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Société - Reportage

Dans Bnaafoul en deuil, les soupçons des habitants le disputent à la version officielle

Ali al-Rez, fils du président du conseil municipal de la région et cadre du mouvement Amal, a succombé à ses blessures. Les habitants sont toujours sous le choc.

Dans Bnaafoul en deuil, les soupçons des habitants le disputent à la version officielle

Une parade a été organisée pendant les funérailles de Ali al-Rez, victime de l’explosion de Bnaafoul. Photo João Sousa

Sur la scène du drame, deux coupes de compétition sportive gisent sur le sol. Autour des ruines d’un bâtiment détruit par une explosion hier dans le village de Bnaafoul près de Saïda, un groupe d’habitants, dont certains portent des t-shirts ou des blousons à l’effigie d’Amal, se tiennent sur les décombres, visiblement pour boucler le secteur. Les deux étages de l’immeuble sinistré sont comme écrabouillés l’un sur l’autre. Bouts de verre, chaises en plastique cassées, drapeaux d’Amal et des scouts déchiquetés, voitures calcinées… Le périmètre de l’explosion est presque rasé. Dans ce bâtiment se trouvait le siège de la municipalité du village de Bnaafoul et un centre de la Défense civile et des scouts al-Rissala affiliés au mouvement Amal. À la suite de la puissante déflagration survenue dans la nuit de lundi à mardi, dont les causes n’ont toujours pas été élucidées, six blessés ont été transportés à l’hôpital Raï. Deux d’entre eux seraient toujours en soins intensifs. Le fils du président du conseil municipal de la région, Ali al-Rez, est décédé des suites de ses blessures.

Selon le communiqué de presse du mouvement Amal, « aux alentours de 2h, une explosion a retenti dans un bâtiment adjacent à celui de la municipalité de Bnaafoul, dont la Défense civile des scouts d’al-Rissala occupe une partie ». La formation explique que « selon des informations préliminaires, un court-circuit est survenu et a entraîné l’explosion de bonbonnes d’oxygène stockées dans l’immeuble pour traiter les patients atteints de Covid-19 dans le village ».

Une source d’Amal avait indiqué hier matin à notre publication qu’une enquête est en cours pour connaître les raisons de l’explosion. Cette source avait précisé que toutes les informations selon lesquelles cette explosion provient d’une roquette ou d’un drone ne sont que « des rumeurs ». « Le mouvement Amal va enquêter sur les raisons derrière l’explosion de même que les services de sécurité », a assuré la source. Il ne s’agit pas d’un acte de sabotage, a indiqué par ailleurs une source de sécurité à l’agence Reuters, refusant de donner davantage de précisions. Aucune information portant sur les causes de l’explosion émanant des Forces de sécurité intérieure (FSI) ou de l’armée libanaise n’avait encore filtré hier.

Pour mémoire

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Le moukhtar de la localité, Hussein Abdel Nabi, réitère pour L’Orient-Le Jour l’argument des bonbonnes d’oxygène. « Parfois des jeunes, des scouts, passent leurs soirées dans le centre, d’autres fois on y accueille des cas d’urgence médicale », dit-il. « Ce n’est pas vrai qu’il y a un dépôt de munitions, comme l’ont rapporté certains médias. L’armée et les forces de sécurité sont arrivées en pleine nuit et ont bouclé le secteur. Nous attendons les résultats de leur enquête », poursuit le moukhtar, jusqu’à ce qu’un homme près de lui demande d’arrêter l’interview. En milieu de journée, l’armée et la Sûreté générale avaient déjà quitté les lieux.

La thèse des bonbonnes d’oxygène ne convainc pas Walid*, qui se tient juste à l’entrée du village. « Je n’y crois pas, c’est sûr qu’il y avait des armes ici », lance-t-il. « Mais tu dis n’importe quoi, il n’y a rien là-bas », réplique un homme qui l’accompagne. « Je ne suis pas contre qu’il y ait un centre militaire, mais pas en plein milieu d’une zone résidentielle », insiste Walid.

Selon une source anonyme du village, il y aurait eu dans ces lieux du mazout, de l’essence et un genre de dissolvant. « C’est pour ça qu’il vaut mieux que vous restiez loin de la zone », nous conseille-t-elle.

Sur les lieux de l’explosion de Bnaafoul, le bâtiment a été complètement détruit. Photo João Sousa

Plusieurs déflagrations

La tension est palpable dans le village, et toute thèse démentant celle du mouvement Amal n’est pas acceptée. « Certains médias ont travesti la vérité dans un objectif politique, en prétendant que le centre était un dépôt d’armes relevant du mouvement. Nous démentons ces informations catégoriquement. Il faut prendre en considération l’ampleur de la tragédie et la douleur des habitants de ce village », témoigne l’oncle de la victime, Jamil Baalbaki.

