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Culture - Exposition

« État de siège » chez Tanit : quand les designers locaux prennent d’assaut la galerie de Mar Mikhaël...

Occupée par 20 chaises, fauteuils, canapés, tabourets, bancs et poufs conçus par 20 designers phares de la scène libanaise, la galerie beyrouthine de Naïla Kettaneh-Kunigk se transforme jusqu’au 25 juin en place forte du design local. Aussi bien vintage qu’actuel.

« État de siège » chez Tanit : quand les designers locaux prennent d’assaut la galerie de Mar Mikhaël...

Dialogue entre des sièges signés Karen Chekerdjian et ceux du duo David et Nicolas. Photo Z.Z.

Concevoir une chaise. Rien de plus simple a priori ! Il suffit juste d’assembler une assise, un dossier et 4 pieds. Sauf qu’à partir de là, entrent en jeu les différentes déclinaisons de formes, matériaux et ornementations qui font que, depuis la nuit des temps, cet élément mobilier a inspiré la créativité des façonniers. Depuis les tabourets de l’Égypte antique, les divans des agapes romaines, les trônes du Moyen Âge jusqu’à l’industrialisation de la production mobilière, enclenchée au milieu du XIXe siècle en Autriche avec la fameuse chaise Thonet, dite de bistrot. Le siège, cet objet utilitaire par excellence, aura toujours été l’objet du désir… de création des artisans puis des architectes et designers. Et l’un des exercices de style qui passionne le plus ces derniers.

En témoigne la place privilégiée qu’il occupe dans le panthéon des pièces iconiques du design du XXe siècle, depuis la Egg Chair d’Arne Jacobsen à la Louis Ghost de Philippe Stark, en passant par la Panton du designer américain éponyme, pour ne citer que les plus communément connus…

Fauteuil signé Bokja. Photo Aya Saleh

Une thématique « bien assise »

Mais qu’en est-il de la scène libanaise ? Comment s’est développé au niveau local le design de cet élément mobilier majeur ?

C’est d’une certaine manière à cette interrogation que tente de répondre l’exposition « État de siège » que présente Joy Mardini à la galerie Tanit de Beyrouth. Une exposition que la curatrice, ex-galeriste promotrice des designers libanais et ancienne collaboratrice de la galeriste Naïla Kettaneh-Kunigk a montée à l’invitation de cette dernière qui souhaitait marquer, par une programmation variée, ouverte sur différentes formes artistiques, les cinquante ans d’existence de sa galerie Tanit à Munich ainsi que les 15 ans de sa galerie beyrouthine.

Une sélection de pièces choisies qui déroule donc, dans une scénographie particulièrement créative signée Rabih Koussa – avec ses étals en feuilles de béton dont certains hissés en hauteur sur les murs –, 20 sièges de 20 designers phares libanais offrant une sorte de panorama de la conception et la fabrication de chaises, fauteuils, canapés, tabourets et bancs design au Liban depuis la dernière décennie d’avant-guerre à nos jours.

Les chaises « Bee » de Georges Mohasseb. Photo DR

« Cette exposition ne prétend aucunement présenter de manière exhaustive les acteurs historiques et actuels du design au Liban », précise Joy Mardini. « En revanche, elle fait naturellement écho à l’exposition muséale itinérante « Beyrouth, les temps du design », initiée par Marco Constantini, le directeur adjoint du Musée de design et d’arts appliqués contemporains (Mudac) à Lausanne, et dont la première étape a été inaugurée la semaine dernière au Grand-Hornu en Belgique », signale-t-elle.

« J’ai toujours eu le désir de montrer l’évolution de cette production au niveau local. J’ai toujours eu envie d’aborder le design vintage libanais en mettant en lumière ses grands noms et en faisant dialoguer leurs conceptions avec celles de nos créateurs contemporains, indique la commissaire de l’exposition beyrouthine. L’occasion s’est finalement présentée avec ce vaste espace qui se prêtait idéalement à cette thématique «bien assise» (c’est le cas de le dire !). Sans compter qu’avec la situation que traverse le pays, le titre était lui aussi tout trouvé. »

Des tabourets signés Sami el-Khazen, Joe Naaman et Thomas Trad. Photo Aya Saleh

Dialogues vintage/contemporain

Un intitulé loin d’être anodin. Et qui vient aussi rappeler que cet objet mobilier peut aussi, au-delà de sa simple fonctionnalité et de son esthétique, véhiculer un message et même être porteur d’un manifeste.

C’est le cas de plusieurs des pièces exposées, dont l’une des plus « lisibles » est, sans doute, le canapé à malle et baluchon-matelas incorporés, évocateur des mulets qui transportaient les estivants et leurs petits mobiliers de Beyrouth à leurs lieux de villégiature au début du siècle dernier. Une pièce forcément unique signée du duo de sœurs créatrices de Bokja qui, dans les années 1990 au sortir de la guerre, ont fait du détournement des traditions et des patchworks de tissus anciens leur marque déposée.

Dans ce créneau de valorisation des traditions, on retrouve aussi les créations de Carlo Massoud, qui présente notamment un fauteuil en cordes travaillées par des artisans aveugles et montée sur une structure tubulaire en acier chromé. Sauf que ce designer trentenaire va aussi plus loin en alliant dans son processus le pur artisanal à l’industriel, en faisant même un passage par la technologie, dans un fauteuil bloc en mousse revêtu d’une matière solide, sorte de ciment à effet crépi, qu’il a réalisé avec sa sœur Marilyn Massoud, artiste-céramiste, dans une démarche inspirée du travail de l’argile…

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La céramique qui semble devenue l’un des matériaux privilégiés du moment chez les designers libanais, à en juger par les pièces les plus récentes. Une tendance sans doute en lien avec la disponibilité des matières premières et la restriction des modes de fabrication due à la situation de crise… Et qui donne, par exemple, chez le duo d’architectes-designers de 200 grammes une magnifique installation de tabourets aux formes organiques flirtant avec l’œuvre d’art.

