Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Beyrouth Insight

Domtex, pour Domestic Textiles et l’amour du textile

Le nom de la famille Asseily est associé aux textiles dont elle fut la meilleure ambassadrice à l’étranger, avec à sa tête Georges et Charlotte, la mère. Celle-ci a donné aux serviettes, peignoirs et linge de maison une nouvelle jeunesse.

Domtex, pour Domestic Textiles et l’amour du textile

Tony Asseily dans ses bureaux devant les photos de la famille, son père, sa mère et son frère Georges. Photo Carla Henoud

L’immeuble Domtex, construit entre 1947 et 1948 par Édouard Asseily avec comme architecte Umberto Turati, demeure un lieu emblématique de l’âge d’or de Beyrouth. Situé au croisement de la rue Hamra et de la rue Abdelaziz, on ne voit que lui, paré de sa couleur rose qui vient rompre la grisaille de cette rue devenue bien trop nostalgique.

L’histoire de la marque a commencé en 1962, quand Charlotte Bekhazi Asseily a décidé d’ajouter sa touche personnelle à l’usine familiale de textile, qui produisait déjà des serviettes éponge et de tissu capitonné. Auprès de son époux Édouard Asseily et de leur fils Georges qui menaient l’affaire avec la tête et le cœur, cette femme de caractère et de goût décide d’insuffler une valeur ajoutée à un produit classique, le transformant en article de mode. C’est ainsi qu’elle s’attelle à concevoir des modèles de serviettes de bain, des peignoirs et des pantoufles en osant les couleurs et les motifs, et ouvre un atelier et une salle de vente au-dessous de sa maison, dans cet immeuble aujourd’hui restauré et qui a longtemps battu au rythme de la rue Hamra. « Les Libanais boudaient les produits locaux, confie Tony Asseily, son autre fils, qui a longuement travaillé dans la finance avant de prendre en charge l’entreprise familiale. Nous exportions vers les pays arabes et même Londres… Ma mère a voulu donner un coup de main, et c’est ainsi que la marque Domtex – un diminutif de Domestic Textiles – a décollé, au Liban et dans toute la région. Nous recevons jusqu’à présent des commandes de nos clients des pays arabes, de filles et de fils d’anciens clients qui veulent des serviettes et des draps brodés ou personnalisés avec leur nom brodé dessus. »

Domtex dans l’immeuble icônique rose de la rue Hamra, construit entre 1947 et 1948 par l’architecte Umberto Turati. Photo Carla Henoud

Dans son bureau, tout comme les autres pièces administratives, le temps semble s’être arrêté aux belles années du Liban. Sur les murs et les étagères, des photos, des trophées qui ont jalonné les succès de la marque et ceux des deux frères… Dans les ateliers, quelques étages plus bas, les ouvrières — certaines sont là depuis le début et continuent leur travail patiemment, telles des abeilles dans leurs ruches. Et la boutique, avec pignon sur rue (tout comme la succursale de Sodeco, qui a survécu à la guerre), propose encore ses produits dans une mise en place sans cesse renouvelée. « Durant les années 60, ma mère organisait des genres de minidéfilés, des présentations de nos articles dans nos boutiques – dont la première à Hamra était décorée par Michel Harmouch – avec des mannequins qui passaient entre les invités… » Certes, les diverses crises qu’a connues le Liban et les coups bas portés au secteur industriel durant et après la guerre ont eu raison de l’essor et des efforts de la famille. Cependant, l’entreprise continue d’employer une vingtaine de familles et de produire ses classiques. « Sur le plan industriel, le Liban, par le passé et même aujourd’hui, avait et a beaucoup à offrir. Il est vrai que la main-d’œuvre en particulier est plus chère qu’ailleurs, mais elle a aussi un savoir-faire qui rapporte un plus aux produits finis. Mais pour travailler dans l’industrie, certaines responsabilités, comme l’approvisionnement fiable en énergie, en eau, ou même des zones industrielles spécialement aménagées avec une infrastructure appropriée pour recevoir des industries ou la formation de techniciens ou des financements bonifiés, incombent à l’État, comme c’est le cas dans d’autres pays. Cela n’est malheureusement pas le cas au Liban où l’immobilier et le crédit coûtent cher et l’industriel ne peut pas compter sur une provision de courant électrique ou d’eau fiables, et donc doit investir ses propres fonds pour se les procurer », observe avec regret Tony Asseily qui a construit une brillante carrière à la City à Londres, devenant le partenaire de la banque d’affaires britannique Schroders au Liban et au Moyen-Orient.

