Les portraits de candidats au suffrage de dimanche ont beau être placardés à tous les coins de rue à Tripoli, le cœur n’y est visiblement pas. On est bien loin de l’effervescence de la thaoura de 2019 qui a laissé la place de nos jours à un sentiment de lassitude mêlée à une certaine résignation. Même le récent drame du naufrage d’un bateau de migrants au large de la ville, fin avril, qui a fait des dizaines de victimes dont la plupart n’ont pas encore été retrouvées, semble avoir été oublié. Dans la capitale du Liban-Nord, qui s’est enfoncée dans la pauvreté au fil des années, nombreux sont ceux qui comptent s’abstenir dimanche, même s’ils avouent rêver de changement. Les seuls électeurs enthousiastes sont ceux qui ont décidé de voter en faveur des listes de la contestation.
Dans une des allées du vieux souk, Abou Moustapha, propriétaire d’une boutique de vêtements, indique ne pas avoir l’intention de se rendre aux urnes. « Je vais boycotter les élections parce que je ne suis pas satisfait de la situation », lance ce commerçant d’une soixantaine d’années, avant d’être interrompu par une de ses clientes, qui écoute la conversation. « Il n’y aura pas de changement. Les personnes qui sont aux manettes feront tout pour faire élire les candidats qu’elles veulent », lance-t-elle.
Malgré la présence de plusieurs listes issues de la contestation populaire, de nombreux Tripolitains rencontrés sur place ne semblent pas convaincus par les candidats non affiliés aux partis politiques traditionnels. « Nous ne savons pas qui ils sont ni quel est leur historique. Peut-être qu’ils auraient pu avoir une chance s’ils avaient réussi à s’unir au sein d’une même liste », lance Abou Moustapha pour justifier son refus d’accorder une chance aux candidats de la contestation, dans une ville où onze listes s’apprêtent à se lancer dans la course aux législatives.
Au cœur du souk dit du vieux sérail, dans sa boutique désertée par les clients, Farid Sahmarani, un bijoutier de 32 ans, est plongé dans une profonde contemplation. Ce père de trois enfants est également déterminé à bouder les élections. « Plus rien n’a de sens, je pense que les nouveaux venus seront pires que ceux qui sont déjà au pouvoir », soupire Farid, qui envisage l’émigration. « J’essaie de vendre tout ce que j’ai ici pour voyager avec ma famille, par les canaux légaux bien entendu », dit ce père de famille qui connaissait « vaguement » quelques victimes du bateau de migrants qui a fait naufrage.
« Vous payez combien ? »
À mesure que l’on s’enfonce dans les vieux quartiers de Tripoli, la pauvreté et le délabrement sont de plus en plus visibles. Ici, seules les affiches des candidats déjà connus du grand public sont accrochées aux murs, aucune trace de portraits de candidats de la contestation. Dans une des ruelles étroites du souk, un vieil immeuble d’un étage est entièrement recouvert de portraits de l’ancien ministre Achraf Rifi, qui brigue un des sièges sunnites de Tripoli.
« Aucun des candidats qui ont déjà fait partie de la classe politique n’a de chance d’être élu cette année, sauf Achraf Rifi », estime un menuisier du coin. Lui est décidé à ne pas voter, en signe de solidarité avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Celui-ci avait suspendu son activité politique fin janvier. « Je ne voterai certainement pas », lance pour sa part une Tripolitaine qui fait ses courses, quelques ruelles plus loin. « J’ai pris cette décision parce que Saad Hariri nous l’a demandé. Il n’y a que lui qui me représente et personne ne peut le remplacer », ajoute-t-elle. L’ancien Premier ministre n’a jamais explicitement demandé aux partisans du Futur de boycotter le scrutin.
Assis sur une chaise devant son magasin de lingerie, Bachir Halabi, un commerçant de 75 ans en costume-cravate, profite du soleil. Cet inconditionnel haririen a tout de même décidé d’accorder sa voix à la liste formée par l’ancien vice-président du courant du Futur Moustapha Allouche. « Le Liban, c’est Saad Hariri. Sans lui, le pays n’existerait pas », lance-t-il, le sourire aux lèvres. Dans une des allées du souk, un homme, affalé sur un canapé devant un magasin de meubles, ne semble pas intéressé le moins du monde par les enjeux du scrutin. « Je voterai pour ceux qui me paieront le plus. Ma femme a besoin de faire des courses. Vous payez combien ? » lance-t-il, nous prenant pour des délégués de candidats.
« Ils appauvrissent les Tripolitains puis envoient des aides alimentaires »
Pour certains électeurs, qui ne votent pas à Tripoli même, la participation au scrutin reste tributaire des prix de l’essence. Un homme d’une quarantaine d’années, partisan de la thaoura et originaire de Minié, hésite à s’y rendre dimanche. « C’est coûteux d’effectuer un aller-retour vers Minié, par les temps qui courent. Mais si je me décide à voter quand même, ce sera sûrement pour de nouvelles têtes », confie cet homme qui a requis l’anonymat. « La ville est privée d’électricité et le taux de chômage ici est effrayant. Tout le monde en veut au Premier ministre Nagib Mikati et aux autres responsables qui sont au pouvoir », ajoute-t-il. Un ouvrier de 27 ans qui a également requis l’anonymat assure qu’il compte voter pour la liste Entafed (« Révolte-toi »), formée de membres de la société civile et de militants du soulèvement populaire d’octobre 2019. « Il faut changer la classe politique à tout prix. Les responsables actuels ont appauvri les Tripolitains auxquels ils offrent ensuite des aides alimentaires », dénonce le jeune homme. Il assure qu’« il y a beaucoup de ressentiment contre les figures politiques traditionnelles ». « Dans les quartiers les plus conservateurs, certains candidats de partis traditionnels font croire aux habitants que les candidats issus de la contestation veulent saper les valeurs de la société tripolitaine, explique pour sa part un autre habitant, qui votera également pour une liste opposante. On fait croire aux gens que ces candidats entendent, par exemple, légaliser le mariage civil, présenté comme une aberration, ou encore se prononcer en faveur des unions entre homosexuels. »
Bilal Younès, qui tient un café place al-Nour, lieu hautement symbolique où se sont déroulées la plupart des manifestations de la thaoura, avoue avoir perdu ses illusions. « Ce sont tous des menteurs. La thaoura a été récupérée par les autorités et la ville manque de tout. Je veux voter pour un des nouveaux venus de la liste soutenue par les Forces libanaises (FL) », révèle Bilal, tout en jetant un regard furtif vers deux énormes posters de l’ancien Premier ministre Rachid Karamé, assassiné en 1987. Un geste qui en dit long sur le revirement effectué au sein de la communauté sunnite de cette ville, sachant que le chef des FL Samir Geagea a été condamné pour ce meurtre au courant des années 90, à l’époque où le Liban était sous tutelle syrienne. Depuis le retrait de Saad Hariri de la vie politique, de nombreux électeurs sunnites se sont tournés vers le leader des FL, dont le discours anti-Hezbollah répond à leurs aspirations. « Les responsables politiques doivent rendre des comptes. Nous avons été tellement malmenés dernièrement que nous passons continuellement du rire aux larmes à Tripoli. Nous ne sommes même plus maîtres de nos émotions », conclut Bilal, en tirant sur sa cigarette.
Libanais de tout bord: de grâce votez pour un Liban libre et qui offrira un avenir meilleur à vos enfants, et ne votez pas pour des zaiims vampires qui se sont abreuver de votre sang et celui de vos enfants sans se rassasier...
17 h 52, le 14 mai 2022