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Lifestyle - Photo-roman

La prouesse d’être mère au Liban...

En ce 21 mars, il conviendrait de se rappeler à quel point il faut des épaules et un cœur solides pour être une mère dans ce pays....

La prouesse d’être mère au Liban...

Photo tirée du compte @oldbeiruthlebanon

La vidéo m’a atomisé le cœur. Joanne Bou Saab, la mère de Joe, pompier de Beyrouth fauché par les flammes de la double explosion du 4 août 2020, et dont le corps a été le dernier à être retrouvé sur la scène du crime, une dizaine de jours plus tard : elle est debout quasiment seule, parmi une poignée d’activistes et de reporters, à l’entrée du bâtiment de la Sécurité de l’État, à Dekouané, où se fait interroger son second fils, Peter. Il est là au motif d’avoir tagué une façade de l’immeuble où habite le ministre de la Justice. « Qui a tué mon frère ? » avait-il écrit en rouge aérosol. Arrêté pour ce geste le lendemain, et de surcroît par ceux qui ont vraisemblablement assassiné ledit frère. La mère tient le portrait de son fils Joe tout près de sa poitrine, de peur qu’on le lui arrache une seconde fois. Les yeux de Joe brillent encore, enfermés dans un pendentif qu’elle a autour du cou. Ces mères en noir pour l’éternité, qui ont perdu leurs enfants pour rien, dont les fils ont disparu comme ça dans des geôles syriennes, ces mères dont personne n’a jamais regardé ou écouté la douleur, mais qui n’ont pourtant pas arrêté de se pointer, avec des photos d’une autre vie et une dignité infinie, devant les tribunaux, le Palais de justice, les ambassades, l’Escwa, les commissariats et les ministères ; ces mères-là, déchirées entre tristesse et rage, force de vivre et mort dans l’âme, impossibilité de faire et volonté de fer, combien notre histoire en recèle-t-elle? Joanne Bou Saab les résumait si bien ce jour-là.

La peau dure et le cœur en coton

Quand un journaliste s’approche, elle dit : « Si mon fils Peter n’est pas immédiatement libéré, je vous jure que toutes les routes seront fermées et que le pays, il va péter. Je suis sa mère et je vous l’assure. » C’est là que j’ai compris le sens de ses yeux, qui sont ceux de ma mère et de toutes les mères libanaises. Vous qui avez la peau dure et le cœur en coton, et que rien, strictement rien ne peut arrêter s’il s’agit de vos enfants. Toi qui bascules tout entière dans une inquiétude absolue, une culpabilité constante, et ne t’appartiens plus tout à fait dès lors que tu mets un petit être au monde ; précisément là, au Liban, dans l’épicentre de ce séisme permanent. Toi qui joins le jour à la nuit ; le réveil qui sonne à six heures tous les matins, le mari qui ronfle à côté et trouve mille prétextes pour échapper aux tâches ingrates ; les petits qu’il faut arracher au sommeil, des cheveux à natter, des lacets à nouer, des grippes à soigner, des larmes à essuyer et t’assurer qu’ils mangent bien. Et soudain, un matin qui vient sans prévenir, cette petite main moite que tu tiendras jusqu’à la porte de la maternelle, « tout va bien se passer, maman est là », la force que tu devras aller chercher loin en toi pour réussir à t’en séparer. Toi qui te caches derrière un mur, à regarder cette petite chose aligner ses pas jusqu’à son premier banc de classe, le cœur au creux de la paume, à déjà regretter le temps qui passe, à déjà redouter le moment où elle partira pour de bon.

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Parce que tu ne te fais aucune illusion, au Liban, c’est comme ça, être mère, c’est apprendre à se détacher. Toi qui es prête à déclarer une guerre des tranchées à la colonie pour peu qu’un animateur ou un camarade s’évertue à parler mal à ton gosse. Et qui finis toujours par flancher et parcourir des kilomètres dans la nuit, juste parce qu’au bout du fil, tu as entendu cette voix tremblante dire : « Maman, je veux rentrer à la maison. » Toi qui t’y prends mal parfois, qui encombres de ton amour, qui gaves de moujaddara, dont le cœur décroche pour un oui ou un non, qui dis « to2borné » devant tout l’autocar à l’aube, qui imagines toujours le pire scénario et écoutes aux portes, qui menaces avec une pantoufle ou une cuillère en bois, qui fais une descente inattendue à la première party de ton adolescent pour t’assurer qu’il n’a pas une clope à la main, qui farfouilles sans gêne dans les affaires de ce dernier, qui le bombardes de coups de fil et as les yeux grands ouverts jusqu’à ce qu’il rentre. Si bien que cet(te) adolescent(e) te haïra un jour, te claquera des portes au nez et te dira que tu lui « fous la honte », mais finira invariablement par poser sa tête sur ton épaule dès qu’il ou elle aura le cœur brisé. Et toi, tu comprendras, et tu seras là, prête à réparer son cœur.

