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Culture - Quoi qu’on en lise

Ni un roi ni un pape, mais un homme : Luigi Pintor

Dans « Servabo, mémoire de la fin du siècle », Luigi Pintor, figure historique de la gauche communiste italienne, livrait une autobiographie intime et sensible.

Ni un roi ni un pape, mais un homme : Luigi Pintor

Luigi Pintor. Photo Livio Senigalliesi

Difficile de ne pas songer à l’Ukraine, à la Syrie, au Liban à la lecture des premières lignes du prologue de Servabo, mémoire de la fin du siècle de Luigi Pintor, figure historique de la gauche communiste italienne : « Dans son message d’outre-tombe, que j’aurai préféré ne pas recevoir, mon frère raconte comment la guerre lui a fait voir le monde sous un autre jour et a décidé de sa vie. Sans la guerre, il serait resté écrivain et les voyages, les amitiés, les stimuli de son imagination ou une rencontre féminine auraient plus compté pour lui que tout parti ou toute doctrine. » Luigi Pintor parle ici de la Seconde Guerre mondiale dont son frère ne sortira pas vivant, mort dans l’explosion d’une mine. Cette même guerre fera prendre à Luigi Pintor le chemin de l’engagement. « Sans la guerre, mon caractère m’aurait certainement tenu à l’écart de la vie publique. Je ne voulais pas devenir roi ou pape, je n’avais pas ce besoin enfantin d’être le premier et de dominer les autres qui nourrit l’ambition politique à l’âge adulte, souvent sans aucune retenue. » Ce facteur extérieur n’a pas été le seul en cause dans la tournure qu’a pris sa vie, Luigi Pintor décèle également chez lui « une faiblesse congénitale, plus enclin que d’autres à souffrir de l’héritage de la guerre ».

Petit, il avait été frappé par un mot latin mystérieux écrit sous le portrait de l’un de ses ancêtres : servabo. « Cela peut vouloir dire je conserverai, je garderai, je resterai fidèle ou bien je servirai, je serai utile. » Tout au long de son parcours, Luigi Pintor a tenu cette ligne, celle de se rendre utile, d’être un serviteur sauf dans l’écriture de ses livres (et à raison). « Un livre, écrit-il, ne sert qu’à celui qui l’écrit, rarement à celui qui le lit. »

Né en 1925, mort en 2003, Luigi Pintor a été écrivain, journaliste et homme politique, un esprit indépendant qui ne tarira jamais sur rien : ni sur ses positions ni sur son mode de vie. Dans Servabo, mémoire de la fin du siècle, il livre une autobiographie bouleversante. Loin des récits souvent pompeux des politiciens, sa plume s’écoule « simple et clémente » telle qu’il décrivait sa vie familiale et son enfance dans une « île perdue des Sardes » où il avait passé au moins « mille jours de grande joie (…) sans suivre d’autres règles que celle dictée par le soleil » avant d’en être délogé par la guerre. Il raconte ses années d’insouciance à Cagliari ainsi : « Je ne connaissais aucune contrainte, la ville était pour nous un terrain de jeux : son vieux quartier agrippé à la roche, ses bastions et ses tours, les ruelles qui descendaient vers le port comme les ruisseaux nous donnaient une liberté sans mouvement. C’était une chance extraordinaire que je ne cesserai de regretter, comparée aux prisons de la modernité. »

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Pour Luigi Pintor, qui considère que « sur trois lignes il y en a toujours une de trop » et qui arrive à la conclusion que « deux pages suffisent à épuiser n’importe quel sujet », sa pensée se développe à travers la narration de sa vie répartie en courts chapitres aux titres sans équivoque : l’île, la ville, la guerre, la mine, la prison, la paix, le mariage, le métier, le panorama, l’exil, l’avant-poste, la douleur. Dans la postface du livre, le critique littéraire Carlo Ossola affirme que « Luigi Pintor est l’un de ces hommes pensifs qu’Albert Camus aurait pu placer à côté de Bernard Rieux dans La Peste, roman assurément lu par notre auteur (Luigi Pintor), dont il réécrit admirablement la leçon profonde ». Il cite ensuite l’écrivain italien : « Je ne fus pas étonné que les gens fussent restés pauvres, mais qu’ils eussent oublié la fraternité. Je ne cesserais pas de penser qu’il y a deux mondes, mais j’apprendrais que la ligne de démarcation n’est signalée sur aucun atlas et qu’elle passe tout au fond du cœur de l’homme. » Servabo, mémoire de la fin du siècle est le texte intime et sensible d’un écrivain, d’un journaliste, d’un politicien qui redonne ses lettres de noblesse au métier d’homme.

« Servabo, mémoire de la fin du siècle »

Luigi Pintor

(Traduction de Fanchita Gonzalez-Batlle, révisée par Lucie Marignac)

Les éditions Rue d’Ulm/Presses de l’École normale supérieure.

Écrivain, journaliste, photographe et commissaire d’exposition, Sabyl Ghoussoub est l’auteur de deux romans aux éditions de l’Antilope : « Le nez juif » et « Beyrouth entre parenthèses ». Son troisième roman sortira aux éditions Stock courant 2022.

Difficile de ne pas songer à l’Ukraine, à la Syrie, au Liban à la lecture des premières lignes du prologue de Servabo, mémoire de la fin du siècle de Luigi Pintor, figure historique de la gauche communiste italienne : « Dans son message d’outre-tombe, que j’aurai préféré ne pas recevoir, mon frère raconte comment la guerre lui a fait voir le monde sous un autre jour et...

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