À travers cette exposition qui déroule le fil d’une « création design libanaise » globalement en phase avec la modernité de son époque, mais toujours conditionnée par les contingences propres au pays, les visiteurs pourront découvrir, parallèlement à certaines pièces fortes des designers phares de la période actuelle, celles qui représentaient une certaine avant-garde avant la guerre. À l’instar des fauteuils ergonomiques en cuir noir de la série Cologne produits à la fin des années 1960-début 1970 par Interdesign et Khalil Khouri, l’architecte pionnier du design industriel au Liban (père du célèbre architecte Bernard Khouri) qui avait révolutionné le paysage du meuble de bureau en utilisant d’une manière novatrice la technique du bois en lamellé-collé.

Si certaines pièces, comme les tabourets en laiton à motifs moucharabiyé signés par l’architecte d’intérieur Sami el-Khazen, qui s’était fait connaître pour ses aménagements de lobby d’hôtel au cours des fastes années 1960-1970, paraissent aujourd’hui datées, leur côté maniériste, leur soin du détail tissent néanmoins un dialogue intéressant avec des pièces contemporaines très travaillées comme celles – en bois – du jeune Thomas Trad.

Idem pour les correspondances entre le jeu du bois ajouré dans l’interminable causeuse signée Nada Debs et les tabourets en bois Néfertiti d’inspiration égyptienne de l’architecte Joe Naaman et « qui avaient été largement diffusés dans les intérieurs beyrouthins dans les années 1970 », signale Joy Mardini…

D’autres rapprochements plus ou moins inattendus se font également entre la Elephant Chair des années 2000 (désormais éditée par Tachini) de Karen Chekerdjian et les chaises Bees de Georges Mohasseb, le fauteuil Troll (à assise en pouf) d’Anastasia Nysten et celui très carré de l’architecte d’avant-guerre Maurice Bonfils (père de l’architecte Jean-Marc Bonfils, l’une des victimes de la double explosion du 4 août 2020).

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Certaines des créations exposées jouent volontairement sur l’ambiguïté des utilisations et des époques. À l’instar des tables-tabourets en marbre, bois, laiton et cordes du duo d’architectes d’intérieur David et Nicolas qui revisitent les codes du mobilier des années cinquante. Idem pour le canapé rouge à la silhouette très fifties signé par le couple d’architectes Mado et Jean-Louis Mellerio en 1993, « et qui avait remporté cette année-là la compétition d’une marque de mousse internationale à laquelle participait entre autres le célèbre Jasper Morrisson », signale Joy Mardini…

Plus évident, le face-à-face entre le banc en cannage et bois peint de Carla Baz et celui en stries de bois et fer noir hyperprofilé de Bernard Khouri… Ou encore, le fauteuil et la chaise en peau naturelle de l’architecte Sara Jaafar et du designer Marc Baroud qui se sont tous les deux appuyés sur le savoir-faire des tanneurs.

Impossible d’évoquer, dans ces colonnes, l’ensemble des créations présentées dans cet agréable « État de siège » à la galerie Tanit. Des confrontations entre des univers parfois totalement opposés mais qui témoignent, s’il en faut, de la diversité des approches créatives des designers libanais, et surtout de leur adaptabilité aux matériaux et techniques de production disponibles localement.

Chaise en peau de Marc Baroud. Photo Aya Saleh

Des sièges « outils culturels »…

C’est d’ailleurs l’idée forte qui s’est dégagée de la table ronde qui a réuni, préalablement au vernissage, Bernard Khoury, Carla Baz, Carlo Massoud, Exil Collective et Karen Chekerdjian, entre autres représentants des différentes facettes du design au Liban.

Croisant leurs perspectives et expériences, ils ont dressé un tableau « réaliste, entre enthousiasmes et défis, de leur pratique du design au Liban aujourd’hui ». Ils ont notamment mis en lumière l’importance du contexte social et économique dans le processus de fabrication. Et cette force créative qui les anime et leur permet de tirer profit de la convergence de situations handicapantes qu’ils rencontrent pour les transformer en avantages. « C’est ce que l’on observe particulièrement en ce moment au Liban, avec le retour à la production artisanale ou semi-industrielle locale », affirme Anne-France Berthelon, la journaliste française spécialisée dans le design qui a modéré avec Marco Constantini cette rencontre suivie avec beaucoup d’intérêt par un public d’amateurs éclairés.

Anne-France Berthelon qui a beaucoup insisté sur la dimension conviviale du design libanais, parfaitement illustrée par cette exposition de sièges « qui, dans leur diversité, permettent de se rassembler, de converser et d’échanger. Ce qui en fait d’une certaine façon des outils culturels… ».

« État de siège » à la galerie Tanit de Beyrouth, Mar Mikhaël, imm East Village, jusqu’au 25 juin.

Concevoir une chaise. Rien de plus simple a priori ! Il suffit juste d’assembler une assise, un dossier et 4 pieds. Sauf qu’à partir de là, entrent en jeu les différentes déclinaisons de formes, matériaux et ornementations qui font que, depuis la nuit des temps, cet élément mobilier a inspiré la créativité des façonniers. Depuis les tabourets de l’Égypte antique, les divans des...

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