Critiques littéraires Bande dessinée

Romans noirs et maîtres espions

Romans noirs et maîtres espions

Cauchemars Ex Machina de Thierry Smolderen (Scénario) et Jorge González (Dessin), Dargaud, 2022, 128 p.

L’auteur et dessinateur Jorje Gonzáles nous avait habitués à des récits intimement liés à son histoire familiale ou à l’exploration de ses origines. Parmi ses œuvres marquantes, figurent Chère Patagonie (2012) ou l’album semi-autobiographique La Flamme (2020), que nous avions eu l’occasion de présenter.

Dans l’un comme dans l’autre, son style graphique avait de quoi troubler. Le traitement du mouvement, la rondeur des yeux, la régularité des formes de ses personnages : tout cela semble tout droit venir d’une fréquentation intime du dessin animé. Ce ne serait pas exagéré que d’y voir même les traces d’un cousinage avec Disney. Pourtant, ce qui se dégage des planches de Jorje Gonzales est aux antipodes de cette tradition grand public. C’est comme si ces influences étaient tirées vers les territoires de l’expressionisme, des jeux de textures, du sali, du brut et de l’improvisation.

Cette esthétique sombre et accidentée s’adapte parfaitement au nouveau terrain de jeu qu’il se propose d’investir : le récit de genre. Dans Cauchemars Ex Machina, qui sort tout juste aux éditions Dargaud, il propose une plongée dans l’univers du roman noir. Pour cela, il s’associe au scénariste Thierry Smolderen. Enseignant à l’École des beaux-arts d’Angoulême, théoricien et historien de la bande dessinée (on lui doit un ouvrage de référence : Naissances de la bande dessinée, dans lequel il propose d’identifier la génèse du neuvième art dans des productions antérieures à celles généralement considérées comme étant à l’origine du médium), défricheur d’archives, jeteur de lumière (notamment sur les réseaux sociaux) sur des dessinateurs oubliés, Smolderen est un scénariste occasionnel, mais qui ne fait pas les choses à moitié, concoctant à chaque fois des récits aussi complexes que facétieux.

Cauchemars Ex Machina n’est pas sa première incursion dans les récits de genre : il avait bousculé les codes des histoires de science-fiction avec plusieurs albums dessinés par Alexandre Clerisse (L’Empire de l’atome ou Une année sans Cthulhu).

Avec Jorje Gonzáles, il nous propose aujourd’hui une plongée dans les arcanes de la Seconde Guerre mondiale, en optant pour un angle étonnant : le rôle qu’ont pu jouer des auteurs de fiction en temps de guerre auprès des services de renseignements. Au cœur du récit, trois écrivains de romans noirs : l’Anglaise Margery Allingham, le réfugié allemand Ernst Bornemann et le Français Corneille Richelin.

Si les deux premiers se retrouvent enrôlés par les services de renseignement alliés, le troisième s’amourache d’un officier allemand, neveu d’un des principaux responsables en armement du Reich. Tels des marionnettistes, voilà qu’Allingham et Bornemann s’appliquent à concocter machination sur machination pour utiliser l’esprit fragile de Richelin en vue de tromper l’ennemi.

Ode à l’imagination fertile des écrivains de romans noirs, l’album s’appuie sur ces auteurs-personnages, jamais à court d’idées, pour surprendre le lecteur à chaque chapitre.


Cauchemars Ex Machina de Thierry Smolderen (Scénario) et Jorge González (Dessin), Dargaud, 2022, 128 p.L’auteur et dessinateur Jorje Gonzáles nous avait habitués à des récits intimement liés à son histoire familiale ou à l’exploration de ses origines. Parmi ses œuvres marquantes, figurent Chère Patagonie (2012) ou l’album semi-autobiographique La Flamme (2020), que...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut