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Culture - Disparition

Mona Saudi est partie graver dans l’éternité son rêve de pierre...

La sculptrice libano-jordanienne, dont l’une des œuvres trône sur le parvis de l’Institut du monde arabe à Paris, est décédée mercredi soir à l’âge de 77 ans après deux ans de lutte contre la maladie.

Mona Saudi est partie graver dans l’éternité son rêve de pierre...

Mona Saudi devant son œuvre sur le parvis de l’Institut du monde arabe. Photo d’archives

« Quand je regarde autour de moi et que je vois toutes mes créations, je me dis que celles que j’ai encore dans la tête sont bien plus nombreuses que celles que j’ai pu réaliser. Tout a commencé chez moi par le rêve. Et je crois que je suis toujours une rêveuse. Si le temps m’est propice, j’espère pouvoir accomplir la suite de mes rêves », confiait-elle dans une interview filmée pour Art Dubai en 2020. L’âpreté du destin en a décidé autrement. Moins de deux ans plus tard, elle s’est éteinte dans sa maison-atelier à Beyrouth où elle a passé la majeure partie de sa vie entourée de ses sculptures toutes issues de sa « mémoire poétique », aimait-elle répéter.

Née en 1945 à Amman en Jordanie, Mona Saudi avait fait du Liban sa terre d’élection. Et de Beyrouth sa résidence permanente. Elle y avait présenté en 1963 sa toute première exposition – de dessins – au café de la presse à Hamra sous le parrainage de Paul Guiragossian. Puis, de retour en 1969, après deux ans de formation à l’École des beaux-arts de Paris, elle s’était définitivement installée au cœur de la « capitale libanaise vivante et dynamique » (à l’époque !) pour y poursuivre en toute liberté sa recherche artistique désormais axée sur l’art sculptural. Et depuis, sous les bombes ou en temps de paix, elle n’avait jamais voulu quitter son « jardin de pierres et d’orangers », son atelier à ciel ouvert collé à sa maison nichée dans un coin tranquille du secteur Clemenceau. Ses sculptures, par contre, ont voyagé. Outre celles qui font partie de collections privées à l’international, certaines de ses grandes œuvres trônent depuis des décennies dans diverses institutions publiques à l’étranger. À l’instar de la fameuse Géométrie de l’esprit, pièce monumentale en marbre qui se dresse depuis 1987 sur le parvis de l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris ; de La Rivière, une sculpture de granit bleu, qui se trouve devant la Banque de Pétra, ou encore de Variations sur le Noun, installée dans le jardin de l’ambassade de France à Amman...

Pour mémoire

Mona Saudi, vingt ans de labeur et de liberté

Éprise de la pierre, la sculptrice en avait fait sa compagne de tous les instants. Elle avait choisi (« élu », précisait-elle) « cette matière première et éternelle de la terre » qu’elle pouvait ciseler pour en faire jaillir des « formes vivantes » depuis son plus jeune âge. Depuis son enfance passée à Amman, où, habitant à proximité d’un ancien amphithéâtre romain qui lui servait d’aire de jeux avec sa bande d’amis, elle délaissait ces derniers « pour aller contempler et essayer de reconstituer mentalement les têtes, les bustes et les membres épars entre les ruines des antiques effigies de pierre », confiait-elle à L’Orient-Le Jour dans un entretien.

Mona Saudi- les sculptures dans son jardin

« La sculpture est un dialogue… »

C’est de cette fascination-là que naîtra sa vocation. « Et ce sentiment intérieur qu’il me faudrait “créer” pour donner un sens à ma vie », dira-t-elle. Un sentiment porté par les préoccupations métaphysiques de cette benjamine d’une famille conservatrice et religieuse qui ne cessera tout au long de sa vie de questionner, à travers ses créations, les diverses formes de l’existence de Dieu.

Cette profondeur tant spirituelle qu’intellectuelle forgera sa liberté d’esprit et alimentera toute son œuvre. Résolument abstraite ! Depuis sa première Terre nourricière sculptée dans le granit en 1965 jusqu’aux créations de ces derniers mois, elle n’aura cessé d’explorer la thématique d’une figure maternelle transcendée et déclinée en Mères-Terre, Femmes–fleuves ou encore Cercles de vie… Mais il y aura aussi d’autres thèmes leitmotiv, comme le Cercle du temps, la Porte du temps, les Hommes troncs qui dégagent chez elle un sentiment de calme cosmique mêlé à une impression de plénitude terrestre.

Mona Saudi disait toujours rechercher « la forme pure et parfaite ». Bien qu’engagée, elle n’aimait pas « les cris dans l’art, ni la tragédie ni l’expressionnisme direct (...) pas plus que la sculpture qui déforme le corps humain ». Ses œuvres en témoignent : des masses compactes aux angles arrondis, des formes cubiques ou ovoïdes qui épousent et célèbrent toutes les natures de pierre, de celle verte de Jordanie – pour laquelle elle avait une prédilection certaine – au marbre de Carrare, en passant par le calcaire rose d’Irbid ou le marbre sauvage de la Békaa...

Son choix absolu de contemporanéité n’était en réalité pas étranger à ses racines orientales. « L’art abstrait, découvert en Occident au XXe siècle, existait déjà dans les représentations sculpturales des civilisations orientales phéniciennes, sumériennes et égyptiennes antiques », affirmait avec vigueur celle pour qui « la sculpture est un dialogue avec la pierre, et les formes géométriques et abstraites en sont les mots ». Des mots toujours « vecteurs de contemplation » que Mona Saudi, férue de poésie, retranscrivait d’ailleurs parfois en « odes à la sculpture ». Tout comme elle s’inspirait aussi dans son travail sculptural des poèmes de Mahmoud Darwish.

« Solide comme sa pierre »

Réagissant à l’annonce de sa disparition, le galeriste Saleh Barakat – qui avait consacré un hommage rétrospectif au travail de Mona Saudi en septembre 2017 – a salué la mémoire de celle qui fut « l’une des doyennes de la sculpture dans le monde arabe. Elle aura été sans conteste l’une des plus grandes sculptrices de la scène artistique libanaise et régionale, avec une “patte”, une identité et une empreinte très personnelles. Autour de sujets qui l’ont toujours obsédée, comme la maternité et la vie, elle a varié avec talent les matériaux et les jeux de texture. C’était une artiste et une intellectuelle d’une grande indépendance d’esprit, une femme de caractère, au tempérament forgé par une vie difficile que je respecte énormément. Elle était solide comme sa pierre ».

Le calligraphe Samir Sayegh, son compagnon de jeunesse, résume quant à lui son travail artistique comme celui qui, « par sa dualité entre force et tendresse, puissance et rondeurs, illustre au mieux les temps de la révolte, et ceux de la défaite au Liban et dans le monde arabe ». Mona Saudi en aura été, assurément, l’une des premières « sculptrices » et l’une des plus reconnues.

« Quand je regarde autour de moi et que je vois toutes mes créations, je me dis que celles que j’ai encore dans la tête sont bien plus nombreuses que celles que j’ai pu réaliser. Tout a commencé chez moi par le rêve. Et je crois que je suis toujours une rêveuse. Si le temps m’est propice, j’espère pouvoir accomplir la suite de mes rêves », confiait-elle dans...

commentaires (2)

Adieu à cette étoile de la sculpture. Elle décorera les jardins du paradis de ses oeuvres tout en récitant ou même fredonnant des poèmes du grand Mahmoud Darwish ... Paix à leurs âmes..

Wlek Sanferlou

03 h 01, le 20 février 2022

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Commentaires (2)

  • Adieu à cette étoile de la sculpture. Elle décorera les jardins du paradis de ses oeuvres tout en récitant ou même fredonnant des poèmes du grand Mahmoud Darwish ... Paix à leurs âmes..

    Wlek Sanferlou

    03 h 01, le 20 février 2022

  • encore un départ de la génération des années avant 1975...riche en pluralisme et créativité... condoléances à tous ceux qui l'ont connue, et particulièrement à Samir Sayegh.

    elias austa

    08 h 42, le 19 février 2022

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