été rendue possible que du fait d’un modèle économique national aujourd’hui mis à mal : jusqu’à récemment, l’État garantissait la plupart des services par des subventions et en maintenant artificiellement la valeur élevée de la livre. Les Palestiniens bénéficiaient donc comme le reste de la population d’un pouvoir d’achat gonflé et de prix inférieurs à ceux du marché pour les médicaments et le carburant – ce dernier permettant à son tour de contenir les coûts de l’eau et des générateurs d’électricité. Avec la fin des subventions, les frais médicaux et les factures de services de base ont commencé à monter en flèche, tandis que les économies et les revenus des gens ont été réduits à néant.

Même l’Unrwa a bénéficié de l’économie subventionnée, puisqu’elle pouvait se permettre de renvoyer les patients vers des hôpitaux privés, au lieu d’investir dans la modernisation de ses propres cliniques. Aujourd’hui, l’agence a moins de moyens qu’avant, tandis que les Palestiniens eux-mêmes sont de plus en plus incapables de couvrir leur part des factures d’hôpital qui s’accumulent. Une dynamique similaire s’applique aux infrastructures onusiennes : en août 2021, l’agence a rationné le pompage de l’eau dans les camps de Bourj el-Brajné et de Chatila en raison de la pénurie de diesel, laissant les résidents chercher des alternatives coûteuses et dangereuses.

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Le travail des ONG est également affecté par le contexte actuel. D’une part, la forte augmentation des besoins des autres populations pousse les organisations à être plus sélectives. D’autre part, ces initiatives ont été contraintes de réduire leurs activités sur plusieurs fronts : les bénévoles n’ont pas les moyens de faire la navette et peuvent donner moins de leur temps ; le personnel à plein temps a vu ses salaires s’effondrer avec la valeur de la monnaie nationale ; et les dirigeants peuvent être contraints de réduire les coûts en diminuant leurs frais de fonctionnement.

En bas de la chaîne, de nombreux Palestiniens qui pouvaient auparavant contribuer aux réseaux de solidarité locaux grâce à leurs salaires se battent aujourd’hui pour simplement s’en sortir. En 2017, seul un tiers des réfugiés palestiniens adultes avaient un emploi, et plus de 90 % d’entre eux travaillaient de manière informelle, selon le recensement de la population et des logements réalisé par le Comité de dialogue libano-palestinien. Aujourd’hui, ceux qui travaillent encore sont particulièrement vulnérables aux risques de licenciement ou d’exploitation.

Concurrence

La crise actuelle ne fait qu’aggraver l’aspect systémique de la situation difficile des Palestiniens – comme l'insalubrité des camps –, tout en augmentant les risques futurs. Par exemple, la hausse des factures médicales grève davantage le maigre budget des ménages, au détriment d’autres dépenses comme la scolarité. Les élèves des camps ont également été plus touchés que les autres par la pandémie de Covid-19 en raison de l’exiguïté des habitations, du manque d’électricité et d’internet et de l’absence de ressources de base comme les manuels scolaires. Cela augmente le risque de décrochage des étudiants, et enferme davantage les Palestiniens dans des emplois mal payés ou précaires qui diminuent leur capacité à contribuer aux besoins de leur communauté.

La crise libanaise va en outre inévitablement détourner attention et ressources et aggraver la situation critique des Palestiniens : même si les structures de soutien spécialisées, telles que l’Unrwa, reçoivent les mêmes niveaux de financement qu’auparavant, leurs résultats seront moindres. Du fait de l’augmentation drastique de leurs frais de fonctionnement. De plus, la spécificité de la situation difficile des Palestiniens se heurte désormais à une forte concurrence, car tous les secteurs de la société libanaise ont un besoin urgent d’aide.

Il est donc tentant pour les Libanais d’ignorer la souffrance des réfugiés ou de les tenir pour responsables de la crise. Les politiciens se sont empressés de jouer sur ces instincts, promettant que l’expulsion des réfugiés améliorerait d’une manière ou d’une autre la vie de ceux qui restent. Les populations vulnérables peuvent désormais se disputer des ressources qui s’amenuisent. Ou bien elles peuvent s’entendre sur un diagnostic commun : la recherche de boucs émissaires parmi les étrangers est l’une des façons les plus pernicieuses pour le système continuer à ne fournir que très peu de services de base, et de manière inefficace et coûteuse pour tous.

Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur le site de Synaps.

Lynn Abukhadra est membre du réseau Synaps.

La crise économique et sociale sans précédent qui frappe le Liban menace de démanteler le refuge que les Palestiniens vivant dans le pays ont mis des décennies à construire. De nombreux Libanais supposent pourtant que ces réfugiés sont bien pris en charge par des organismes comme l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient...

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Pauvres Palestiniens abandonnés de tous et payant le prix de la faillite d’une civilisation

Alexandre Choueiri

00 h 59, le 05 juin 2022

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  • Pauvres Palestiniens abandonnés de tous et payant le prix de la faillite d’une civilisation

    Alexandre Choueiri

    00 h 59, le 05 juin 2022

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