En parallèle de l’invasion russe de l’Ukraine, qui a débuté le 24 février, Vladimir Poutine s’est lancé dans une véritable guerre des mots, appuyée par les médias officiels, et portée par un discours composé de mensonges, d’exagérations et de récits révisionnistes pour justifier l’offensive russe. Pour enrayer la « machine médiatique du Kremlin », responsable de la « désinformation toxique », la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le 27 février le blocage des comptes Facebook, Instagram et YouTube des médias russes RT (anciennement Russia Today) et Sputnik dans toute l’Europe, illustrant ainsi le danger des outils de la propagande russe.
« Opération militaire », « maintien de la paix »
Qualifiant, le 24 février, d’ « opération militaire spéciale » son invasion de l’ensemble du territoire ukrainien, le président russe veut camoufler les réalités derrière son offensive. Peu après avoir reconnu trois jours plus tôt l’indépendance des deux républiques séparatistes prorusses à l’est de l’Ukraine, le chef du Kremlin avait signé un ordre pour que ses troupes pénètrent dans les deux régions sous couvert d’une mission de « maintien de la paix », se positionnant ainsi comme libérateur plutôt qu’agresseur. Dans les discours tenus par les officiels russes de même que dans les médias affiliés au régime, aucune mention du terme « guerre » ne doit être faite. Les médias indépendants qui s’y sont essayés ont été ordonnés par le régulateur national des médias de supprimer toute référence à une « invasion », « offensive » ou « déclaration de guerre », et tout contenu évoquant la mort de civils ukrainiens tués par l’armée russe. Signe de l’enjeu que revêt la communication dans ce conflit, le président de la Douma (Chambre basse du Parlement russe) Vyacheslav Volodin a approuvé lundi une proposition de loi destinée à punir les « mensonges » sur les actions des troupes russes en Ukraine. Cette censure, appliquée par Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir en 2000, permet à Moscou de défendre la légitimité de son invasion en Ukraine, qui serait motivée, selon lui, par une volonté de libération et non d’occupation des populations russophones du Donbass (Est) et, plus généralement, de celle de la population ukrainienne dirigée par des « drogués » au pouvoir. Désirant ramener son voisin pro-occidental dans son giron, le président russe n’hésite pas à taxer l’Ukraine et le gouvernement Zelensky de « colonie (américaine) avec un régime fantoche ».
Construction territoriale « artificielle »
En soutenant dans son discours du 21 février que « l’Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie bolchevique et communiste », et que le territoire ukrainien fut constitué en « arrachant » des parties de territoires historiques à la Russie, Vladimir Poutine nie l’identité et la souveraineté ukrainiennes. Cette construction territoriale « artificielle » résulte, selon lui, du tracé des frontières soviétiques dans les années 1920, 1940 et 1950. Avec l’effondrement de l’URSS en 1991, l’État ukrainien serait donc la continuité de l’État russe. Partant de cette logique, Moscou considère Kiev comme une zone essentielle de son espace vital, de laquelle elle entend obtenir une soumission totale.Pour parfaire sa propagande, Vladimir Poutine puise dans le registre du panslavisme, doctrine politique, culturelle et sociale consistant à mettre en avant l’identité commune partagée par les peuples slaves dont les Ukrainiens font partie. L’affirmation du président russe selon laquelle « Russes et Ukrainiens sont un seul peuple » agit comme outil de justification d’une réunification des deux territoires. Cette idée de peuple unique, déjà exprimée dans un essai signé de sa main en juillet 2021, s’accompagnait d’une explication des tensions actuelles entre les deux États, qui attribuait cet éloignement à la stratégie occidentale incarnée par l’OTAN.
Répétant à tout-va que les Ukrainiens sont des frères russes, le chef du Kremlin n’hésite pas à rappeler que son voisin est habité par des citoyens originaires de Russie, alors qu’ils seraient en réalité une minorité que Moscou souhaiterait voir grossir. Depuis 2014, plus de 600 000 habitants du Donbass ont déjà obtenu un passeport russe.
« Néonazis »
C’est par ces mots que Vladimir Poutine s’est adressé directement, vendredi, aux soldats ukrainiens : « Ne permettez pas aux néonazis d’utiliser vos enfants, vos femmes et les personnes âgées comme boucliers humains. » Une rhétorique qui avait déjà été utilisée par Moscou lors de la guerre de Crimée en 2014. Les médias russes contrôlés par le pouvoir ont récemment renforcé ces allégations en affirmant que des trains et des bus de « néonazis » se dirigeraient en direction du Donbass pour « exterminer » les populations russophones. Ces accusations se fondent sur un phénomène minoritaire observé depuis 2014 en Ukraine, à savoir l’inspiration nazie de groupes ukrainiens d’extrême droite. Au moment de la guerre dans le Donbass, certains bataillons, comme Pravi Sector, ont été accusés de comporter des membres adhérant à l’idéologie nazie. Si ces bataillons ont été réintégrés à l’armée régulière ukrainienne, le président Volodymyr Zelensky a toutefois décidé par la suite d’écarter de l’institution les membres interpellés.
L’utilisation par la propagande russe du terme « nazi » pour qualifier le régime ukrainien a également pour fondement un épisode douloureux de l’histoire ukrainienne lors de la Seconde Guerre mondiale. Certains Ukrainiens de l’Ouest avaient alors rejoint l’Allemagne nazie pour lutter contre les Soviétiques. Cependant, la cause de ce ralliement relevait moins de l’adhésion à l’idéologie nazie que de la promesse allemande d’agir en faveur de l’indépendance vis-à-vis de l’URSS. Si des manifestations d’inspiration fasciste ont depuis refait surface épisodiquement en Ukraine, ces mouvements demeurent néanmoins minoritaires et leurs marches interdites par le président actuel.
« Génocide »
Le recours par Vladimir Poutine au terme de génocide, porteur d’une forte charge émotionnelle et symbolique, n’est pas anodin et ferait écho à une expérience traumatisante de l’histoire ukrainienne, à savoir « la grande famine qu’ont subie les Ukrainiens durant les années 1930, au moment de la collectivisation des terres par les Soviétiques russes pendant laquelle jusqu’à 5 millions d’habitants sont morts », suggère Carole Grimaud-Potter, professeure de géopolitique et spécialiste de la Russie, dans un article publié vendredi sur France Info. Un procédé russe visant une fois de plus à déstabiliser Kiev par la force des mots et à justifier son invasion du fait d’un besoin d’agir rapidement.
Une pensée pour le peuple russe, c'est terrible d'avoir un fou furieux aux commandes de leur pays et bravo au courage du président ukrainien soutenu par + de 90% de sa population.
21 h 15, le 02 mars 2022