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Moyen-Orient - Éclairage

Référendum en Tunisie : le dernier pas vers un régime présidentiel

Le chef de l’État tunisien Kaïs Saïed a officialisé mercredi dernier la date du 25 juillet pour la tenue du référendum modifiant la Constitution, qui mettrait un terme à la démocratie parlementaire.

Référendum en Tunisie : le dernier pas vers un régime présidentiel

Le président tunisien Kaïs Saïed, le 15 décembre 2021. Fethi Belaïd/AFP

C’est officiel depuis mercredi dernier. Le 25 juillet prochain, les Tunisiens se rendront dans l’isoloir pour dire ​​ « oui » ou ​​ « non » à la révision constitutionnelle proposée par le président Kaïs Saïed, et ce malgré les nombreuses voix qui s’étaient élevées pour l’en dissuader. Si cette révision propose des amendements à la Constitution de 2014, adoptée par une Assemblée constituante élue après le printemps arabe de 2011 et dépourvue de légitimité aux yeux du président, la suite du processus et ses implications restent floues. ​​ « Il n’y a pas de consultation publique ni de débat, les discussions se tiennent dans des bureaux fermés par des gens qui ne sont pas connus du grand public », commente Youssef Chérif, directeur du Columbia Global Center à Tunis. ​​ « Il s’agirait dans les grandes lignes d’un régime où le Parlement n’aurait pas son mot à dire, avec très peu de contre-pouvoir et où le président déciderait quasiment de tout : un retour à la case départ “dictature” . Ça serait la fermeture de la parenthèse de la démocratie parlementaire en Tunisie », explique-t-il.

Deux jours après l’annonce, la Commission de Venise, un organe consultatif du Conseil de l’Europe composé d’experts indépendants en droit constitutionnel, a notamment rappelé l’incompatibilité de cette décision avec la Constitution ou même avec le décret présidentiel. L’absence de publication du projet de nouvelle Constitution a aussi été pointée du doigt par la commission, estimant peu réaliste l’organisation d’un référendum en l’absence de règles claires préalablement définies. Des critiques très mal accueillies par le président qui, avant d’expulser du pays les experts de la Commission, fustigeait lundi soir : « Pour qui ces gens se prennent-ils ? Qu’ils s’occupent donc de leurs gondoles ! Les membres de la Commission de Venise sont désormais personae non gratae en Tunisie ! »

Manque d’offre politique

Un an plus tôt, à cette même date du 25 juillet, Tunis connaissait un coup de force institutionnel inédit depuis 2011. Le chef de l’État avait alors démis par décret le Premier ministre de ses fonctions, gelé temporairement les activités du Parlement et levé l’immunité ​​ « coup d’État » du parti d’inspiration islamiste Ennahda, bête noire de Saïed et majoritaire dans un Parlement morcelé.

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La décision du président tunisien avait été initialement soutenue par l’opinion publique, lassée d’une classe politique corrompue et inefficace après des mois de blocage. ​​ « De nombreux Tunisiens ont applaudi ce coup de force, croyant que Kaïs Saïed pourrait renverser la situation », souligne Sarah Yerkes, maître de recherche sur la politique, l’économie et la sécurité en Tunisie à Carnegie Endowment for International Peace. « Il n’y a pas d’offre politique plus légitime que la sienne (en raison de son élection, NDLR) et il jouit de l’impopularité de ses opposants », ajoute Youssef Chérif. Cependant, depuis l’été dernier, l’objectif du président paraît clair : exclure les partis politiques de la restructuration du gouvernement, museler l’appareil judiciaire et instaurer une gouvernance par décret présidentiel. « Il justifie son projet en disant que la corruption avait pris le dessus sur le Parlement et le statu quo », estime Sarah Yerkes. « Néanmoins, il n’a pris aucune mesure tangible pour s’y attaquer. Au contraire, il a soigneusement et méthodiquement pris tout le pouvoir dans ses propres mains, corrompant la présidence », ajoute-t-elle.

Des conditions qui ont plongé le pays dans une nouvelle crise politique alors qu’il se trouvait déjà dans une situation précaire sur le plan économique, aggravée par l’épidémie de Covid-19 puis de la guerre en Ukraine. En 2021, le taux de chômage s’élevait à 16,8 % de la population active, soit le plus haut taux observé depuis 2011, selon les estimations de la Banque mondiale. S’y ajoute, entre autres, une dépréciation du dinar tunisien face au dollar, passant de 2,8 dinars pour 1 dollar en 2021 à 3,1 en 2022 selon les données de la Banque centrale de Tunisie. Si le projet d’amendement conduit au nom de l’avènement de la ​​« nouvelle République » sortirait la Tunisie des crises selon le président, ​​ « il semble ignorer les voix du peuple tunisien qui a passé des années à élaborer la Constitution de 2014 », fait remarquer Sarah Yerkes. Cette Constitution, fruit d’un compromis entre Ennahda et les forces d’opposition, résultait d’un dialogue entre les deux acteurs, entamé dès septembre 2013. Alliant à la fois des éléments du régime parlementaire classique et du régime semi-présidentiel, elle prévoit le partage du pouvoir exécutif entre le président et le chef du gouvernement, élément censé éviter une trop forte concentration de celui-ci.

