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La doctrine du noir

Sans avoir connu la sinistre notoriété mondiale du mur de Berlin, il n’avait certes pas volé la même et infamante appellation de mur de la honte.


Derrière cet alignement d’énormes blocs de ciment ceinturés de fil barbelé érigé en plein centre de Beyrouth, un Parlement indigne s’était longtemps barricadé pour se mettre hors de portée des foules en colère. C’est aux abords directs de cette scandaleuse ligne Maginot que les spadassins du président de l’Assemblée, promus au rang de police parlementaire, déversaient, en même temps que leurs tirs ou moulinets de gourdin, toute leur hargne sur les manifestants. D’où l’énorme charge symbolique que revêt le démantèlement en cours de ce sinistre ouvrage, maintenant que des personnalités issues de la contestation ont emprunté la grande porte, celle des urnes, pour forcer leur entrée à l’Assemblée.


Pour exaltant que soit toutefois le spectacle de ces grues s’activant à éliminer l’objet du scandale, il n’est que la préfiguration des titanesques travaux que va devoir requérir tout changement réel. Car si l’establishment politico-mafieux responsable de l’effondrement du pays paraît en ce moment jouer la modération et l’ouverture, si la bête a bel et bien senti le souffle du boulet, si elle a même essuyé quelques éclats, elle est encore loin d’être à terre. Elle laisse pas mal de plumes dans l’équipée électorale, mais elle n’a rien perdu de sa capacité de nuisance, de chantage. Ni, faut-il croire, de son insatiable appétit.


Preuve en est cette pantalonnade survenue, à propos de la question cruciale de l’électricité, durant les dernières heures d’existence active du gouvernement, lequel, depuis, n’a plus d’autre mission que d’expédier le affaires courantes. On y a vu le ministre de l’Énergie retirer abruptement de l’ordre du jour, pour complément d’étude, des offres de firmes internationales de grand renom portant sur le règlement, en un temps record, de l’endémique pénurie de courant dont souffre le pays. L’initiative du ministre Walid Fayad, proche du Courant patriotique libre, lui attirait alors une sévère admonestation du bureau du Premier ministre, qui l’accusait d’avoir obéi à des instructions à peine occultes.


La polémique se poursuivait hier encore à coups de venimeux communiqués, ce qui suscite plus d’une interrogation. En commençant par les formes (et sans même parler de la règle de solidarité gouvernementale, une notion oubliée dans notre pays), la soudaine volte-face du ministre appelait bien davantage que les lourds sous-entendus émanant du Sérail. C’est sur-le-champ, séance tenante, lors de cette dernière réunion plénière du gouvernement, qu’il eût fallu soumettre Fayad à la question et tirer les choses au clair. Cela afin que l’opinion publique, tant de fois échaudée, ne voie pas dans cette guéguerre des communiqués une classique algarade entre des intérêts affairistes rivaux. Bien peu charitables sont, bien sûr, les citoyens qui se sont gaussés des inqualifiables rudoiements que s’est vu infliger récemment Walid Fayad dans la rue. N’empêche que le personnage méritait bien davantage cette fois que des remontrances épistolaire, ne serait-ce que parce qu’il relève d’un camp plus que tout autre impliqué dans le scandale de l’électricité, domaine où le gaspillage, le recours systématique aux expédients et les prévarications – accompagnés de spéculations immobilières sur les sites de production de courant – représentent la portion la plus importante du trou financier dans lequel se trouve plongé le Liban.


Par quel prodige ce département demeure-t-il à ce jour la chasse gardée d’un parti qui s’est distingué par son incompétence à l’administrer dans les règles qu’exigent la raison et la moralité publique ? Insister pour porter au Parlement ses tristes champions qui se sont succédé à la tête de ce ministère, c’était, pour le Courant patriotique libre, se livrer à une véritable provocation. C’était rejoindre dans l’outrance son ennemi juré, le mouvement Amal de Nabih Berry qui, lui, a tenu à caser à l’Étoile deux de ses anciens ministres poursuivis par la justice dans l’affaire de la meurtrière explosion de 2020 dans le port de Beyrouth.


On se souviendra en conclusion que l’Énergie, ce n’est pas seulement les kilowatts, c’est aussi le pactole gazier et pétrolier qui dort au large de nos côtes et qui un jour sera un titanesque levier de pouvoir pour qui réussira à le contrôler. En attendant la satisfaction de leurs dévorantes ambitions, ceux qui ont arraisonné ce ministère soumettent la population à un chantage. À chaque instant ils lui signifient ainsi que la lumière devra nécessairement pointer par leurs bons soins, sous leur égide, ou alors ne sera pas. Voilà qui rejoint cette fois un autre chantage, à la guerre civile celui-là, régulièrement manié par leurs alliés pro-iraniens, adeptes d’une autre forme d’obscurantisme.


Même Jacques Brel aurait été forcé d’en convenir : le noir et le noir ne s’épousent-ils pas ?

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Sans avoir connu la sinistre notoriété mondiale du mur de Berlin, il n’avait certes pas volé la même et infamante appellation de mur de la honte. Derrière cet alignement d’énormes blocs de ciment ceinturés de fil barbelé érigé en plein centre de Beyrouth, un Parlement indigne s’était longtemps barricadé pour se mettre hors de portée des foules en colère. C’est aux abords...