
L’ancien ministre des Affaires étrangères Nassif Hitti. Photo Mohammad Yassine
Dans un entretien express accordé à L’Orient-Le Jour sur l’état de la politique extérieure du Liban, l’ancien ministre des Affaires étrangères Nassif Hitti insiste sur la nécessité pour le Liban de s’engager dans une « neutralité positive ». L’ancien ambassadeur de la Ligue arabe en France (et observateur permanent auprès de l’Unesco), en Italie et auprès du Saint-Siège, et ancien conseiller diplomatique du secrétaire général de l’institution panarabe, prône un concept concomitant, celui d’une « diplomatie utile » sans mélange des genres et surtout « sans tomber amoureux » d’une puissance tierce si l’on veut préserver les intérêts nationaux et stratégiques du pays.
Vous être l’un des farouches défenseurs de la neutralité positive. Pourquoi pas de la distanciation ?
La neutralité positive est proactive et doit agir dans l’intérêt stratégique du pays à l’inverse de la distanciation qui, elle, est passive. Elle suppose l’engagement dans une diplomatie plus active et la présence sur le terrain. La politique étrangère souhaitée pour le Liban est qu’il parvienne à jouer un jour le rôle de pompier et de bâtisseur de ponts dans la région, un peu comme le fait le sultanat d’Oman. Il serait plus sain pour le Liban de réhabiliter les relations avec les pays arabes et de pratiquer une politique de création de mesures de confiance et de retenue. Le Liban doit simplement s’abstenir de se transformer en tribune pour attaquer un pays tiers.
La neutralité positive nécessite toutefois deux conditions : d’abord un accord interne a minima ; ensuite, un accord similaire à l’extérieur. N’oublions pas que l’accord de Taëf a nécessité une entente en amont avant que les parties ne se mettent à la table des pourparlers. C’est un équilibre des forces extérieures et une entente pour sauver le Liban qui a prévalu à cet accord conclu pour mettre fin à la guerre civile. Le problème aujourd’hui est la cassure interne basée sur des idéologies identitaires au Liban. Mais l’accord interne minimal est non seulement possible, il est plus que nécessaire.
À quoi devrait s’attendre le Liban en cas d’accord, à Vienne, sur le nucléaire iranien ? Une éventuelle pacification de la région servira-t-elle les intérêts du Liban ou au contraire se ferait-elle à ses dépens ?
Un accord est une condition nécessaire mais non suffisante. Parce qu’il faut qu’il y ait des avancées sur les questions régionales entre les différents acteurs pour peser lourdement sur l’équation libanaise. La pacification qu’un éventuel accord pourrait entraîner ne peut que servir le Liban car elle ouvrirait grand les portes devant le dialogue et les pourparlers. Mais discuter du rôle du Hezbollah dans ce contexte ne signifie pas nécessairement vouloir le désarmer à ce stade.
Le régime en Syrie n’a pas perdu la guerre mais n’a pas gagné la paix non plus. Nous sommes dans une phase de transition et une période de changements. Tout dépend de comment toutes les parties concernées vont investir dans ces diplomaties.
Un des problèmes au niveau régional face à l’Iran est précisément la passivité arabe qui commence à être remplacée par un engagement actif dans ce domaine. Ceci est patent au niveau des contacts entre l’Iran et les Émirats arabes unis ainsi qu’à travers les réunions entre Iraniens et Saoudiens à Bagdad. Discuter reste une condition nécessaire pour aboutir à une normalisation des relations au niveau des puissances régionales.
On a vu un début de changement en Irak – notamment après les élections dans ce pays en octobre 2021. Le Liban pourra-t-il espérer aller dans la même direction en vue d’un modus vivendi constructif et non plus destructif ?
L’Irak a pu faire un pas géant en avant, profitant d’un nouvel équilibre entre les protagonistes en présence. Les puissances arabes ont compris qu’il faut y aller pour y réinvestir. En témoigne la coopération entre l’Irak, l’Égypte et de la Jordanie ainsi que le retour des pays arabes du Golfe (en Irak) via la coopération politique et économique. Les Iraniens sont intelligents. Ils ne veulent pas faire la guerre à tout le monde. Ils cherchent à préserver une partie du gâteau et à négocier pour savoir laquelle ils finiront par garder. Ils savent que s’ils ont pu profiter à un moment donné d’une plus grosse part, c’est parce qu’on les a laissés faire. La nature a horreur du vide…
En second lieu, un nouvel équilibre des forces s’installe en Irak surtout au sein de la communauté chiite.
En définitive, l’Iran ne veut pas avoir un Vietnam en Irak mais tient à préserver sa part d’influence dans ce pays. C’est un équilibrage dynamique qui est en train de se créer en Irak entre l’Iran et les puissances arabes. La conférence de Bagdad du 28 août dernier témoigne de ce nouveau processus.
Comment expliquez-vous le cafouillage libanais qu’il y a eu au niveau de la politique étrangère après l’agression russe en Ukraine ?
Il est clair que le chef de la diplomatie Abdallah Bou Habib n’a pas pu prendre la décision seul. Cela dit, la meilleure des solutions aurait été de faire une déclaration s’alignant sur celle de la Ligue arabe, qui était modérée. Nous aurions pu nous prononcer en faveur de la légalité internationale et les résolutions onusiennes et pour la résolution pacifique des conflits et condamner toute agression, sans nécessairement pointer du doigt l’agresseur. Notre problème au Liban, c’est la valse politique où l’on tangue d’un extrême à l’autre.
Nous avons fait preuve parfois d’immaturité politique concernant des questions qui relèvent de la sécurité nationale un peu comme notre position sur la ligne à adopter concernant la démarcation de la frontière maritime (NDLR : dans le cadre des pourparlers avec Israël). Cette frivolité et ces contradictions qui reflètent souvent des intérêts de politique politicienne nous font perdre toute crédibilité aux yeux des puissances internationales et régionales.
Que pensez-vous du retournement de situation qui s’est récemment produit dans le cadre des pourparlers avec Israël sur ce dossier ?
Depuis le début, j’étais en faveur de pourparlers qui prendraient pour point de départ la ligne 29 et non la ligne 23 (NDLR : pour délimiter la frontière maritime entre les deux pays). Ceci est dû à des raisons juridiques qui font que le tracé de la frontière maritime devrait commencer par Ras-Naqoura pour des raisons qui relèvent du droit international.
Dans un entretien express accordé à L’Orient-Le Jour sur l’état de la politique extérieure du Liban, l’ancien ministre des Affaires étrangères Nassif Hitti insiste sur la nécessité pour le Liban de s’engager dans une « neutralité positive ». L’ancien ambassadeur de la Ligue arabe en France (et observateur permanent auprès de l’Unesco), en Italie et auprès du...
commentaires (6)
"Le Liban devrait devenir le « pompier de la région »"... dur, dur à faire : sed el arooun est pollué et les autres fuient, électricité yok, mais pour les pompes... mission pompiers impossible.
Wlek Sanferlou
14 h 25, le 12 mars 2022