Rechercher
Rechercher

Société - Drame de Tripoli

« J’avais promis à mes enfants une vie meilleure, et voilà qu’ils sont morts »

Le bilan encore provisoire du naufrage d’une embarcation de fortune au large de Tripoli fait état de sept morts et 33 disparus, selon des sources sécuritaires.

« J’avais promis à mes enfants une vie meilleure, et voilà qu’ils sont morts »

Des proches en colère au cours des funérailles de l’une des victimes du drame à Tripoli. Ibrahim Chalhoub/AFP

Mohammad Dandachi éclate en sanglots avant d’arriver au bout de sa phrase. « J’avais promis à mes enfants une vie meilleure, et voilà qu’ils sont morts. La plus jeune avait quarante jours. » Ce jeune Libanais a perdu ses trois enfants dans le naufrage, dans la nuit de samedi à dimanche, d’une embarcation de fortune au large de Tripoli, après une apparente collision avec un bateau de patrouille de l’armée. L’embarcation transportait près de 85 migrants clandestins qui cherchaient à quitter le Liban pour l’Europe. Selon l’armée, le bateau était chargé huit fois plus que sa capacité maximale. Dans un premier temps, quelque 45 personnes ont été secourues, tandis que le corps d’une fillette d’à peine deux ans était repêché. D’autres corps ont refait surface par la suite, à Tripoli ou dans des localités plus lointaines comme Chekka, portant le nombre de tués à sept hier. La liste des disparus comptait toutefois toujours 33 noms, selon des sources sécuritaires interrogées par L’Orient-Le Jour. Lundi, les recherches se poursuivaient par voies maritime, terrestre et aérienne, mais l’espoir de retrouver des survivants s’amenuisait d’heure en heure.

L'éditorial de Issa Goraïeb

Destination néant

« C’est le désespoir qui m’a poussé à embarquer ma famille sur ce bateau de la mort », sanglote Mohammad. Il parle au nom de tous ceux qui se sont retrouvés sur cette embarcation de fortune pour fuir la misère à Tripoli, la plus pauvre des villes d’un Liban embourbé dans la plus grave crise économique de son histoire contemporaine.

Préférant rester anonyme, la mère de l’un des rescapés, qui attend des nouvelles de son second fils qui se trouvait lui aussi à bord de cette embarcation, fait assumer la responsabilité du drame au Premier ministre Nagib Mikati, originaire lui aussi de la capitale du Liban-Nord. « Cela fait longtemps que mes enfants cherchent du travail en vain, raconte-t-elle. Ils ont décidé de fuir les conditions de vie si difficiles ici. Il leur arrivait trop souvent de dormir le ventre vide ou de devoir sauter un repas durant la journée. » Nagib Mikati, ajoute-t-elle, « se pose en leader de la ville, mais il n’a jamais présenté un seul projet qui pourrait la sortir de la misère ! Bien au contraire, il s’est ligué avec le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL, parti fondé par le président de la République Michel Aoun) pour l’appauvrir, au lieu de défendre ses droits ».

Plus de 80 passagers qui ont payé chacun un millier de dollars

L’embarcation, comportant deux niveaux, datait de 1974, faisait 10 mètres de long et trois de large, et avait une capacité maximale de 10 passagers, selon l’armée. Les circonstances de l’embarquement de plus de 80 personnes à son bord, adultes et enfants, commencent à se préciser.

Suivant des informations obtenues par L’Orient-Le Jour, notamment auprès des rescapés, le responsable de l’organisation de cette traversée de la mort est un certain A.T.D. L’homme, qui se trouvait lui aussi sur le bateau avec sa femme et ses enfants, avait promis aux passagers – pour la plupart libanais (surtout des membres de sa propre famille), mais aussi des Syriens et des Palestiniens – une traversée vers la côte italienne, pays à partir duquel les migrants devaient rallier l’Allemagne. Selon plusieurs rescapés, il aurait exigé 1 000 dollars par personne, prétextant l’aménagement du bateau et l’achat de matériel pour rendre le voyage « sûr ». Beaucoup ont vendu le peu qu’ils avaient pour se lancer dans cette traversée de la Méditerranée.

