
Des enfants syriens dans le camp informel d’al-Hilal près de Baalbeck, sous la neige, en janvier 2022. Photo AFP
Soudain, et malgré le tourbillon électoral dans lequel est actuellement entraîné le Liban, le dossier des déplacés syriens est revenu à la une de l’actualité. Le chef de l’État Michel Aoun lui a en effet réservé une grande place dans ses entretiens avec les responsables lors de son récent voyage au Vatican puis de sa rencontre avec le président italien Sergio Mattarella le 22 mars.
Le retour au premier plan de ce dossier, qui a longtemps divisé les Libanais avant de se transformer en véritable boulet pour le pays à la lumière de la crise économique et financière sans précédent qu’il traverse, a suscité des interrogations.
Certes, personne au Liban ne conteste plus le fait que la présence des réfugiés syriens en si grand nombre constitue un poids très lourd non seulement sur le plan purement économique, mais aussi sur celui de la sécurité. Ces derniers temps, les médias mettent régulièrement l’accent sur le rôle de ressortissants syriens dans des crimes ou des vols commis au Liban. Plus encore, des informations circulent régulièrement sur des perquisitions par des services de renseignements de l’armée de certains camps de réfugiés au Liban-Nord ou dans la Békaa, ce qui leur aurait permis de confisquer des armes et des munitions. Certaines de ces informations ne sont pas confirmées par les sources militaires et sécuritaires, mais le fait qu’elles soient évoquées dans les médias montre combien le dossier de la présence syrienne au Liban reste une source potentielle de malaise pour les citoyens.
Toutefois, c’est surtout le timing de la remise sur le tapis de ce dossier qui interpelle, à un moment où le monde est occupé par l’afflux de réfugiés ukrainiens en Europe et que le Liban, lui, est désormais pris par la fièvre électorale. Selon des sources proches de Baabda, ce serait justement le moment propice pour soulever de nouveau ce sujet, et ce pour de nombreuses raisons.
D’abord, la guerre en Ukraine, ensuite, les progrès effectués dans les négociations autour du dossier nucléaire iranien montrent que le monde entier, et en particulier la région du Moyen-Orient, est à la veille de grands changements. La trêve soudaine décrétée dans la guerre au Yémen en constitue sans doute un indice. Mais le plus important développement régional reste la visite très remarquée du président syrien aux Émirats arabes unis, la première effectuée par Bachar el-Assad dans une capitale arabe depuis le déclenchement de la guerre dans son pays en 2011. Lorsque cette visite a eu lieu, certains médias arabes et internationaux ont essayé d’en minimiser les effets, mais, selon des sources diplomatiques arabes, elle n’aurait pas été possible sans un feu vert tacite occidental et en particulier américain. Même si, pour de multiples raisons, les relations entre l’actuelle administration américaine, d’une part, les dirigeants saoudiens et émiratis, de l’autre, ne sont pas aujourd’hui au beau fixe, les dirigeants émiratis n’iraient pas jusqu’à franchir un tel pas en direction du régime syrien sans avoir auparavant tâté le terrain du côté des Américains, précisent les sources diplomatiques précitées. De même, les dirigeants saoudiens auraient été consultés auparavant. Il est donc de plus en plus clair que le monde arabe est à la veille d’un changement sur le plan du retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. Or, ce retour – qui devrait se concrétiser au cours des prochains mois – ne peut pas se faire sans un accord tacite américain. Il serait aussi, selon ces mêmes sources, le prélude au déclenchement du vaste chantier de la reconstruction de la Syrie, lequel ne peut qu’avoir des répercussions au Liban.
Par conséquent, c’est la raison principale pour laquelle le chef de l’État a jugé bon de relancer le dossier du retour des déplacés syriens au Liban à ce moment précis. Les pays européens étant actuellement occupés par la guerre en Ukraine et l’afflux chez eux de réfugiés ukrainiens, Michel Aoun a estimé, d’une part, que le Vatican reste une autorité morale qui peut porter ce dossier et défendre la position libanaise et, d’autre part, que les États européens pourraient être plus sensibles, dans ce contexte particulier, au poids que représente la présence d’un si grand nombre de déplacés syriens dans un aussi petit pays. De plus, selon les sources proches de Baabda, le président ne voulait pas que le chantier de la reconstruction commence en Syrie avec l’aval et la contribution des États arabes sans que le dossier du retour des déplacés ne soit ouvert en parallèle. Dans l’optique du chef de l’État, ces deux dossiers devraient aller de pair, et il faudrait donc commencer à préparer le terrain auprès des instances internationales dans cet objectif. C’est aussi la raison pour laquelle Michel Aoun a critiqué le récent rapport de l’ONU sur la situation des réfugiés syriens dans les pays voisins de la Syrie, qui prévoit de les maintenir sur place pour des raisons de sécurité. Pour le président, il existe des régions sûres en Syrie qui pourraient absorber une partie de ces réfugiés. En tout cas, pour le chef de l’État, il faut suivre de près l’évolution du dossier de ce qu’on appelle le retour de la Syrie dans le giron arabe, ou en tout cas la normalisation des relations de la Syrie avec les autres gouvernements arabes, afin de s’assurer que celui des déplacés reste à l’ordre du jour et qu’il ne soit pas dépassé par les nouvelles données en perspective.
La syrie est 18 fois plus vaste que le Liban. Il n'est donc pas compréhensible ni acceptable de maintenir 1,8 millions de réfugiés Syriens dans ce petit pays qu'est le Liban. Si Bachar El Assad ne veut pas du retour de ses concitoyens, c'est à l'ONU de se charger du sujet avant qu'il ne soit trop tard car le feu de l'exaspération couve dans un Liban en plein effondrement. Un petit calcul s'impose : sur 5 personnes vivant sur le sol libanais, 3 sont syriennes. Aucun pays au monde n'accepterait une telle anomalie, imposée à une nation par son voisin.
20 h 35, le 02 avril 2022