Après le « tsunami » de 2005, le Mont-Liban I (qui regroupe les cazas du Kesrouan et de Jbeil) a été perçu comme un fief du Courant patriotique libre, fondé par le général Michel Aoun, lui-même député du Kesrouan entre 2005 et 2016. Les huit députés (sept maronites et un chiite) de la circonscription faisaient partie du bloc aouniste depuis le retour de Michel Aoun (en mai 2005) de son exil en France... jusqu’au scrutin de 2018. Cette année-là, le bloc Liban fort a subi un véritable camouflet. Sur les huit strapontins, la formation aouniste a dû céder deux sièges aux Forces libanaises et deux sièges à Farid Haykal el-Khazen (qui a rejoint le bloc des Marada de Sleiman Frangié), dont le chiite de Jbeil.
La bataille attendue en mai prochain dans cette circonscription promet donc d’être fiévreuse pour le parti dirigé par Gebran Bassil qui ne dispose même plus des acquis de 2018. Même la mission consistant à conserver ses deux sièges restants semble difficile, le CPL, qui fera front commun avec le Hezbollah, devant affronter cette fois-ci, outre ses adversaires traditionnels, les députés qui avaient claqué la porte du groupe parlementaire aouniste en 2020 : Neemat Frem et Chamel Roukoz.
Les forces en présence
Sept listes se lancent dans la bataille pour les huit sièges à pourvoir. L’une d’elles est le fruit de l’alliance entre le CPL et le Hezbollah. Elle affrontera la liste parrainée par les FL qui avaient créé la surprise en faisant leur entrée dans la région en 2018 grâce à la nette victoire de Ziad Hawat à Jbeil et Chawki Daccache au Kesrouan. Le duo CPL-Hezbollah se lance donc dans la bataille en rangs serrés. Tel n’est pas le cas des parties s’opposant au pouvoir, ni des forces nées dans la foulée du mouvement de contestation de 2019. Et ce, alors même que toutes ces parties partagent le même objectif : faire face au Hezbollah et battre les aounistes dans un de leurs bastions. Ainsi, Farès Souhaid, ancien député de Jbeil, connu pour ses positions radicales contre le tandem Baabda-CPL mais surtout contre le parti chiite, parraine une liste à laquelle s’est joint son partenaire de longue date Mansour el-Bone, ex-parlementaire du Kesrouan. Neemat Frem est parvenu, lui aussi, à former une liste née de son alliance avec les Kataëb et le Bloc national. Une quatrième liste d’opposition est également en lice, elle est parrainée par Farid Haykal el-Khazen et inclut Chamel Roukoz, gendre du président Aoun tout comme Gebran Bassil, mais adversaire déclaré de ce dernier. Sur cet échiquier, se greffent une liste parrainée par le mouvement Citoyens et citoyennes dans un État de l’ancien ministre Charbel Nahas, et une autre formée par des figures issues de la contestation. La bataille s’annonce donc très ouverte dans une région où, surtout au Kesrouan, les considérations familiales jouent un rôle encore plus important que les affiliations politiques.
Entre 2018 et 2022
Lors du scrutin précédent, le parti fondé par le chef de l’État s’est vu abandonné par son allié traditionnel, le Hezbollah. Ce dernier, et contre toute attente, a annoncé très tôt la candidature du cheikh Hussein Zeaïter (originaire de Baalbeck) au siège chiite de Jbeil. Une décision unilatérale qui a suscité l’ire des aounistes qui ont dû se tourner vers les figures traditionnelles du Kesrouan telles que Neemat Frem et Mansour el-Bone. Leur liste, alors menée par Chamel Roukoz, avait raflé quatre sièges : Neemat Frem (10 717 voix); Simon Abi Ramia (9 729 voix préférentielles) ; Chamel Roukoz (7 300 voix) et Roger Azar (6 793 voix). Pour la bataille de 2022, le CPL ne peut plus compter sur les deux figures de poids dans la région : Neemat Frem et Chamel Roukoz ont claqué la porte du bloc aouniste. Dans ce contexte, des calculs tout à fait différents sont faits par la formation de Gebran Bassil dans la perspective du scrutin. La liste CPL-Hezbollah inclut notamment Nada Boustani, ancienne ministre de l’Énergie, qui brigue un des cinq sièges du Kesrouan, et Simon Abi Ramia et Walid Khoury à Jbeil. De source informée, on apprend que M. Khoury, conseiller du président de la République pour les affaires liées à la santé, se lance dans la course à la demande de Michel Aoun. Quant à Simon Abi Ramia, il avait remporté les élections internes du CPL tenues en novembre dernier pour choisir les candidats du parti aux législatives.
La multitude de candidats met le CPL face au risque de perdre de facto le second siège maronite de Jbeil, si les voix de cette formation doivent être éparpillés entre ses deux candidats. Pour ce qui est du Kesrouan, « nous sommes confiants de la victoire de Nada Boustani, car elle est la seule candidate affiliée au CPL » dans ce caza, commente un responsable au sein du parti de Gebran Bassil. « Quant à Jbeil, ce qui nous importe, c’est que l’un de nos deux candidats puisse remporter la bataille. Car nous sommes pragmatiques et conscients que nous ne pourrons pas battre Ziad Hawat », ajoute Bassam Ghanem, responsable à la section de Jbeil au sein du CPL. Les aounistes reconnaissent donc la difficulté pour eux de revenir à la période de 2005-2009 durant laquelle ils monopolisaient la représentation dans cette circonscription.