Lire aussi

Colère et tristesse lors des funérailles des victimes du naufrage à Tripoli

C’est vers 22 heures, samedi, que les premières informations relatives au naufrage d’un bateau au large de Tripoli ont commencé à circuler. Les rescapés ont rapidement pointé un doigt accusateur vers l’armée, accusant la vedette militaire qui avait entravé leur chemin d’avoir provoqué le drame. Rinas, un jeune Syrien qui fait partie de ces rescapés, raconte que le navire militaire les a abordés près de l’île des Palmiers (au large de Tripoli), leur demandant d’arrêter leur course. C’est donc en voulant leur échapper que le conducteur du bateau est entré en collision avec l’embarcation militaire. En raison de la surcharge à son bord, le petit bateau n’a mis que quelques secondes à couler, selon ce rescapé.

Les circonstances du drame ont plongé les familles des victimes, des rescapés et des disparus dans une colère profonde qui n’a pas tardé à éclater, notamment dans les rues du quartier populaire de Kobbé, d’où proviennent la plupart des victimes. Des affrontements y ont eu lieu dimanche avec l’armée, qui essayait de rétablir l’ordre, avant qu’un calme précaire n’y revienne dimanche soir. Ce calme précaire régnait toujours dans la ville meurtrie lundi matin. D’autres manifestations ont eu lieu à Beyrouth et à Saïda, pour dénoncer la détérioration des conditions de vie qui poussent certains à de pareils actes de désespoir.

Lire aussi

Walid Fayad agressé par des manifestants à sa sortie d'un bar à Beyrouth

L’armée a exposé sa version de l’incident tragique lors d’une conférence de presse tenue par le général Haytham Dennaoui, commandant de la marine militaire. Celui-ci a expliqué qu’il ne se trouvait, à bord de l’embarcation, ni gilets de sauvetage ni bouées. En réponse aux accusations, il a expliqué que « l’armée a essayé d’empêcher le bateau de poursuivre sa route, mais celui-ci était trop rapide », précisant qu’il était « trop chargé pour pouvoir s’éloigner du rivage ». Il a également précisé que l’armée n’avait pas ouvert le feu. Selon le général Dennaoui, les militaires ont essayé, en vain, de convaincre les migrants de rebrousser chemin. « La manœuvre opérée par le conducteur de l’embarcation pour nous échapper a causé la collision », a-t-il dit.

Des secouristes prêts à recueillir des survivants sur la côte de Tripoli, le 24 avril 2022. Photo AFP

Des posters dans des quartiers délabrés

Ce drame est loin d’être la première crise, liée à la pauvreté, qui secoue Tripoli. En début d’année y a éclaté le scandale de jeunes attirés par des organisations terroristes en Irak : il avait alors été dit qu’ils fuyaient la misère et les poursuites continues des forces de l’ordre. La capitale du Liban-Nord a également souvent été le point de départ de migrants désespérés par le passé.

Pour Khaldoun Charif, un homme politique tripolitain, « ce nouveau drame découle lui aussi des crises successives résultant de la misère, du manque de développement, mais aussi de la pression sécuritaire et de la diabolisation de ses fils, qui étouffent littéralement » Tripoli. « Pourquoi les fils de cette ville ne voudraient-ils pas la fuir quand l’électricité y est coupée depuis une semaine, que l’eau n’y est plus distribuée et qu’ils se réveillent chaque matin sur une nouvelle hausse vertigineuse des prix ? » lance-t-il. Il ajoute : « Ces clandestins ont faim. Ils savent qui les a poussés jusqu’aux limites de la mort, de la maladie et de l’obscurité. Ces responsables, ils en contemplent les photos sur des posters géants accrochés au-dessus de leurs quartiers délabrés. » Deux organisations internationales, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations, ont publié un communiqué dans lequel elles confirment que les passagers à bord de l’embarcation n’étaient « pas moins de 84 », exprimant « leur tristesse profonde » en raison de ce drame. Le texte précise que, depuis le début de l’année, trois bateaux similaires au moins ont tenté de rallier l’Europe à partir des côtes libanaises, avec à leur bord non moins de 64 personnes. Deux de ces bateaux ont été interceptés dans les eaux libanaises.