Les regarder vivre loin de toi

Toi qui te retrouveras subitement, en un claquement de doigts, aux départs de l’aéroport, retenant tes larmes, dans ton corps changé et tes rides ineffaçables, à voir – sans rien pouvoir faire – ce pays te séparer de la chair de ta chair. Toi qui rentreras dans le silence de l’appartement, sans oser t’approcher de leurs chambres qui abritent une vie passée si vite, et leurs odeurs qu’il te faudra désapprendre. Toi qui passeras ensuite tes journées à attendre sur WhatsApp ou Zoom, à compter les jours jusqu’à leur retour et les regarder vivre loin de toi, à chercher dans leurs silences la dissonance, le signal que quelque chose ne va pas. Et puis toi qui n’as jamais eu le droit de transmettre ta nationalité libanaise à tes enfants. Toi qui t’es fait humilier devant les tribunaux religieux, à devoir passer des examens psychologiques, à voir ta vie privée étalée là, à devoir baisser la tête et sourire face à un juge scabreux, seulement pour mériter la garde de tes enfants qui sont ta bataille. Toi qui es contrainte de te prendre des baffes, des coups dans le ventre, et même pire parfois, pour peu que le mari boive un verre de trop, mais qui dois dès le lendemain faire mine de rien, parce que tu sais que si tu venais à partir, ce sont tes enfants que tu ne reverrais jamais. Toi qui aujourd’hui, comme tu l’as fait depuis 1975 et durant les années de guerre, dilues le lait et le shampoing, couches tes petits sous quatre couvertures, les fais réviser à la lumière d’une bougie et vas parfois voler dans la supérette du coin, parce qu’il t’est impossible de voir tes enfants crever de faim. Toi qui es forcée à avorter dans le plus grand des silences parce que l’homme s’est tiré et qu’une mère sans père reste une chose impensable dans notre pays détraqué. Toi qui continues de recevoir des promotions sur des machines à laver, des aspirateurs et des cocottes-minutes en cette fête des Mères, comme si tu n’étais que bonne à ça. Ce 21 mars qui nous rappelle, cette année plus que jamais auparavant, cette prouesse qu’est d’être mère au Liban.

Chaque semaine, « L’Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ est une photo. C’est un peu cela, une photo-roman : à partir de l’image d’un photographe, on imagine un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c’est selon...

La vidéo m’a atomisé le cœur. Joanne Bou Saab, la mère de Joe, pompier de Beyrouth fauché par les flammes de la double explosion du 4 août 2020, et dont le corps a été le dernier à être retrouvé sur la scène du crime, une dizaine de jours plus tard : elle est debout quasiment seule, parmi une poignée d’activistes et de reporters, à l’entrée du bâtiment de la Sécurité...

commentaires (4)

Bonne fête à toutes les Mamans qui nous ont portées tant donné et tellement aimé !

Le Point du Jour.

23 h 15, le 21 mars 2022

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Bonne fête à toutes les Mamans qui nous ont portées tant donné et tellement aimé !

    Le Point du Jour.

    23 h 15, le 21 mars 2022

  • A ce Coeur qui bat d'Amour Pur et Sincère et qu'on nomme Mamans! Merci pour la Vie et l'Amour

    Wlek Sanferlou

    13 h 12, le 21 mars 2022

  • A toutes les femmes sublimes et généreuses !

    Wow

    12 h 59, le 21 mars 2022

  • Et une pensée à toutes celles qui n'ont pu devenir mères trahies par d'égocentriques masochistes qui après les avoir ensorcelées , leur avoir promis une merveilleuse vie ,les ont abandonnées au bord de la route sans aucun remords ....et sont devenues d'immenses et irremplaçables tatas...des deuxièmes maman. Bonne fête à vous aussi merveilleuses femmes.

    Tamimtamim

    08 h 32, le 21 mars 2022

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