Durant les années 60, Charlotte Asseily organisait des minidéfilés dans les boutiques Domtex. Photo DR

L’aventure commence en 1938

Toujours attaché à la marque pour des raisons essentiellement sentimentales, doublées d’une sorte de fidélité au pays, il raconte : « Tout a commencé en 1938, quand mon père et sa famille ont décidé de mettre en place une usine de filature de coton. Avant cela, la famille travaillait dans le marché du gros, vendant diverses graines, du coton brut, du café et d’autres produits. Mon grand-père et mon grand-oncle, Constantin et Nagib, avaient entamé leur travail au XIXe siècle. » Constantin et sa femme Adèle, née Ferneiné, eurent trois fils, Michel, Gabriel et Édouard. Constantin et Adèle quittèrent ce monde ensemble un triste jour de 1909. Elle périt d’une fièvre contractée durant une fausse couche, il fut emporté par ses émotions, incapable de survivre à sa chère moitié. Nagib mourut quelques années plus tard, de vieillesse probablement, passant le flambeau à ses fils Alfred, Albert, William et Edmond. « L’histoire raconte que mon père, ses frères et leurs cousins ont tout vendu, même leurs alliances, pour mettre en place cette usine ! Les machines provenaient du Royaume-Uni », confie M. Asseily. La Seconde Guerre mondiale éclate peu après l’ouverture de l’usine, mais cela n’empêche pas le succès. Les Asseily importent le coton d’Égypte, le filent au Liban, et l’exportent vers les pays de la région et au Pakistan. Dans les années qui suivirent la fin de la guerre, l’activité de l’usine s’étendra au tissage du fil et à sa teinture. La fabrique construite à Jdeidé, quand cette localité n’était encore qu’un immense champ de citronniers et d’orangers, est baptisée Filature nationale de coton. Réputée pour ses tissus de coton écru, elle deviendra l’entreprise non pétrolière la plus importante du Moyen-Orient et emploiera quelque 2 000 personnes. En reconnaissance de son importance, Eleanor Roosevelt, la veuve du président Roosevelt, se rend même à l’usine lors d’une visite officielle qu’elle effectua au Liban dans les années cinquante. Durant la même décennie, Édouard Asseily décide d’ouvrir une usine de coton hydrophile qu’il installe à Chiyah. Cette usine restera opérationnelle jusqu’au début de la guerre du Liban en 1975.

Pour mémoire

Familles Les Asseily : caresser le coton dans le sens du fil(photo)

Ses fils grandissent, Georges se rend à l’Université de Leeds, au Royaume-Uni, où il décroche un diplôme d’ingénieur textile (se spécialisant dans les fibres synthétiques) puis un diplôme d’études supérieures d’économie de la London School of Economics. Tony rejoint l’Université d’Oxford où il étudie l’économie puis obtient un doctorat en économie de l’Université de Londres. « Mon frère Georges est rentré au Liban avec des idées plein la tête. Il a commencé par moderniser l’usine de Chiyah et a ajouté à la production du tissu éponge celle de couvertures et tapis needle punched (non tissés) utilisant pour la première fois la fibre synthétique au Liban, la courtelle », dit-il. Les couvertures se font à la fois plus légères, mais plus chaudes, plus pratiques et plus faciles à manipuler que les couvertures en laine et surtout moins chères. Les tapis sont plus solides, lavables et moins chers. Georges Asseily introduira aussi le capitonnage de tissu qui servira plus tard à produire des couvre-lits et anoraks par Domtex. « Nos produits, qui se vendaient surtout à l’export, étaient un peu boudés par le marché libanais qui faisait davantage confiance aux produits venus d’Occident. C’est à ce moment que ma mère a mis la main à la pâte et a lancé en 1962 Domtex, donnant forme aux tissus éponge et capitonnés », poursuit Tony Asseily.

La boutique Domtex toujours présente à la rue Hamra. Photo Carla Henoud

La marque fait un tabac. Ses robes de chambre capitonnées et ses peignoirs en éponge deviennent un must pour toute femme désireuse de suivre la mode jusque dans sa chambre à coucher et sa salle de bains. Les serviettes, sur commande, se vendent aux plus grands hôtels de Beyrouth et du Golfe, et les robes de chambre et abayas seront même en vente chez Harrods à Londres. Ayant contracté le virus textile, Georges Asseily devient à 36 ans président de l’Association des industriels du Liban. Quelques mois après le début de la guerre du Liban, en octobre 1975, l’usine de Chiyah est incendiée délibérément par des miliciens et détruite à 90 %. L’activité industrielle part en cendres, mais la famille continue tout de même à faire fonctionner Domtex avec une matière première qui malheureusement n’est plus fabriquée au Liban, mais provient de pays asiatiques et européens, notamment la Turquie et le Portugal. Ce n’est qu’au cours de ces trois dernières années que Tony Asseily a pris la relève de son frère, installé à Londres, et de sa mère, décédée en novembre 2011. Avec le temps, Georges Asseily, qui avait vu grand pour le Liban, a ouvert avec sa femme Alexandra le magnifique musée de la soie à Bsous. Tony et son épouse Youmna produisent depuis plus de quinze ans leur propre vin à Bordeaux, Château Biac, devenu célèbre dans le monde, notamment aux États-Unis. Mais ça, c’est une autre (belle) histoire...

L’immeuble Domtex, construit entre 1947 et 1948 par Édouard Asseily avec comme architecte Umberto Turati, demeure un lieu emblématique de l’âge d’or de Beyrouth. Situé au croisement de la rue Hamra et de la rue Abdelaziz, on ne voit que lui, paré de sa couleur rose qui vient rompre la grisaille de cette rue devenue bien trop nostalgique. L’histoire de la marque a commencé en 1962,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut