Sur la scène du drame, deux coupes de compétition sportive gisent sur le sol. Autour des ruines d’un bâtiment détruit par une explosion hier dans le village de Bnaafoul près de Saïda, un groupe d’habitants, dont certains portent des t-shirts ou des blousons à l’effigie d’Amal, se tiennent sur les décombres, visiblement pour boucler le secteur. Les deux étages de l’immeuble sinistré sont comme écrabouillés l’un sur l’autre. Bouts de verre, chaises en plastique cassées, drapeaux d’Amal et des scouts déchiquetés, voitures calcinées… Le périmètre de l’explosion est presque rasé. Dans ce bâtiment se trouvait le siège de la municipalité du village de Bnaafoul et un centre de la Défense civile et des scouts al-Rissala affiliés au mouvement Amal. À la suite de la puissante déflagration survenue dans la nuit de lundi à mardi, dont les causes n’ont toujours pas été élucidées, six blessés ont été transportés à l’hôpital Raï. Deux d’entre eux seraient toujours en soins intensifs. Le fils du président du conseil municipal de la région, Ali al-Rez, est décédé des suites de ses blessures.
Selon le communiqué de presse du mouvement Amal, « aux alentours de 2h, une explosion a retenti dans un bâtiment adjacent à celui de la municipalité de Bnaafoul, dont la Défense civile des scouts d’al-Rissala occupe une partie ». La formation explique que « selon des informations préliminaires, un court-circuit est survenu et a entraîné l’explosion de bonbonnes d’oxygène stockées dans l’immeuble pour traiter les patients atteints de Covid-19 dans le village ».
Une source d’Amal avait indiqué hier matin à notre publication qu’une enquête est en cours pour connaître les raisons de l’explosion. Cette source avait précisé que toutes les informations selon lesquelles cette explosion provient d’une roquette ou d’un drone ne sont que « des rumeurs ». « Le mouvement Amal va enquêter sur les raisons derrière l’explosion de même que les services de sécurité », a assuré la source. Il ne s’agit pas d’un acte de sabotage, a indiqué par ailleurs une source de sécurité à l’agence Reuters, refusant de donner davantage de précisions. Aucune information portant sur les causes de l’explosion émanant des Forces de sécurité intérieure (FSI) ou de l’armée libanaise n’avait encore filtré hier.
Le moukhtar de la localité, Hussein Abdel Nabi, réitère pour L’Orient-Le Jour l’argument des bonbonnes d’oxygène. « Parfois des jeunes, des scouts, passent leurs soirées dans le centre, d’autres fois on y accueille des cas d’urgence médicale », dit-il. « Ce n’est pas vrai qu’il y a un dépôt de munitions, comme l’ont rapporté certains médias. L’armée et les forces de sécurité sont arrivées en pleine nuit et ont bouclé le secteur. Nous attendons les résultats de leur enquête », poursuit le moukhtar, jusqu’à ce qu’un homme près de lui demande d’arrêter l’interview. En milieu de journée, l’armée et la Sûreté générale avaient déjà quitté les lieux.
La thèse des bonbonnes d’oxygène ne convainc pas Walid*, qui se tient juste à l’entrée du village. « Je n’y crois pas, c’est sûr qu’il y avait des armes ici », lance-t-il. « Mais tu dis n’importe quoi, il n’y a rien là-bas », réplique un homme qui l’accompagne. « Je ne suis pas contre qu’il y ait un centre militaire, mais pas en plein milieu d’une zone résidentielle », insiste Walid.
Selon une source anonyme du village, il y aurait eu dans ces lieux du mazout, de l’essence et un genre de dissolvant. « C’est pour ça qu’il vaut mieux que vous restiez loin de la zone », nous conseille-t-elle.
Plusieurs déflagrations
La tension est palpable dans le village, et toute thèse démentant celle du mouvement Amal n’est pas acceptée. « Certains médias ont travesti la vérité dans un objectif politique, en prétendant que le centre était un dépôt d’armes relevant du mouvement. Nous démentons ces informations catégoriquement. Il faut prendre en considération l’ampleur de la tragédie et la douleur des habitants de ce village », témoigne l’oncle de la victime, Jamil Baalbaki.
Les habitants, eux, sont toujours sous le choc. Des jeunes garçons sont regroupés à proximité de la résidence de la famille de la victime tuée. Ici, les discussions sur l’explosion sont sur toutes les lèvres. « C’était comme un tremblement de terre », explique un jeune garçon de 11 ans. Lui aussi fait partie des scouts dont le centre a été détruit. « On y apprenait le karaté et on participait à plusieurs activités », dit-il, ému.