Une opposition limitée

C’est au proche du président et professeur de droit Sadok Belaïd, à la tête d’un comité consultatif, que revient la tâche de rédiger le projet de Constitution, qui doit être présenté aux électeurs le 30 juin, soit moins d’un mois avant le jour J. Une mission censée s’appuyer sur un ​​« dialogue national » mais dont les principaux partis politiques sont exclus et auquel les syndicats refusent de participer. Pour l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) – incontournable sur la scène politique –, le dialogue dans le format proposé vise à ​​ « cautionner des conclusions décidées unilatéralement à l’avance et (à) les faire passer par la force comme des faits accomplis ». Les syndicats ne sont donc pas invités à être parties prenantes mais simples consultants. En réponse, l’UGTT, forte de ses près d’un million de membres, a affirmé la tenue prochaine d’une grève générale dans le secteur public, un bras de fer qui s’annonce coriace pour le président. De leur côté, les principaux partis politiques déclarent le boycott du référendum. En janvier 2022, alors que Kaïs Saïed avait lancé une consultation en ligne traitant de l’avenir de la Tunisie et des réformes nécessaires, seulement moins de 10 % des plus de 8 millions de personnes constituant le corps électoral y avaient participé. Une faible représentativité qui témoignait déjà du déclin de la considération populaire pour le projet présidentiel.

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De son côté, l’opposition apparaît aussi divisée, face à un Kaïs Saïed qui bénéficie toujours d’une certaine légitimité populaire. Scindée en trois pôles – le syndicat UGTT, le Parti destourien libre et les forces gravitant autour d’Ennahda –, elle ne dispose pas en réalité d’un pouvoir conséquent. ​​ « Même s’ils avaient la volonté de s’unir, ça ne permettrait pas de changer les choses », affirme le directeur du Columbia Global Center. ​​ « Tant qu’il n’est pas contesté directement par une révolte populaire, le président se maintiendra », estime-t-il. L’absence de chef de file se détachant des rangs et la crainte du réveil de l’appareil répressif de l’époque de Ben Ali, semblent limiter un réel soulèvement populaire. « Il n’y a pas de successeur clair à Saïed et de nombreux groupes et acteurs de la société civile ont été réduits au silence par crainte pour leur sécurité, au vu du traitement sévère réservé à ceux qui le critiquent », souligne Sarah Yerkes. Depuis le coup de force, une ​​ « purge » anticorruption s’est abattue sur le pays, visant magistrats, hommes d’affaires et députés proches d’Ennahda, et dont les mesures arbitraires prennent différentes formes : assignations à résidence, condamnations ou encore interdictions de voyager.

C’est officiel depuis mercredi dernier. Le 25 juillet prochain, les Tunisiens se rendront dans l’isoloir pour dire ​​ « oui » ou ​​ « non » à la révision constitutionnelle proposée par le président Kaïs Saïed, et ce malgré les nombreuses voix qui s’étaient élevées pour l’en dissuader. Si cette révision propose des amendements à la Constitution...

commentaires (2)

Il faut trouver un moyen de respecter la democratie en Tunisie et trouver des moyens de relancer l'economie ... Je me mefie de Kaïs Saïed. Peut-etre un autre politicien sait trouver un consensus entre Ennahda et les autres partis tunisiens.

Stes David

21 h 07, le 01 juin 2022

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Commentaires (2)

  • Il faut trouver un moyen de respecter la democratie en Tunisie et trouver des moyens de relancer l'economie ... Je me mefie de Kaïs Saïed. Peut-etre un autre politicien sait trouver un consensus entre Ennahda et les autres partis tunisiens.

    Stes David

    21 h 07, le 01 juin 2022

  • C'est la meilleure des choses que le peuple décidera pour lui : Dans ces pays , rien de tel qu'un dictateur éclairé , pur et dur et honnête jusqu'au cou ! Toute tentative d'injecter dans ce pays un semblant de démocratie mène au chaos et au désastre !

    Chucri Abboud

    17 h 58, le 01 juin 2022

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