
Huit des 13 candidats de la contestation élus au Parlement : Najate Aoun (Mont-Liban IV) ; Marc Daou (Mont-Liban IV) ; Halimé Qaaqour (Mont-Liban IV) ; Michel Doueihi (Liban-Nord III) ; Yassine Yassine (Békaa II) ; Ibrahim Mneimné (Beyrouth II) ; Élias Jaradi (Sud III) et Firas Hamdane (Sud III).
Pas un raz-de-marée. Mais une percée insoupçonnée pour les candidats issus de la contestation. Si leur performance comptait parmi les grands enjeux du scrutin, les pronostics dépassaient rarement la poignée de sièges, sept ou huit tout au plus. D’après les derniers résultats, les contestataires devraient, finalement, en occuper près du double au sein de la nouvelle Chambre. Une petite victoire tant le système politique apparaissait à la veille des élections plus sclérosé que jamais : campagne marquée par des pratiques clientélistes confortées par la crise, querelles fratricides entre candidats et incertitudes quant à la tenue effective du scrutin. Si certains restent prudents face aux nombreux défis à venir, d’autres vont jusqu’à évoquer une prouesse. Car, au sein de cette nouvelle législature, la première à émerger des urnes après le soulèvement de 2019, le bloc du 17 octobre pourrait représenter, s’il restait uni, la quatrième force politique du pays – après les Forces libanaises, le Courant patriotique libre et Amal.
Les symboles les plus puissants sont venus de circonscriptions où tout était à conquérir pour les forces de la contestation, qui ont obtenu des scores dépassant les paris les plus optimistes. À Beyrouth II, au Chouf/Aley et dans le Sud III, des percées symboliques ont secoué le paysage politique. La liste Unis pour le changement récolte trois sièges au Mont-Liban IV (Chouf/Aley), dont un pour le candidat Marc Daou qui détrône Talal Arslane, leader druze prosyrien du Parti démocratique libanais. La contestation a également créé la surprise à Beyrouth II en parvenant à conquérir trois sièges (Ibrahim Mneimné, Melhem Khalaf, Waddah Sadek) malgré les difficultés du scrutin liées à l’éclatement des forces de la contestation, à l’appel au boycott prôné par Saad Hariri ou à la présence en face de listes parrainées par des figures fortes, comme Fouad Makhzoumi ou l’ancien premier ministre Fouad Siniora. L’autre grande conquête emblématique est celle de la liste Ensemble vers le changement au Liban-Sud III (Nabatiyé, Bint Jbeil, Marjeyoun-Hasbaya). Seule région du pays où le 17 octobre est parvenu à se présenter sur une liste unifiée, le ticket parvient à qualifier son candidat grec-orthodoxe Élias Jaradé ainsi que le druze Firas Hamdan contre la liste Espoir et loyauté soutenue par le tandem chiite.
À l’échelle nationale, la percée de la contestation se distingue par la diversité géographique des régions qu’elle touche : Liban-Nord II et III, Békaa II, Liban-Sud III, Mont-Liban IV, Beyrouth I et II. Sur 15 circonscriptions, elle pénètre dans près de la moitié. Dans certains cas, le verdict des urnes a défié tous les pronostics, la contestation obtenant des résultats quasi inespérés là où on ne l’attendait plus. C‘est le cas à Zghorta (Liban-Nord III, Michel Doueihi); à Tripoli (Liban-Nord II, Ramy Fanj) ; ou encore à Rachaya-Békaa Ouest (Békaa II, Yassine Yassine). La surprise est également venue du vote préférentiel particulièrement élevé en faveur de certains candidats, comme Ibrahim Mneimné (13 281 voix) ou Marc Daou (11 656 voix) qui se présentent comme de nouvelles figures émergentes de la scène politique nationale.
Même là où il n’est pas parvenu à obtenir un siège, le camp du changement a obtenu des scores remarquables, jusqu’à frôler la victoire. Dans le caza du Metn (Mont-Liban II), considéré comme un fief traditionnel des aounistes, mais aussi des Kataëb, du Tachnag et de la famille Murr, la liste soutenue par Citoyens et citoyennes dans un État (MMFD) passe à quelques dizaines de voix du seuil électoral. À Baabda également, l’opposition flirte avec la victoire – 13 201 voix pour la liste Baabda le changement pour un seuil électoral de 14 852 voix, dont 5 483 voix pour Michel Hélou (ancien directeur exécutif de L’OLJ).