À la suite de l’explosion, les habitants racontent s’être rués dans les rues, certains hurlaient de peur, d’autres sont allés sur place pour aider les secours. Sarah était chez elle. La porte de sa maison a été arrachée. « Il y a eu deux pannes de courant ce soir-là, et l’explosion a coïncidé avec la seconde. Ce n’était pas une seule déflagration, mais plusieurs qui se sont succédé, culminant par une énorme explosion. Pour un bref moment, nous avons cru à un bombardement israélien. » De son balcon, attirée par les cris des habitants, elle apprend qu’il y a eu « une explosion au centre » et voit les pompiers et les ambulances défiler. « C’est un centre où les jeunes passent beaucoup de soirées, heureusement que ce n’était pas le cas ce soir-là, sinon il y aurait eu un massacre. »
« C’est de là que le frère de Ali l’a retiré »
Les résidents près du périmètre de l’explosion observent les décombres par leur fenêtre sans vitre. Il n’est pas possible de leur parler, sur directive des autorités locales. Des fils électriques jonchent le sol. Parmi les débris, des traces de sang. « C’est là qu’on a trouvé Ali », raconte un proche de la victime, qui a accouru sur place après l’explosion. « C’est son frère qui l’a retiré. »
Ali al-Rez, la victime de l’explosion, était en visite au Liban, venant du Qatar où il réside depuis environ une dizaine d’années. Il est le quatrième d’une fratrie de cinq frères. Âgé d’une trentaine d’années, il laisse derrière lui sa femme, qu’il a épousée il y a environ deux ans, enceinte de quatre mois, et son jeune fils.
« Il est venu pour le ramadan et comptait partir après le Fitr », témoigne Jamil Baalbaki. Selon ses dires, Ali revenait d’une partie de foot. Sur sa route, il a vu le bâtiment en feu. « C’est le rez-de-chaussée du bâtiment, utilisé comme centre pour les scouts, qui était en flammes. Les jeunes ont essayé d’éteindre l’incendie, qui s’est apparemment propagé vers une salle où se trouvaient des bonbonnes d’oxygène », raconte son oncle. Il ajoute que Ali a été propulsé à 25 mètres du bâtiment, mortellement blessé à la tête. « C’est une grande perte, un homme bon, généreux, aimé de tous, et tout le village le pleure aujourd’hui », dit-il, la gorge serrée. Pour ses proches et pour le parti, Ali est mort en « martyr ». « Il pensait que les résidents de l’immeuble étaient à l’intérieur, il a voulu les sauver », raconte Sarah, une résidente et amie de sa femme.
Toute la journée d’hier, les habitants n’ont cessé de défiler pour présenter leurs condoléances à la famille. Les funérailles sont organisées le jour même. La mairie se charge de la circulation et barre la route avec un poteau frappé du logo d’Amal. Une banderole avec la photo du jeune Ali est accrochée sur la façade de la résidence, où des drapeaux d’Amal flottent sur un mur.
À l’arrivée de l’ambulance, les résidents s’entassent au fur et à mesure. Enveloppé du drapeau des scouts d’al-Rissala, le cercueil est sorti du véhicule. « Cette famille est formée de partisans d’Amal de la première heure », raconte un proche. Les scouts, dont Ali faisait partie jusqu’au brevet avant de rejoindre le mouvement, défilent avec le cercueil, sous les jets de riz. Les jeunes, en costume, obéissent à leur instructeur qui les guide dans les rues où les portraits de Nabih Berry, Moussa Sadr et Hassan Nasrallah sont affichés un peu partout. Le pas est militaire, la musique est martiale. Le son des balles se fait entendre au loin. Les plus habitués ne bougent pas, d’autres se recroquevillent et tentent de se cacher pour éviter une balle perdue. La foule récite des prières, au son des tambours.
*Le prénom a été changé.
commentaires (7)
"Aucune information portant sur les causes de l’explosion émanant des Forces de sécurité intérieure (FSI) ou de l’armée libanaise n’avait encore filtré hier." Comme il se doit....FSI et Armée n'ont rien à foutre là où règne la "résistance"! Demandez à un haut responsable de l'Etat, il vous le dira, comme il l'a expliqué lors de l'assassinat du pilote d'hélicoptère Samer Hanna!
Georges MELKI
10 h 26, le 14 avril 2022