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Moyen-Orient - Focus

L'Arabie saoudite au cœur du développement de l’eSport dans la région

Pionnier régional dans le domaine, Riyad investit massivement dans cette industrie depuis ces dernières années. 

L'Arabie saoudite au cœur du développement de l’eSport dans la région

Alors qu'elle cherche à diversifier son économique dans le sillage du plan Vision 2030, l'Arabie saoudite investit massivement dans l'eSport. Photo AFP

Décembre 2019. Riyad. Des rayons de lumière rouge et bleu illuminent la salle et les 30.000 spectateurs venus assister à la Nexus Arabia, le premier tournoi officiel de League of Legends au Moyen-Orient. Pendant deux jours, les huit meilleures équipes de la région sont rassemblées pour s’affronter. Face au public, un écran monumental a été dressé. Il diffuse la partie en train de se jouer entre les équipes d’eSport. Les écrans latéraux, affichent successivement les visages des joueurs, les blasons des équipes, et les scores. Sur fond de musique électronique, les voix des commentateurs tentent de décrire le plus précisément possible les dernières actions réalisées. Cet impressionnant dispositif, digne des plus importantes compétitions sportives internationales, se veut l’une des vitrines de l’intérêt grandissant de Riyad pour l’industrie de l’eSport et des jeux vidéo.

Ces dernières années, la création et l'accueil de compétitions et de tournois eSport par l’Arabie saoudite se sont multipliés. Faisant du royaume le pionnier régional dans le domaine, la première ligue professionnelle d’eSport au Moyen-Orient a été créée en 2019 suite à la conclusion du partenariat entre le diffuseur saoudien MBC et l’Electronic Sports League (ESL). "L’Arabie saoudite compterait entre 23 et 25 millions de joueurs, ce qui représente 67% de sa population globale", explique Philippe Blanchard, fondateur de Futurous, un mouvement qui promeut les sports du futur. "C'est l’un des seuls pays au monde où le niveau de représentation est tel", remarque-t-il.

Alors que le royaume wahhabite cherche à diversifier son économie et à promouvoir des industries non-pétrolières sous la bannière du plan Vision 2030 lancé en 2016 par le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), l’eSport représente un fort potentiel économique pour Riyad. En 2021, le bénéfice des industries de l’eSport et des jeux vidéo sur le marché saoudien s’élevait à un milliard de dollars. Il devrait atteindre les 6,8 milliards USD à l’horizon 2030. Signe de l’anticipation par l’Arabie saoudite des juteuses retombées économiques de ce secteur, le ministre saoudien des Communications et de la technologie d’information, Abdullah Alswaha, a annoncé l’investissement de 6,4 milliards USD pour 2022 dans les technologies du futur, dont l’eSport, lors de l’exposition LEAP tech de Riyad.

Autre indicateur de la volonté d’intensifier les investissements dans ce domaine, le lancement par le fonds public d’investissement saoudien du Savvy Gaming Group, présidé par Mohammed ben Salmane, qui affiche comme objectif de se placer comme "pionnier dans le développement des industries du jeu vidéo et de l’eSport localement et internationalement". Ce même fonds détient des participations dans diverses entreprises productrices de jeux vidéo, comme le japonais Nexon ou encore les américains Electronic Arts et Activision Blizzard, éditeur du jeu "Call of Duty" particulièrement apprécié par le prince héritier. "Avec l’eSport, il y a un écosystème qui crée de la valeur ajoutée", souligne Philippe Blanchard.

Stratégie de professionnalisation

L’ambition saoudienne de devenir un hub du divertissement digital ne cesse de grandir. "Je pense que c’est encore le début, l’industrie va continuer à grossir et les Saoudiens vont continuer à investir", soutient Sussan Saikali, chercheure associée à The Arab Gulf states Institute in Washington. Premier marché de la région dans le domaine, l’Arabie saoudite devance les Emirats arabes unis et l’Égypte. La combinaison par le royaume d’une population particulièrement jeune -60% de la population saoudienne aurait moins de 30 ans- et la haute qualité de ses infrastructures télécoms, avec un taux de pénétration d’internet en Arabie saoudite de 93% selon le portail de statistiques en ligne Statista, lui confère des avantages majeurs dans le domaine.