Pluralité idéologique
Si le résultat global est positif, la contestation a aussi payé le prix de son éclatement. Baabda offre un cas d’école d’un morcellement s’étant révélé fatal : les listes concurrentes y ont conduit à un éparpillement des suffrages ayant bloqué la route vers le Parlement. Même constat à Beyrouth I, où la société civile était représentée par trois listes concurrentes. Malgré un terrain présenté comme favorable, en raison du seuil électoral relativement bas, et des précédents lors des dernières législatives et des municipales de 2016, la contestation n’est parvenue à conquérir qu’un siège de plus qu’en 2018 – celui de Cynthia Zarazir, candidate ayant créé la polémique durant la campagne en raison d’un post publié sur Twitter en juin 2016, par la suite retiré, appelant à « l’extermination du peuple syrien ». Dans cette partie de la capitale, qui aurait pu être considérée comme une terre de changement, l’ancrage des partis chrétiens traditionnels se confirme – FL en tête.
L’éclatement des listes reflète la diversité de cette nouvelle offre politique émergente qui ne partage parfois guère plus qu’un positionnement antisystème. Cette pluralité se creuse davantage lorsque l’on prend en considération d’autres élus se revendiquant de l’opposition, à l’instar des Kataëb, d’Oussama Saad et affiliés, de Nehmat Frem, de Michel Daher ou encore de Michel Moawad… Car encore faut-il s’accorder sur le sens à donner à cette « opposition ». Opposition à qui et depuis quand ? Entre les nouvelles figures « vierges » faisant pour la première fois leur entrée au Parlement, les Najate Aoun, Halimé Kaakour et autre Élias Jaradi, et les « anciens », figures controversées ou héritiers de grandes familles politiques reconvertis plus ou moins tôt à la contestation, il y a parfois un monde. La mission de ces deux oppositions, qui ont parfois du mal à se regarder dans les yeux, pourrait se trouver compromise une fois le seuil de l’hémicycle franchi s’ils ne parvenaient pas à s’accorder sur les grands dossiers.
Les querelles plus ou moins ancrées idéologiquement ont rythmé la période préélectorale – même à l’intérieur d’une même liste. Elles pourraient ne pas s’arrêter là, menaçant également la cohérence et la viabilité d’une opposition faisant office de contre-pouvoir. L’enjeu pour les mois et années à venir est là. Il s’agira pour ces 13 à 26 députés de cuisiner une sorte de « discipline parlementaire » leur permettant de trouver une voix face aux blocs traditionnels. Élection du président du Parlement, investitures du nouveau gouvernement et du successeur de Michel Aoun, mais aussi adoption d’un budget, accord avec le FMI, contrôle des capitaux ou enquête sur la double explosion du 4 août : dans tous ces dossiers, des avancées ne pourront être arrachées qu’à certaines conditions, celles d’une clarté des positionnements et d’une convergence des votes. Deux dossiers particulièrement sensibles sont susceptibles de faire émerger une ligne de clivage au potentiel paralysant – la question des armes du Hezbollah, et celle de la responsabilité du secteur bancaire dans la crise et de sa restructuration. Or, si le 17 octobre a démontré sa capacité à formuler une offre locale taillée sur mesure pour répondre aux aspirations de l’électorat auquel il s’adresse, sa force de proposition ne s’est pour l’instant pas démarquée au niveau national. C’est de cela qu’il s’agira à partir de maintenant : après avoir été élu sur la base d’un score circonscrit, le député devient celui de la nation.
Tous les libanais aspirent à voir de nouvelles têtes dans le paysage politique. Ceci dit, pas à n’importe quel prix. Vu les dissonances qui ont eu lieu récemment pour nous éclairer sur les motivations de certains de ces opposants, permettez qu’on puisse émettre certaines réticences. On peut se réjouir en nous disant que c’est un bon début, mais encore faut il que ce début annonce vraiment une issue et non un cul de sac pour le pays. Ces gens devraient être épaulés et propulsés si leur but est de sauver le pays mais aussi contrôlés et combattus si leur but s’avère désastreux pour les jours à venir. Pour ce faire il leur faut un garde fou pour les protéger d’eux mêmes et des fossoyeurs qui les guettent pour n’en faire qu’un souvenir lointain. Donc il faut qu’ils soient chaperonnés avec force pour faire le tri et les mener à bon port ainsi que le pays et ses citoyens. Ne jetons pas l’eau de bain avec le bébé, certains partis restent indispensables pour faire front face à ce bulldozer qui est le HB et qui n’a peur que des patriotes qui sont décidés à l’éliminer par tous les moyens. Suivez mon regard.
11 h 23, le 18 mai 2022