L’odeur du kérosène en sortant de l’avion, une bouffée de chaleur, quatre personnes sur le même scooter qui traversent l’autostrade, les murs criblés de balles, les immeubles sans vitres, Adamo à la radio, je viens d’arriver chez moi. Beyrouth, je t’ai dans la peau.
Il faut y aller pour comprendre. Le Liban, c’est des églises en face de mosquées, le ski le matin, la mer l’après-midi, des feux de circulation qui ne fonctionnent pas, des passages cloutés inexistants. C’est un joyeux bordel. Ce bordel qui fait que chaque personne mettant un jour un pied au Liban y laissera une partie de son cœur. Je suis persuadée qu’il n’est pas nécessaire d’avoir du sang libanais ou d’avoir vécu là-bas pour s’y sentir chez soi.
Se balader dans les rues de Beyrouth est la chose qui vous rend le plus humain au monde et surtout le plus vivant. Les petits vieux avec leurs chariots de « kaak », les mendiants qui vendent des « Chicklets » fondus sur l’autoroute, les joueurs de trictrac, les « Barbies », les barbus, les fumeurs de chicha, les artisans, les vieilles qui font le signe de croix et les gens qui klaxonnent.
Conduire au Liban est tout un art. Une main sur le volant, l’autre sur le klaxon, et la magie opère. Les gens s’insultent : ça a tellement plus de gueule de se disputer en arabe. S’il y a bien une raison pour laquelle je veux apprendre cette langue, c’est pour pouvoir me disputer.
Le Liban, c’est aussi l’odeur du café turc. Là-bas, le café a un parfum qui vous saisit les narines à 20 mètres. Là-bas, le café, c’est sacré. Je pense que les Libanais ont autant d’énergie grâce à la quantité de café ingurgitée chaque jour. Il n’est pas envisageable de s’en passer. Il y a ceux qui boivent leur café après le déjeuner confortablement dans un canapé, ceux qui le boivent sur une chaise en plastique cassée sur le trottoir, sur les terrasses ou dans les parkings. Boire du café au Liban, c’est un rituel social : la voisine descend, l’électricien nous rejoint, les ouvriers s’assoient sur leurs chantiers et les vieilles se retrouvent.
Les vieilles de Beyrouth sont au courant des ragots de toute la ville, Instagram ne leur arrive pas à la cheville. « Tu as vu avec qui s’est marié le fils untel ? » « Vous avez vu? La fille de ma coiffeuse s’est fait refaire le nez. » « Tu as vu la tête du bébé de Maya, yaaay, qu’il est moche. »
Mais le Liban est avant tout un art de vivre ou en tout cas un art de survivre. Même les plus pauvres vous accueillent comme des rois. Les Libanais ont un désir de vivre, une capacité de résilience qui est unique au monde. Vivre tant qu’il est encore temps, car on ne sait jamais de quoi demain sera fait. À Noël, vous ne verrez jamais une ville aussi décorée que Beyrouth. Même si la population est ruinée, désespérée, à chaque Noël, Beyrouth s’illumine plus que les Champs-Élysées, les gens s’accrochent et célèbrent. S’il y a la guerre demain, dansons ce soir.
4 août 2020, Beyrouth explose et mon cœur avec. Le coup de grâce pour ce peuple épuisé. Aujourd’hui, le Liban saigne, le Liban pleure et je pleure avec lui. Mais toi, peuple libanais pour qui j’ai tant d’admiration, bats-toi et continue à faire ce que tu fais de mieux : relève-toi et continue, car un pays ne peut mourir si son peuple est toujours vivant.
Tu vois téta, tu es nostalgique du Liban d’avant. Un Liban que j’aurais adoré connaître. Mais moi, j’aime celui d’aujourd’hui avec tout son bordel. C’est sûr que je n’y vis pas, que je ne peux imaginer ce que le quotidien doit être. Mais je t’en prie, continue à être fière, à croire en ce peuple si exceptionnel. Je ne te remercierai jamais assez de m’avoir liée à ce pays et son histoire. Certains le verront comme un fardeau, une peine perdue, mais pour moi, c’est ma plus grande fierté que d’être libanaise et d’avoir 50 % de mon cœur accroché sur l’une des branches de ton cèdre.
Yasmine DEMARQUETTE
Franco-Libanaise vivant en Suisse
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Merci Yasmine Demarquette❤️❤️❤️
20 h 29, le 20 avril 2022