En crise depuis au moins la seconde moitié de 2019, le Liban a approché le Fonds monétaire international (FMI) au printemps 2020 pour tenter de le convaincre de financer son sauvetage, en échange de la mise en œuvre de réformes structurelles identifiées depuis des lustres. Les discussions ont débouché jeudi dernier – et deux gouvernements plus tard – sur un accord préliminaire dont les contours ont été sommairement exposés.
Certains détails ont aussi été partagés par des sources proches du dossier dans nos colonnes, comme le fait que le FMI avait finalement décidé de préserver l’intégralité des dépôts jusqu’à 200 000 dollars, tout en ponctionnant tout ce qui dépasse, dans le volet visant à répartir les pertes cumulées du pays. Celles-ci s’élèvent actuellement à près de 72 milliards (État, Banque du Liban et banques) selon les estimations les plus récentes relayées par le vice-Premier ministre, Saadé Chami. Ancien du FMI et placé à la tête de l’équipe de négociateurs désignés par le gouvernement de Nagib Mikati pour discuter avec l’organisation, le haut responsable n’a toujours pas communiqué sur le contenu du plan de redressement supposé être préparé par le Liban et auquel le FMI a fait référence dans son communiqué de jeudi.
Contacté, il ne s’est pas non plus avancé sur une éventuelle date de diffusion de ce plan, renvoyant la balle au Conseil des ministres, qui doit encore l’approuver formellement. En attendant, le scepticisme règne, malgré les bonnes volontés affichées par le chef de l’État, Michel Aoun, le Premier ministre, Nagib Mikati, ainsi que le président du Parlement, Nabih Berry, dans le sillage de la publication du communiqué du FMI annonçant l’accord préliminaire. L’organisation n’a, elle, pas communiqué sur le sujet depuis. Samedi, les sources précitées assuraient pour leur part que le contenu de l’accord entre le Liban et le FMI était quasiment gravé dans le marbre, tout en reconnaissant qu’il était encore prématuré d’imaginer que le Liban applique dans les temps les réformes préalables exigées pour parvenir à un accord définitif.
BoA et Goldman Sachs
Pour l’heure, les commentaires et analyses émis par les milieux financiers à la suite de l’annonce de l’accord préliminaire de facilité d’extension des fonds (FEF) portant sur 3 milliards de dollars, pour 46 mois, sont très mitigés.
Dans une note aux investisseurs en fin de semaine dernière – que nous avons consultée –, Bank of America (BoA) qualifiait cet accord de « positif » tout en jugeant sa mise en œuvre « difficile », notamment au niveau des chantiers sur l’amélioration de la transparence (audits de la BDL et des banques ou de l’aménagement du secret bancaire) ou encore la restauration de la dette. BoA « soupçonne les technocrates et la communauté internationale d’avoir conclu un “staff level agreement” (accord de principe conclu au niveau des équipes d’experts, NDLR) dans une tentative d’établir une feuille de route », de « pousser à la mise en œuvre progressive des réformes», et de «restreindre» la marge de manœuvre du gouvernement après les élections. Et ce, que ce dernier soit de plein pouvoir ou chargé d’expédier les affaires courantes. BoA considère de plus que le résultat de l’élection présidentielle française qui se déroule actuellement sera une « clé » permettant d’anticiper le niveau de pression internationale qui pèsera sur les responsables libanais, rappelant que le président en exercice Emmanuel Macron a été actif sur ce dossier pendant son mandat.
Également prompt à dégainer une note de recherche, Goldman Sachs a pour sa part considéré que le véritable enjeu était la restructuration du secteur bancaire, dont les pertes – les engagements en devises qu’elles ne peuvent pas honorer dont principalement des dépôts – sont démesurées par rapport à leur capital actuel et au PIB du pays. « La distribution des pertes entre (l’État), les actionnaires des banques et les déposants est (…) difficile sur le plan politique et ne devrait pas être résolue facilement ou rapidement », estime la banque d’investissement. Elle considère de fait l’annonce de l’accord du FMI davantage comme une « carotte » visant à pousser les responsables libanais à respecter leurs engagements qu’une « promesse d’assistance financière à court terme ». S’agissant du moyen de compenser les déposants ponctionnés, elle se prononce en faveur d’un bail-in (conversion d’une portion des dépôts en actions au sein du capital de la banque).
« Reformulation d’objectifs »
Le son de cloche a été quasi identique du côté des observateurs libanais. « Je ne comprends pas pourquoi tout le monde s’enflamme. Il ne s’agit pas d’un accord, mais plutôt d’une reformulation des objectifs (en matière de réformes) qui sont sur la table depuis des années », s’était emporté vendredi l’expert financier Mike Azar que nous avions contacté à la suite de l’annonce. « Le FMI dit que nous devons restructurer le secteur bancaire (…) Le problème est : comment s’y prendre, en suivant quelle feuille de route, avec quelles modalités sur le plan pratique ? Nous n’avons toujours pas ces réponses et ce “staff level agreement” n’apporte aucune réelle valeur ajoutée », avait-il poursuivi.
Alain Bifani, ancien directeur général du ministère des Finances et membre de la première équipe de négociateurs désignée en 2020 par le gouvernement de Hassane Diab, avait, lui, passé en revue les « petites victoires » du FMI. Il soutient que l’institution a pu en premier lieu tabler sur un engagement minimaliste vis-à-vis d’une classe politique habituée à ne pas respecter ses promesses de réformes ces dernières années et qui, de surcroît, est à la tête d’un pays situé dans une région particulièrement instable. Elle a également pu déclarer officiellement que « le secteur bancaire et la BDL doivent être restructurés, ce qui revient à dire qu’ils sont en situation de faillite », alors que les intéressés rejettent ces affirmations depuis le début de la crise. Le FMI a enfin mis, via cet accord préliminaire, « le gouvernement et le Parlement devant leurs responsabilités en listant formellement ce qu’ils doivent faire », relève encore Alain Bifani. « La BDL ne voit plus rien. Le gouverneur, Riad Salamé (actuellement ciblé par des enquêtes au Liban et à l’étranger, et qui se défend en évoquant des procédures lancées dans le cadre d’attaques politisées selon lui, NDLR), est actuellement focalisé sur son cas personnel. Les banques doivent, pour leur part, réaliser qu’elles sont obligées de sortir du déni pour sauver ce qui peut encore l’être », a conclu l’ancien haut responsable.
commentaires (5)
"… le vice-Premier ministre, Saadé Chami, ancien du FMI …" - Pourquoi l’ont-ils viré?
Gros Gnon
15 h 53, le 12 avril 2022