Critiques littéraires Autoportrait

La démesure de Jim Harrison

Sous les dehors du hâbleur et du plaisantin qu’il fut, se cachait un romantique tragiquement épris de la vie. C’est ce que nous découvrons, fascinés, en lisant La Recherche de l’authentique, un recueil de 44 articles récemment paru dans sa traduction française.

La démesure de Jim Harrison

© Andy Anderson

On le disait bon vivant. En effet, Jim Harrison, grand romancier et poète américain mort en 2016 à l’âge de 78 ans, était un gros buveur passionné de chasse et de pêche, un fumeur invétéré qui adorait cuisiner, manger et blaguer. Toutefois, cette épithète de bon vivant qu’on ne cesse de lui accoler, et que lui-même, par ses nombreux articles sur la bouffe, la boisson, la pêche et la chasse, avait largement contribué à répandre, est très réductrice ; car sous les dehors du hâbleur et du plaisantin qu’il fut, se cachait un romantique tragiquement épris de la vie. C’est ce que nous découvrons, fascinés, en lisant La Recherche de l’authentique, un recueil de 44 articles récemment paru dans sa traduction française (avant l’original en anglais) et qui couvre une période allant de 1970 à 2015, soit presque la totalité de la carrière de Jim Harrison.

« Voici une question implacable qui me taraude souvent à trois heures du matin, écrit-il dans l’un de ces textes : Comment et dans quelle mesure avons-nous trahi notre vie ? » Pour l’auteur des Légendes d’automne et de Dalva, trahir notre vie, c’est la vivre en somnambules, la laisser se dérouler convenablement et confortablement, en oubliant nos rêves, en oblitérant nos aspirations les plus intimes. Ne pas la trahir, c’est rechercher en tout ce que l’on fait son intensification. Cette angoisse de laisser la vie s’écouler insensiblement, sans l’avoir véritablement vécue, cette obsession de rendre chaque instant aussi intense que possible traversent tous les articles de ce recueil, si hétéroclites soient-ils. Qu’il s’extasie sur la beauté de la nature, relate une partie de pêche ou de chasse, évoque son enfance et sa jeunesse, réfléchit sur son travail d’écrivain, avoue son admiration pour Thoreau ou Steinbeck, fustige la cupidité et le conformisme des Américains, Harrison ne cesse de traquer tout ce qui est susceptible de transformer la vie en une aventure jubilatoire.

Il est aux antipodes du modèle de l’écrivain flaubertien. Bien que travailleur acharné, l’idée de sacrifier sa vie à l’art lui aurait sûrement paru absurde. C’est que pour Harrison, ces deux domaines ne constituent pas deux sphères distinctes ; l’art est partie intégrante de la vie, il permet de l’intensifier : « Dans la fiction, dit-il, j’essaie de rendre la vie plus intense. » Et il va même jusqu’à affirmer que « l’art et la littérature sont aussi naturels que la migration des oiseaux ou l’inévitable collusion entre l’amour et la mort ».

Il est également aux antipodes de l’archétype de l’écrivain nombriliste et tourmenté. Comme tout un chacun, il a connu son lot de malheurs – perte de son œil gauche à l’âge de sept ans, mort de son père et sa sœur (de laquelle il était très proche) dans un accident de voiture, des périodes de graves dépressions, etc. –, mais il ne s’y attarde pas trop. « C’est seulement peu à peu, dit-il, que j’ai compris que nos blessures sont beaucoup moins originales que nos guérisons. » Ses techniques de guérison, ce sont ses passions, ses obsessions bien connues de ses lecteurs : lire et écrire ; chasser avec ses chiens et pêcher avec ses amis ; marcher dans la nature sauvage et naviguer sur les rivières ; cuisiner, boire et manger ; se rendre dans des clubs de strip-tease.

Mais dans l’arsenal de Harrison se trouve une technique de guérison privilégiée : l’auto-ironie. Il est en effet assez rare de lire un écrivain qui, parlant de lui-même, se prend si peu au sérieux. À chaque fois qu’il se regarde, il voit un clown ou un saltimbanque ; il en rit de bon cœur, sans amertume ni apitoiement. Le personnage qu’il est ne l’intéresse pas tant que ça ; ce qui le fascine par contre, c’est la vie et sa splendeur tragique, le monde et son immensité terrifiante. Animé par un appétit de vivre démesuré, presque sacrilège, il voulait s’emparer de l’univers entier.

La Recherche de l’authentique de Jim Harrison, traduit de l’anglais par Brice Matthieussent, Flammarion, 2021, 432 p.

On le disait bon vivant. En effet, Jim Harrison, grand romancier et poète américain mort en 2016 à l’âge de 78 ans, était un gros buveur passionné de chasse et de pêche, un fumeur invétéré qui adorait cuisiner, manger et blaguer. Toutefois, cette épithète de bon vivant qu’on ne cesse de lui accoler, et que lui-même, par ses nombreux articles sur la bouffe, la boisson,...

commentaires (1)

Merci pour cet article, un écrivain à lire ou relire pour oublier un peu la morosité de notre monde !

Pandora

09 h 16, le 13 mars 2022

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Commentaires (1)

  • Merci pour cet article, un écrivain à lire ou relire pour oublier un peu la morosité de notre monde !

    Pandora

    09 h 16, le 13 mars 2022

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