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La lumière de l’aube

Ces législatives, les premières depuis la descente aux enfers de notre pays, avaient vraiment tout pour susciter une vaste gamme d’émotions. Celles-ci allaient de la circonspection, sinon du doute, aux espérances les plus folles. De là où l’on attendait une massive et vengeresse ruée aux urnes, on a pu ainsi s’alarmer d’ un taux de participation plutôt décevant, du moins à première vue. Fausse alerte, puisque l’essentiel était fidèle au rendez-vous : à savoir l’énorme brèche qui vient d’être ouverte dans les murs d’imposture, armée ou non, interdisant toute émancipation institutionnelle du Liban.


À défaut d’un chambardement de fond en comble, le changement est déjà là, et aucun effort ne doit désormais être épargné pour que se matérialisent les lumineuses promesses de l’aube. C’est tout juste une victoire à la Pyrrhus que peut revendiquer le tandem Amal-Hezbollah quand, ayant perdu une majorité à sa botte, il se targue d’avoir conservé intacts ses effectifs parlementaires. Car, pour maintenir son emprise sur la communauté chiite, il a dû, cette fois, déployer au grand jour un comportement milicien peu susceptible de rehausser son image. Or, ce n’était tout de même pas assez pour empêcher deux spectaculaires percées de la société civile, opérées dans un des fiefs dudit tandem, au cœur même du Liban-Sud.


C’est toutefois dans les rangs de ses forces politiques auxiliaires, recrutées naguère dans diverses communautés, que le Hezbollah subit une véritable hécatombe. La couverture que lui prodiguait le Courant patriotique libre s’est rétrécie de manière d’autant plus significative que ce sont les Forces libanaises, porte-drapeau du camp dit souverainiste, qui s’affirment désormais comme le premier parti chrétien siégeant à l’Assemblée. Carrément blackboulé en même temps que d’autres fidèles de Bachar el-Assad, se retrouve, quant à lui, Talal Arslane, principal allié druze de la milice, ce qui laisse Walid Joumblatt sans rival au sein de sa communauté. Pour compléter le tableau, le Hezbollah n’a pu tirer avantage de la confusion qui s’est emparée d’un électorat sunnite abandonné à lui-même par Saad Hariri, mais que les royaumes du Golfe ont réussi à mobiliser in extremis.


Pour importants que soient tous ces développements, la révélation majeure de ces législatives reste incontestablement l’élection, en diverses circonscriptions, d’une belle brochette ( treize à la douzaine !) de personnalités issues de la contestation populaire d’octobre 2019. Ceux-là et celles-là sont le ferment de la pâte que l’on attend de voir lever. Ils et elles n’ont pas de clientèle spécifique à servir auprès des administrations publiques en panne, ni d’intérêts commerciaux, industriels, bancaires ou bien mafieux à préserver ou à ménager, ce qui rompt fort heureusement avec des traditions parlementaires solidement établies.


Dès leurs premières déclarations d’élus, tous ces personnages issus de la thaoura ont fait preuve, au demeurant, d’une remarquable maturité politique. Ils se sont gardés de se répandre en mirifiques promesses, tant il est vrai que la politique est l’art du possible. Ils se sont engagés certes à se retrouver au plus tôt, à se constituer peut-être même en bloc. Mais ils n’excluent pas, pour autant, de coopérer, au coup par coup, avec les bonnes volontés éventuelles, qu’il s’agisse des partis d’opposition ou des députés indépendants, afin de mener à bien les réformes exigées par le peuple, comme par les puissances amies. L’avènement de ce sang nouveau ne pourra d’ailleurs que réveiller, stimuler, l’intérêt de la communauté internationale pour notre pays en crise. Fini le temps, en effet, où l’on pouvait nous reprocher d’avoir nous-mêmes élu des gouvernants indignes …


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De la course d’obstacles qui s’annonce, la première haie sera l’élection du président de l’Assemblée. Compte tenu des tristes singularités de la vie politique libanaise, il y a à redouter toutefois que le remplacement éventuel de Nabih Berry, qui jouait à fond,hier, la carte de l’ouverture, ne soit pas tranché dans la seule enceinte du Parlement, mais aussi dans la rue.


La plus noble des révolutions est celle des urnes, affirmait, à la veille du scrutin, le président Michel Aoun. Au vu des résultats, il ne croyait sans doute pas si bien dire. Encore plus glaciale eut d’ailleurs été la douche essuyée par le pouvoir si seulement le dispositif officiel visant à garantir l’entière liberté de vote avait été imaginé et appliqué avec la même noblesse.


La noblesse, encore elle, on ne la cherchera pas davantage dans certaines réactions postélectorales. Dès dimanche soir, le chef du CPL donnait le ton, se posant en cible d’une campagne conduite (excusez du peu !) par l’Amérique, Israël et leurs alliés ; se déclarant victorieux, il finissait hier par prôner le dialogue. Mais il faudra plus d’une cabriole oratoire pour faire oublier les propos menaçants qu’a tenus le chef de file parlementaire du Hezbollah qui a mis en garde contre toute tentative de ses adversaires de se faire le bouclier d’Israël : et de provoquer, par là, une guerre civile perdue d’avance.


Les plus corrompus appelant avec le plus de force à la lutte contre la corruption, on connaissait déjà. Ce qui n’a pas changé non plus sous le beau ciel du Liban, c’est de voir les incendiaires crier au feu en brandissant du poing un brûlot.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Ces législatives, les premières depuis la descente aux enfers de notre pays, avaient vraiment tout pour susciter une vaste gamme d’émotions. Celles-ci allaient de la circonspection, sinon du doute, aux espérances les plus folles. De là où l’on attendait une massive et vengeresse ruée aux urnes, on a pu ainsi s’alarmer d’ un taux de participation plutôt décevant, du moins à...