Mohammad Dandachi éclate en sanglots avant d’arriver au bout de sa phrase. « J’avais promis à mes enfants une vie meilleure, et voilà qu’ils sont morts. La plus jeune avait quarante jours. » Ce jeune Libanais a perdu ses trois enfants dans le naufrage, dans la nuit de samedi à dimanche, d’une embarcation de fortune au large de Tripoli, après une apparente collision avec...

commentaires (7)

Le fait de pousser les citoyens à la mort pour ensuite venir payer chichement leur sang est devenue une chose courante au Liban. Ils verseront une centaine de dollars à chacune de ces familles qu’on envoie soit pour faire une guerre inutile soit les tuer dans des guerres non justifiées dans leurs fiefs, soit les faire exploser alors qu’ils sont chez eux ou qu’ils se trouvent à leurs bureaux. N’est ce pas la méthode des vendus depuis des décennies? Ils bradent les vies et sont fiers du fait que celle qui valait jadis des dizaines de milliers ne valent plus que des miettes, alors pourquoi arrêter à un si bon chemin. Ça leur revient beaucoup moins cher de payer des morts que d’améliorer la vie des vivants.

Sissi zayyat

11 h 47, le 27 avril 2022

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Le fait de pousser les citoyens à la mort pour ensuite venir payer chichement leur sang est devenue une chose courante au Liban. Ils verseront une centaine de dollars à chacune de ces familles qu’on envoie soit pour faire une guerre inutile soit les tuer dans des guerres non justifiées dans leurs fiefs, soit les faire exploser alors qu’ils sont chez eux ou qu’ils se trouvent à leurs bureaux. N’est ce pas la méthode des vendus depuis des décennies? Ils bradent les vies et sont fiers du fait que celle qui valait jadis des dizaines de milliers ne valent plus que des miettes, alors pourquoi arrêter à un si bon chemin. Ça leur revient beaucoup moins cher de payer des morts que d’améliorer la vie des vivants.

    Sissi zayyat

    11 h 47, le 27 avril 2022

  • La maman a pleinement raison. Plusieurs milliardaires sunnites de Tripoli plus avares les uns que les autres et manquant d’humanité. Des vils opportunistes magouilleurs devraient être taxés de 75 pour cent de leurs fortunes afin d’aider les tripolitains à trouver un travail noble et productif. Mikati est un sale opportuniste sans scrupules.

    Wow

    12 h 36, le 26 avril 2022

  • Il fallait pas que l'armée intervienne. Ou bien l'etat attire les investisseurs et cree des boulots ou quil foute la paix aux gens qui veulent s enfuir du pays. On nest pas en prison!!

    Tina Zaidan

    10 h 04, le 26 avril 2022

  • Tripoli, la plus pauvre des villes du Liban! Ces milliardaires qui se soucient de leurs concitoyens comme d'une guigne, sont les vrais responsables de ce drame. Je ne nommerai personne, mais suivez mon regard!

    Yves Prevost

    07 h 21, le 26 avril 2022

  • Condoléances a ce M. Dandachi mais en même temps, on ne fait pas une famille nombreuse quand on ne sait pas comment la nourrir. C'est bien sur toujours plus facile d'accuser l’armée qui ne fait que son boulot, que de faire face a la livide vérité, qui est celle d’être le meurtrier de ses propres enfants...

    Mago1

    04 h 50, le 26 avril 2022

  • Encore un terrible drame de la misère…Incroyable mais vrai…est-ce que le Liban a signé un accord quelconque avec les pays de l’UE pour empêcher qui que ce soit de désespéré de fuir le pays, ou de le dissuader de le faire par tous les moyens soit disant pour le protéger contre les risques d’un tel périple? Si c’est le cas, c’est vraiment le summum du cynisme et de l’hypocrisie…Ce pauvre miséreux est vraiment pris en otage entre crever de faim ou risquer sa vie et celle de sa famille avec le minimum d’espoir de se refaire sa vie ailleurs…Donc, non seulement nos politiciens criminels s’en contre-fichent de cette plèbe, au premier rang desquels notre premier ministre milliardaire, mais ils nous jouent encore une fois la comédie de l’enquête officielle qui ne mènera à rien et puis, on oubliera le tout jusqu’au prochain drame humain et…rebelote… business as usual…on ne verra pas la fin de la chute du Liban dans ce gouffre sans fond de sitôt!

    Saliba Nouhad

    02 h 45, le 26 avril 2022

  • Quelle horreur ! On ne peut pas leur reprocher de fuir la misère, l’Etat libanais est responsable de ce drame, ce n’est pas une vie décente !

    JoNad

    01 h 48, le 26 avril 2022

Retour en haut