En face, la machine électorale des FL (qui ont tendu la main au Parti national libéral, qui soutient l’avocat Antoine Sfeir) s’attend à voir Ziad Hawat et Chawki Daccache aisément réélus. Dans certains cercles proches de la machine électorale de M. Hawat, on évoque le chiffre de 15 000 voix que pourrait récolter le député jbeiliote. « Cela s’explique par le fait que Ziad Hawat est proche de tous les Jbeiliotes, quelles que soient leurs affiliations politiques », explique Kamal Richa, expert électoral. Il souligne en outre que la liste menée par Neemat Frem obtiendra un siège (celui du parlementaire démissionnaire lui-même). Quant à Farès Souhaid, sa liste née suite à l’’échec des tractations avec le duo Frem-Kataëb pourrait obtenir un siège, estime-t-il.
Principaux enjeux
Le siège chiite de Jbeil : tous les regards sont braqués sur le seul siège chiite de la circonscription. En 2018, ce siège a échappé à la fois au candidat présenté par le CPL et à celui soutenu par le Hezbollah, dont la liste n’a pas atteint le coefficient électoral dans cette circonscription. La liste du parti de Dieu a en effet obtenu 12 551 voix alors que le seuil électoral s’élevait à 14 452. Elle n’a donc obtenu aucun siège, bien que Hussein Zeaïter ait obtenu le plus grand score parmi les candidats chiites, avec 9 369 voix. Son adversaire Moustapha Husseini n’a eu besoin que de 256 voix préférentielles pour le battre grâce à l’apport des voix de ses colistiers Farid el-Khazen et Farès Souhaid. Cette année, le CPL et le Hezbollah se sont en principe mis d’accord sur le siège chiite qui reviendrait au Hezb en échange d’un siège chrétien à Baalbeck-Hermel pour le CPL. À la faveur de ce rapprochement, l’homme d’affaires chiite Raëd Berro appuyé par le parti de Hassan Nasrallah a rejoint la liste aouniste. Théoriquement, le Hezbollah devrait remporter cette bataille. « En 2022, c’est nous qui allons aider le Hezbollah à remporter le siège chiite », affirme le cadre aouniste cité plus haut, excluant le fait de voir la formation de Hassan Nasrallah accorder des voix aux candidats du CPL. « Mais si la liste Souhaid parvient à remporter un siège et que, du fait des effets pervers du mode de scrutin, ce ne sont ni M. Souhaid ni M. Bone qui en profitent, il se pourrait que le candidat chiite sur cette liste, quel que soit son score, soit élu », analyse Kamal Richa.
Deux des sièges du Kesrouan : au moins trois des cinq futurs députés du Kesrouan sont déjà assurés d’être élus : Neemat Frem, Chawki Daccache et Nada Boustani. Les deux autres sièges semblent principalement disputés entre Farid el-Khazen et Salim Sayegh, vice-président des Kataëb.
Fiche technique
Deux cazas : Jbeil et le Kesrouan.
Huit sièges à pourvoir : sept maronites et un chiite.
Nombre d’électeurs inscrits : 182 524 dont 12 925 expatriés.
Répartition confessionnelle des électeurs : 75 % maronites ; 11 % chiites; 4 % grecs-orthodoxe ; 4 % grecs-
catholiques ; 2 % sunnites ; 1 % arméniens orthodoxes ; 2 % autres.
Seuil électoral (en 2018) : 12,5 % des voix, soit 14 452 voix.
Les listes en compétition
1 – La liberté est un choix : Farès Souhaid + Mansour el-Bone
Jbeil : Farès Souhaid ; Assaad Rechdane ; Machhour Haïdar Ahmad.
Kesrouan : Bahjat Salamé ; Mansour el-Bone ; Moussa Mansour Zgheib.
2 – Le cri d’une nation : Neemat Frem + Kataëb + Bloc national
Jbeil : Najwa Bassil ; Naoufal Naoufal ; Amir Mokdad.
Kesrouan : Neemat Frem ; Wajdi Tabet ; Salim Sayegh ; Joséphine Zgheib ; Julie Daccache.
3 – Capables : Citoyens et citoyennes dans un État (MMFD)
Jbeil : Dominique Torbey ; Farah Nasser.
Kesrouan : Boutros Khalil ; Charbel Freiha.
4 – Le cœur du Liban indépendant : Farid el-Khazen + Chamel Roukoz + indépendants
Jbeil : Émile Naoufal ; Tony Khairallah ; Ahmad Mokdad.
Kesrouan : Farid el-Khazen ; Toufic Salloum ; Chamel Roukoz ; Chaker Salamé ; Salim Hani.
5 – Nous étions et nous resterons : Courant patriotique libre + Hezbollah
Jbeil : Walid Khoury ; Simon Abi Ramia ; Raëd Berro.
Kesrouan : Wassim Salamé ; Rabih Zgheib ; Tony Kreidi ; Imad Azar; Nada Boustani.
6 – Avec vous nous pouvons jusqu’à la fin : Forces libanaises + Parti national libéral
Jbeil : Ziad Hawat ; Habib Barakat ; Mahmoud Awad.
Kesrouan : Caren Boustani ; Chawki Daccache ; Joe Raaïdy ; Chadi Fayad; Antoine Sfeir.
7 – Nous sommes le changement : contestation
Jbeil : Rania Bassil ; Ghassan Germanos ; Talal Mokdad.
Kesrouan : Zeina Kallab ; Simon Sfeir.
Incroyable combien des partis dans un petit pays comme le Liban . Les anti Hezbollah doivent s’unirent et basta …
17 h 29, le 23 avril 2022