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Kaboul, la débâcle !

Kaboul, la débâcle !

© Véronique de Viguerie

Kaboul, l’humiliante défaite de Jean-Pierre Perrin, éditions des Équateurs, 2022, 192 p.

À l’évocation de cette ville l’on ne peut s’empêcher de penser aux deux photos qui ont marqué les esprits l’été dernier. D’abord, celle d’un C-17 américain rempli de passagers agglutinés les uns aux autres, ensuite celle de ces Afghans accrochés à l’extérieur de l’avion et tombant lors du décollage. C’est dire la frayeur du peuple afghan à la suite de la prise de la capitale par les talibans ! On comprend vite que les Américains ont été pris de court ; sans doute n’avaient-ils pas anticipé cette débâcle ? Comment la première puissance du monde s’est-elle retrouvée dans cette situation ? Les États-Unis ont envahi ce pays parce qu’ils avaient été attaqués. L’occupation fut une catastrophe. C’est sur cette difficile période que s’est penché l’ancien journaliste de Libération Jean-Pierre Perrin dans son ouvrage Kaboul, l’humiliante défaite, un titre évocateur qui résume bien les sentiments de l’auteur. La lecture est fluide ; l’ouvrage mêle à la fois témoignage personnel et récit de vingt ans de présence américaine. Il est truffé de chiffres, de dates, de références, mais l’on déplore le manque de bibliographie et de notes de bas de pages.

Pour Perrin, un pays comme l’Afghanistan est à l’origine de la déroute de l’Empire britannique au XIXe siècle, de l’éclatement de l’URSS à la fin du XXe siècle. À l’instar des Britanniques et des Russes, « c’est au tour de l’armée américaine et de l’Otan de quitter piteusement l’Afghanistan ». L’histoire se répète !

L’auteur relève quatre phases distinctes dans cette période, quatre politiques, quatre présidents… une période qui a duré vingt ans, qui a coûté cher aux États-Unis, qui a été une humiliation pour leur image et qui a permis le retour des talibans… En somme, « une humiliante défaite » ! Les quatre présidents américains ont mené une politique étrangère néfaste vis-à-vis de l’Afghanistan. L’ancien président Bush n’a réglé la question que par les armes ; Barack Obama a aggravé la situation en dynamisant l’insurrection des talibans ; Donald Trump signait l’accord de Doha sans garantie de paix ; et enfin Joe Biden, avec son retrait éhonté, porte « entièrement la responsabilité du chaos de l’aéroport ». Ainsi, les Américains auraient manqué de recul. Ils ont voulu faire la guerre en restant à la maison (allusion aux bases qui étaient telles des villes américaines qu’ils ne voulaient jamais quitter). Ils n’ont pas réussi à comprendre les besoins des Afghans malgré leur politique de nation building, ont commis beaucoup d’erreurs, ont manqué de coordination sur le terrain et les services de renseignements se sont désorganisés.

Mais, selon Perrin, les Américains ne sont pas les seuls responsables du fiasco. Islamabad, dans un souci de contrôle des frontières, a joué un rôle important dans la montée en puissance des talibans : « Le double jeu pakistanais relève du génie luciférien puisque l’argent que reçoit Islamabad » a servi à armer les talibans. Le retour au pouvoir des talibans est « la victoire finale de l’establishment militaro-pakistanais ». Un establishment annonçant le retour d’Al-Qaïda.

En résumé, tous ces facteurs n’ont pas réussi à changer la donne dans cette région. Les Américains ont gagné en impopularité et causé la montée en puissance des talibans.

Cet ouvrage se termine enfin par la vision de l’auteur des « nouvelles règles du Grand Jeu ». Les États-Unis avec leur toute puissance n’ont pas réussi en vingt ans à repousser des talibans peu formés avec des armes à minima puisque « le plus démuni a finalement triomphé et le plus puissant mordu la poussière ». La lutte fut asymétrique. Cette fin de la présence américaine en Afghanistan marque donc un bouleversement de l’équilibre régional et ce au profit de la Chine, du Pakistan et peut-être de la Russie.

À l’instar de l’Irak, la présence américaine en Afghanistan s’est soldée par un double échec. Non seulement le pays n’a pas pu sortir de son sous-développement, mais les talibans « pragmatiques » dont parlent les Américains ne le sont pas vraiment. Le mouvement se présente désormais comme un mouvement de libération nationale « dont le but est de restaurer un mode de vie traditionnel et de faire appliquer partout et de la façon la plus stricte la loi islamique ». Reste que l’Afghanistan vu de l’extérieur apparaît plus que jamais comme une cause perdue. L’auteur exprime une colère justifiée vis-à-vis de l’injustice du sort de l’Afghanistan et des Afghan-e-s.

À la fin de cette lecture, l’on ne peut s’empêcher de se demander s’il est encore possible pour ce pays de devenir un État de droit. Et d’ajouter que, si dans les démocraties les citoyens jouissent de la liberté dans toutes ses dimensions, qu’en est-il pour un peuple dont la mentalité tribale et les haines ancestrales nourrissent les luttes incessantes ?

Dans ce pays aux frontières insensées et au relief montagneux, Kaboul apparaît de plus en plus ingouvernable.

Kaboul, l’humiliante défaite de Jean-Pierre Perrin, éditions des Équateurs, 2022, 192 p.À l’évocation de cette ville l’on ne peut s’empêcher de penser aux deux photos qui ont marqué les esprits l’été dernier. D’abord, celle d’un C-17 américain rempli de passagers agglutinés les uns aux autres, ensuite celle de ces Afghans accrochés à l’extérieur de l’avion et...

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