Les habitants, eux, sont toujours sous le choc. Des jeunes garçons sont regroupés à proximité de la résidence de la famille de la victime tuée. Ici, les discussions sur l’explosion sont sur toutes les lèvres. « C’était comme un tremblement de terre », explique un jeune garçon de 11 ans. Lui aussi fait partie des scouts dont le centre a été détruit. « On y apprenait le karaté et on participait à plusieurs activités », dit-il, ému.

À la suite de l’explosion, les habitants racontent s’être rués dans les rues, certains hurlaient de peur, d’autres sont allés sur place pour aider les secours. Sarah était chez elle. La porte de sa maison a été arrachée. « Il y a eu deux pannes de courant ce soir-là, et l’explosion a coïncidé avec la seconde. Ce n’était pas une seule déflagration, mais plusieurs qui se sont succédé, culminant par une énorme explosion. Pour un bref moment, nous avons cru à un bombardement israélien. » De son balcon, attirée par les cris des habitants, elle apprend qu’il y a eu « une explosion au centre » et voit les pompiers et les ambulances défiler. « C’est un centre où les jeunes passent beaucoup de soirées, heureusement que ce n’était pas le cas ce soir-là, sinon il y aurait eu un massacre. »

Pendant la cérémonie, différentes branches d’Amal ont défilé avec des portraits du défunt. Photo João Sousa

« C’est de là que le frère de Ali l’a retiré »

Les résidents près du périmètre de l’explosion observent les décombres par leur fenêtre sans vitre. Il n’est pas possible de leur parler, sur directive des autorités locales. Des fils électriques jonchent le sol. Parmi les débris, des traces de sang. « C’est là qu’on a trouvé Ali », raconte un proche de la victime, qui a accouru sur place après l’explosion. « C’est son frère qui l’a retiré. »

Ali al-Rez, la victime de l’explosion, était en visite au Liban, venant du Qatar où il réside depuis environ une dizaine d’années. Il est le quatrième d’une fratrie de cinq frères. Âgé d’une trentaine d’années, il laisse derrière lui sa femme, qu’il a épousée il y a environ deux ans, enceinte de quatre mois, et son jeune fils.

« Il est venu pour le ramadan et comptait partir après le Fitr », témoigne Jamil Baalbaki. Selon ses dires, Ali revenait d’une partie de foot. Sur sa route, il a vu le bâtiment en feu. « C’est le rez-de-chaussée du bâtiment, utilisé comme centre pour les scouts, qui était en flammes. Les jeunes ont essayé d’éteindre l’incendie, qui s’est apparemment propagé vers une salle où se trouvaient des bonbonnes d’oxygène », raconte son oncle. Il ajoute que Ali a été propulsé à 25 mètres du bâtiment, mortellement blessé à la tête. « C’est une grande perte, un homme bon, généreux, aimé de tous, et tout le village le pleure aujourd’hui », dit-il, la gorge serrée. Pour ses proches et pour le parti, Ali est mort en « martyr ». « Il pensait que les résidents de l’immeuble étaient à l’intérieur, il a voulu les sauver », raconte Sarah, une résidente et amie de sa femme.

Toute la journée d’hier, les habitants n’ont cessé de défiler pour présenter leurs condoléances à la famille. Les funérailles sont organisées le jour même. La mairie se charge de la circulation et barre la route avec un poteau frappé du logo d’Amal. Une banderole avec la photo du jeune Ali est accrochée sur la façade de la résidence, où des drapeaux d’Amal flottent sur un mur.

À l’arrivée de l’ambulance, les résidents s’entassent au fur et à mesure. Enveloppé du drapeau des scouts d’al-Rissala, le cercueil est sorti du véhicule. « Cette famille est formée de partisans d’Amal de la première heure », raconte un proche. Les scouts, dont Ali faisait partie jusqu’au brevet avant de rejoindre le mouvement, défilent avec le cercueil, sous les jets de riz. Les jeunes, en costume, obéissent à leur instructeur qui les guide dans les rues où les portraits de Nabih Berry, Moussa Sadr et Hassan Nasrallah sont affichés un peu partout. Le pas est militaire, la musique est martiale. Le son des balles se fait entendre au loin. Les plus habitués ne bougent pas, d’autres se recroquevillent et tentent de se cacher pour éviter une balle perdue. La foule récite des prières, au son des tambours.

*Le prénom a été changé.

