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Désacraliser la politique

Désacraliser la politique

D.R.

Hadatha zata marra fi Loubnan (« Il était une fois au Liban ») de Hazem Saghieh, Dar al-Jadeed, 2022, 266 p.

«Soit les guerres et les causes sacrées, soit la démocratie » : à elle seule, cette citation pourrait résumer (très imparfaitement, bien entendu) le genre de libéralisme politique défendu par Hazem Saghieh. En effet, pour ce journaliste et essayiste libanais, les causes sacrées (ou prétendument telles), quand elles pénètrent dans le domaine politique, ont naturellement tendance à l’accaparer tout entier, le transformant en un champ de bataille où des ennemis se font la guerre perpétuellement, ce qui a pour conséquence de politiser l’ensemble de la société tout en appauvrissant paradoxalement la vie politique en tant que telle. Car lorsque la guerre permanente devient le modèle de la politique, l’autre, différent de soi, qu’il soit étranger ou concitoyen, est immédiatement perçu comme un ennemi à abattre ou un traître à éliminer. Toute délibération rationnelle, tout débat véritable sont ainsi évidemment étouffés.

Désacraliser la politique afin de restituer au réel toute sa complexité : telle pourrait être la devise de Hazem Saghieh. Devise que l’on peut voir à l’œuvre dans son dernier ouvrage, Hadatha zata marra fi Loubnan (« Il était une fois au Liban »), un recueil de trente-trois articles et chroniques sur des sujets aussi divers que Fairouz, l’Université américaine de Beyrouth, l’espionnage, le Vietnam, Donald Trump ou la presse libanaise.

Pour Saghieh, cette tendance à la sacralisation est omniprésente dans nos sociétés, à tel point qu’elle déborde la politique et s’étend, par exemple, aux domaines de l’art et de la culture. C’est ainsi que le culte de la personnalité voué à un leader comme Hassan Nasrallah se retrouve presque à l’identique dans la relation qu’entretient le public arabe avec certaines grandes chanteuses comme Fairouz. Il ne s’agit point là de cette fascination pour les célébrités répandue un peu partout dans le monde, mais d’un type de rapport similaire à celui qui lie les foules à un chef charismatique. D’où la déification de Fairouz (ou d’Oum Kalthoum) : elle devient sacrée, immortelle, exempte de toute corruption terrestre ou humaine. C’est pourquoi la critiquer suscite parfois d’intenses réactions de colère ou d’indignation.

Selon Saghieh, toute sacralisation expulse de l’histoire l’objet sur lequel elle porte ; les vicissitudes du temps n’ont alors plus aucune prise sur lui. C’est par exemple le cas du Vietnam dans l’imaginaire des anti-impérialistes arabes. Pour ces derniers, le Vietnam est resté tel quel depuis les années 70 : un mythe figé, celui du pays qui a vaincu la superpuissance états-unienne. Tout ce qui s’est passé après cette victoire, toutes les transformations qu’a connues ce pays aux cours de plusieurs décennies, les anti-impérialistes n’en ont cure. Pour eux, le Vietnam demeure l’épopée héroïque et sanglante de jadis ; sinon il n’est rien. Ainsi, toute la fluidité et la complexité du réel sont rayées d’un seul coup.

Par ailleurs, la tendance à la sacralisation constitue un obstacle à la démocratisation. En effet, Saghieh souligne que la paix est une condition essentielle à tout progrès démocratique, mais il estime que la pensée politique arabe rend difficile la perception de cette relation ; car, en plus de sa déficience en matière de libéralisme, cette pensée est hantée par les causes sacrées, et celles-ci vont le plus souvent de pair avec la glorification de la violence. C’est encore une fois la guerre permanente comme modèle de la politique. Or un système démocratique libéral ne peut voir le jour au sein de ce modèle ; il requiert, au contraire, un espace politique désacralisé et pacifié, où le niveau de violence est donc assez faible. Dans un tel système, au lieu de la guerre permanente, c’est la métaphore du jeu qui prédomine : le vainqueur n’éradique pas le vaincu et ce dernier aura peut-être un jour la chance de devenir vainqueur à son tour.

Hadatha zata marra fi Loubnan (« Il était une fois au Liban ») de Hazem Saghieh, Dar al-Jadeed, 2022, 266 p.«Soit les guerres et les causes sacrées, soit la démocratie » : à elle seule, cette citation pourrait résumer (très imparfaitement, bien entendu) le genre de libéralisme politique défendu par Hazem Saghieh. En effet, pour ce journaliste et essayiste libanais,...

commentaires (1)

The 'sacred' turns a religious or secular ideology into a myth where everything is permitted; where the end of history begins and stops at a certain juncture, where the rest is but a detail worth sacrificing. This is Arab world politics 101. The end justifies the means according to Niccolo M but with passion and vengeance in the Arab world which in turn gives rise to a constant 'tentation totalitaire'. Sacred becomes myth and utopia which in turns become 'reality'. Politics or the art of the possible becomes the art of the impossible. For decades, Hazem has been brilliantly diagnosing the many 'causes' and flaws and has yet to find a cure. It is a hopeless case. The patient refuses to take the right medication or rejects to even be seen by a Dr. The region and its 'culture' are doomed and beyond salvation. Time to find other spots on planet earth et des cieux plus cléments.

Semper Fidelis

16 h 40, le 06 juillet 2022

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Commentaires (1)

  • The 'sacred' turns a religious or secular ideology into a myth where everything is permitted; where the end of history begins and stops at a certain juncture, where the rest is but a detail worth sacrificing. This is Arab world politics 101. The end justifies the means according to Niccolo M but with passion and vengeance in the Arab world which in turn gives rise to a constant 'tentation totalitaire'. Sacred becomes myth and utopia which in turns become 'reality'. Politics or the art of the possible becomes the art of the impossible. For decades, Hazem has been brilliantly diagnosing the many 'causes' and flaws and has yet to find a cure. It is a hopeless case. The patient refuses to take the right medication or rejects to even be seen by a Dr. The region and its 'culture' are doomed and beyond salvation. Time to find other spots on planet earth et des cieux plus cléments.

    Semper Fidelis

    16 h 40, le 06 juillet 2022

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