Le royaume mène, en outre, une stratégie de professionnalisation des nationaux dans le domaine. De l’Académie Tuwaiq, proposant des cours pour débutants et professionnels désireux de se perfectionner, au programme "Game Changers" visant à encourager l’engagement des entrepreneurs saoudiens dans le domaine de l’eSport et de la création de startups, l’Arabie saoudite entend donner les moyens aux talents nationaux. Riyad envisage également d’ouvrir un studio visant à créer et distribuer les jeux d’un grand éditeur, premier du genre dans la région dans la mégapole futuriste Neom. En dépit des nombreux investissements et projets engagés par Riyad dans le secteur de l’eSport, la centaine de joueurs professionnels saoudiens font pâle figure à côté de la proportion de joueurs américains, français ou encore sud-coréens. "Comme dans les autres parties du monde, les jeux vidéo et l’eSport ne sont pas toujours pris au sérieux", explique Sussan Saikali.

Pour mémoire

En Arabie saoudite, la révolution sociétale est en marche

Pourtant, le récent intérêt de l’Arabie saoudite pour les sports électroniques s’inscrit dans une stratégie plus large de développement et de projection d’une puissance culturelle sur la scène internationale. Selon certains observateurs, l’eSport comme outil au service du soft power saoudien, pourrait évoluer dans le sens d’une véritable "diplomatie de l’eSport". L’émergence de joueurs professionnels nationaux et leur participation à des compétitions internationales, participent au rayonnement saoudien à l’international. En 2015, Abdulaziz Alshehri devenait ainsi le premier saoudien à gagner la FIFA Interactive World Cup. Quant à Najd Fahad, elle remportait en 2020 le tournoi féminin du FISU eSports Challenge. "Ce qui est intéressant dans cette diplomatie, c’est qu’elle n’est pas seulement développée au niveau des gouvernements, la diplomatie de l’eSport intègre les citoyens, elle instaure une relation du bas vers le haut", explique Sussan Saikali.

Si le royaume fait régulièrement l’objet de critiques internationales concernant les droits et libertés, notamment à l’égard des femmes, le président de la Saudi eSports Federation, Fayçal ben Bandar Al-Saoud, a affirmé veiller à ce que les événements de l’organisation soient ouverts aux compétiteurs des deux genres, soutenant que la population des joueurs d’Arabie saoudite serait "l’une des plus féminisées au monde" avec "51% d’hommes et 49% de femmes". L’entrée saoudienne dans la communauté de l’eSport ne se fait cependant pas sans résistances. De nombreux membres dénoncent les violations des droits humains par le royaume, comme en juillet 2020 où le championnat d’Europe League of Legends de Riot Games s’était retiré de son partenariat avec Neom, la cité futuriste saoudienne, après la menace par des supporters de boycotter l’événement pour s’opposer aux lois anti-LGBTQI+ saoudiennes. D’autres voix dénoncent l’utilisation par l’Arabie saoudite de l’eSport à des fins de sportwashing, soit comme un moyen pour légitimer son régime oppressif et détourner l’attention de ses agissements, critiques qui semblent toutefois peu susceptibles d’enrayer la machine de l’eSport saoudien. 

Décembre 2019. Riyad. Des rayons de lumière rouge et bleu illuminent la salle et les 30.000 spectateurs venus assister à la Nexus Arabia, le premier tournoi officiel de League of Legends au Moyen-Orient. Pendant deux jours, les huit meilleures équipes de la région sont rassemblées pour s’affronter. Face au public, un écran monumental a été dressé. Il diffuse la partie en train de se...

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