Sur la scène du drame, deux coupes de compétition sportive gisent sur le sol. Autour des ruines d’un bâtiment détruit par une explosion hier dans le village de Bnaafoul près de Saïda, un groupe d’habitants, dont certains portent des t-shirts ou des blousons à l’effigie d’Amal, se tiennent sur les décombres, visiblement pour boucler le secteur. Les deux étages de l’immeuble...

commentaires (7)

"Aucune information portant sur les causes de l’explosion émanant des Forces de sécurité intérieure (FSI) ou de l’armée libanaise n’avait encore filtré hier." Comme il se doit....FSI et Armée n'ont rien à foutre là où règne la "résistance"! Demandez à un haut responsable de l'Etat, il vous le dira, comme il l'a expliqué lors de l'assassinat du pilote d'hélicoptère Samer Hanna!

Georges MELKI

10 h 26, le 14 avril 2022

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Commentaires (7)

  • "Aucune information portant sur les causes de l’explosion émanant des Forces de sécurité intérieure (FSI) ou de l’armée libanaise n’avait encore filtré hier." Comme il se doit....FSI et Armée n'ont rien à foutre là où règne la "résistance"! Demandez à un haut responsable de l'Etat, il vous le dira, comme il l'a expliqué lors de l'assassinat du pilote d'hélicoptère Samer Hanna!

    Georges MELKI

    10 h 26, le 14 avril 2022

  • Il n’est pas permis qu’un seul libanais meurt dans son pays dans des conditions mystérieuses suite à des explosions non identifiées, toujours dans des quartiers résidentiels parce qu’un parti a décidé de les prendre en otages et de les sacrifier pour se protéger, prétextant une résistance fantomatique d’ennemis imaginaires. S’ils veulent vraiment exercer une pression sur l’ennemi, qu’ils aillent l’affronter de face et qu’ils arrêtent d’utiliser les quartiers résidentiels comme remparts à leur lâcheté. Les libanais de toutes les régions devraient se mobiliser pour qu’aucun de leur quartier ne soit transformé en dépôts d’armes et de matières explosives afin de protéger leurs enfants et leurs aînés d’une mort ou de blessures à la gloire d’un parti vendu qui les prenne pour cible pour faire croire à une résistance qui n’en est pas une. Une vraie résistance commence par la protection des civiles et non pas en les sacrifiant à des fins politiques et personnelles. Maintenant que c’est arrivé dans leur fief, vont ils se réveiller enfin pour dire non à toutes ces exactions et ces propagandes qui se servent d’eux pour dominer et étendre leur pouvoir à la solde d’un pays étranger au prix de leurs vies sacrifiées. Combien coûte une vie dans ces régions? Ils vont leur verser des dollars frais pour compenser la perte de leur proche? Combien vaut il au juste?

    Sissi zayyat

    11 h 23, le 13 avril 2022

  • C’est une histoire à dormir debout, la vraie vérité, c’est que le A3chi *** cuistot*** des scouts faisait cuire dans une cocotte-minute des feuilles de vignes aux pieds de mouton pour le Sohour du Ramadan. Sous pressions extrême la cocotte-minute a explosé mettant le feu à la baraque Chiite ! c’est aussi simple que ça, pourquoi chercher midi a 14 heures, et inventer des histoires invraisemblables telles que drone qui viendrait de je ne sais où, ou bien des bonbonnes d’oxygènes déposées exprès pour exploser comme un fait exprès. Tout cela n’est qu’une simple affaire d’INNOCENTS scouts qui font leurs petites cuisines a 2 heures du matin en temps de Ramadan pour le Sohour de la troupe. NOOOOON ne riez pas, et gardez vos sarcasmes car ce n’est que la vérité que certains veulent Enjoliver pour plaire aux détracteurs de AMAL/Hezbollah. Léger rire discret de circonstance quand même hihihi… Un peu d’humour dans ce monde de brutes nous fait du bien !

    Le Point du Jour.

    10 h 42, le 13 avril 2022

  • "les soupçons des habitants le disputent à la version officielle" qui s'en fou

    Elementaire

    07 h 36, le 13 avril 2022

  • Si Moussa El Sadr voyait ces deux autres enegumenes!!!

    Zampano

    06 h 06, le 13 avril 2022

  • Sincères condoléances à la famille Al-Rez. J’espère que la lumière se fera sur les raisons de ce drame. La version officielle devrait être réécrite en tenant des propos crédibles. Il revenait d’une partie de foot à 2 heures du matin? L’incendie a été causé par un court-circuit, mais c’est l’explosion qui a fait sauter les plombs? Des bonbonnes d’oxygène qui explosent en série? Les témoins interdits de raconter ce qui s’est passé? Des portraits de Hassan Nasrallah? Hmmm…

    Gros Gnon

    04 h 02, le 13 avril 2022

  • Ce n’était pas du nitrate ?

    TrucMuche

    00 h 13, le 13 avril 2022

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