Il fut un temps – et je ne parle pas de l’âge d’or du Liban, mais d’une période assez récente qui date de moins de trois ans – où le déposant libanais se sentait fier et confiant de pouvoir investir son argent dans une banque libanaise.
À cette époque, les institutions bancaires, temples sacro-saints de la finance au Liban, étaient considérées comme le refuge incontournable pour les bas de laine des particuliers et les cash-flows des sociétés, mais aussi et surtout comme le moyen le plus sûr de rentabiliser son argent à des taux de plus en plus alléchants et avec la conviction bien ancrée que cet investissement bancaire était on ne peut plus sécurisé.
De leur côté, les banques faisaient de tout pour attirer le plus grand nombre possible de clients, se concurrençant les unes les autres, quitte à dévoyer ceux de la concurrence parfois pour 1 % ou même ½ % de plus que le taux créditeur initialement offert par l’autre banque. Les chargés de clientèle devaient démarcher tous les clients potentiels de la région avoisinante en vue d’attirer de nouveaux dépôts ou fortunes des gens aisés.
En ce temps-là, le client était roi !
Octobre 2019 est venu, et les temples de la finance ont perdu de leur « sainteté » et de leur aura d’antan pour se transformer en de simples comptoirs, rationnant tout d’un coup l’argent qui ne leur appartient pas mais qui leur avait été confié en toute confiance.
Les choses se sont précipitées et les banques, avec leurs clients, se sont retrouvées en capilotade !
Tout le monde sait pertinemment bien (nul besoin d’être économiste !)
que cette crise bancaire et économique n’est pas le résultat d’un seul fait déterminé mais bien la conséquence prévisible de tant de leurres financiers, ainsi que de la gabegie monstrueuse d’une classe politique corrompue et insatiable qui a sucé, telle une sangsue, au fil des ans les plus ou moins grosses économies des braves gens et mis à terre l’économie d’un pays qu’on appelait autrefois « la Suisse du Moyen-Orient ».
Les clients, dont l’argent semble disparu des coffres des banques, se retrouvent à « mendier » mensuellement les miettes que ces dernières veulent bien leur concéder. Ils mendient leur propre argent qu’ils ont passé des années à économiser, certains dans un but de thésaurisation, mais d’autres essentiellement pour assurer leur avenir et celui de leurs enfants…
Ces miettes, ce sont les limites mensuelles de retrait que chaque banque fixe à ses clients et qui s’avèrent de plus en plus, insuffisantes avec l’inflation galopante qui ravage le pays. Pour couronner le tout, les cartes bancaires, qui étaient comme une soupape d’oxygène puisqu’elles arrivaient à combler une partie des besoins non couverts par le cash, se retrouvent actuellement boudées par la majorité des commerçants, d’où un besoin encore plus pressant de liquidités supplémentaires.
En effet, avec les prix devenus exorbitants des médicaments, des denrées alimentaires, de l’essence, des abonnements aux générateurs, des primes d’assurance et autres dépenses nécessaires pour la survie (et non pour une vie de luxe), le Libanais autrefois appelé « moyen » se retrouve, de facto, dans la classe des pauvres, et ces derniers dans la pire misère…
Sachant que l’injection par la BDL de liquidités supplémentaires sur le marché ne peut qu’aggraver l’inflation en cours et que les plafonds de retraits mensuels ne peuvent plus subvenir aux besoins des gens, il faudrait obliger tous les commerçants à réaccepter – et sans ajout de commissions – les cartes bancaires de manière à soulager un peu la pression sur le cash. Ceci ne résout pas évidemment le problème, mais peut contribuer à aider le Libanais dans sa lutte pour la survie.
Le projet grotesque de capital control, qui a été dernièrement remis sur le tapis alors qu’il aurait dû être appliqué au début de la crise en 2019 avant de laisser s’évader du pays tous les gros capitaux appartenant à la classe politique au pouvoir ainsi qu’aux plus nantis, risque – espérons-le – de tomber à l’eau. En effet, quel argent reste-t-il à contrôler ici alors que tout le capital du gratin de la société se retrouve déjà dans des coffres à l’étranger ? Comme le dit notre proverbe libanais : « Yilli darab darab, w yilli harab harab ! »
Par ailleurs, j’aimerais attirer l’attention du ministre de l’Éducation, du chef du gouvernement ainsi que du président de la République sur l’injustice flagrante dont sont l’objet les professeurs de l’Université libanaise, et ce depuis des années déjà. En effet, il est inadmissible que ces derniers, qui se dévouent corps et âme à l’enseignement supérieur dans une université dont les locaux et les moyens sont vétustes ou bien en ligne, doivent se mobiliser chaque quelque temps en faisant la grève afin que leurs droits les plus élémentaires leur soient accordés !
Aurait-il été possible, s’il s’agissait d’une université privée – la plus modeste soit-elle –, de laisser des professeurs (les enseignants contractuels), qui, de surcroît, ont un doctorat dans les matières qu’ils enseignent, attendre des mois et parfois deux ans avant de toucher leur salaire, des indemnités de déplacemen, et d’avoir une couverture médicale ? Comment peuvent-ils survivre et faire vivre leurs familles ?
C’est un exemple parmi d’autres des divers problèmes de notre université nationale, et il y en a beaucoup malheureusement : retard dans les titularisations, salaires dérisoires, etc.
Je sais que l’État, en faillite, sombre lui aussi dans ses problèmes et ne sait plus où donner de la tête, mais ces profs-docteurs sont aussi des Libanais comme vous et moi qui ont des familles à leur charge, et ce sont de véritables héros pour continuer à se dévouer avec passion à leur métier et à leurs étudiants dans des situations aussi dégradantes et presque sans rien – ou si peu – en retour. Je leur en suis reconnaissante du fond du cœur et leur tire mon chapeau.
Alors, de grâce, aidez-les et sauvez des générations d’étudiants dont l’avenir est celui de notre pays aussi.
Étudiante en archéologie
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