
En juin 2020, pour cause de crise économique et de pandémie, ces travailleuses éthiopiennes s’étaient retrouvées sans emploi, devant leur ambassade, dans l’espoir d’être rapatriées. Photo AMH
Dans un Liban en plein effondrement économique déserté par sa main-d’œuvre étrangère, le ministère du Travail s’emploie en catimini… à durcir drastiquement les conditions de travail des employées de maison migrantes et ce système de parrainage (Kafala) qui restreint leur liberté. L’initiative du ministre Moustapha Bayram de réviser le contrat signé entre une travailleuse domestique et son employeur s’apparente pratiquement à une légalisation du travail forcé, de l’esclavage moderne et du trafic humain, aux dires d’organisations internationales de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch ou Amnesty International et même selon l’Organisation internationale du travail (OIT). En cas d’adoption, elle admettrait notamment la confiscation du passeport d’une employée de maison par ses employeurs et son enfermement, lui refuserait le droit de sortie seule les trois premiers mois de son contrat, de même qu’une pause au bout de cinq heures de travail d’affilée. Elle rendrait aussi impossible toute rupture de contrat de sa part même en cas d’abus, vu les conditions financières rédhibitoires, pour ne citer que ces quelques éléments parmi une multitude d’autres. Dévoilée par l’Agenda légal, organisme de recherche sur le travail législatif, l’affaire inquiète. Elle balaierait d’un trait les tentatives, gelées pour l’instant, d’accorder aux travailleuses domestiques (exclues du code du travail) leurs droits les plus basiques par l’adoption en 2020 d’un nouveau contrat de travail. Tentatives louables, quoique imparfaites. Pire encore, elle privilégierait les bureaux de recrutement accusés de gains faramineux sur le dos des travailleuses, vu qu’en cas de litige entre les deux parties, ils n’auraient aucune responsabilité à assumer.
Seulement 9 762 travailleuses recrutées au Liban
C’est dans ce cadre que l’OIT organise sa riposte qu’elle veut positive. Mandatée pour apporter un soutien technique au ministère du Travail, elle n’a jamais été consultée dans la démarche actuelle dudit ministère. Parallèlement, pour redonner vie au débat avec la société civile et les organisations internationales sur les droits des travailleuses domestiques migrantes, elle a organisé un webinaire hier avec le groupe de travail qu’elle a présidé durant deux bonnes années sur la réforme du contrat de travail domestique. Un groupe composé d’organisations locales et internationales de défense des droits humains : Caritas, Kafa, Legal Agenda, Amnesty International, Human Rights Watch, mais aussi de L’Orient-Le Jour. Étaient également présents hier des représentants de l’Organisation internationale des migrations (OIM), du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), du Mouvement antiracisme (ARM), Fenasol… « L’objectif de la réunion était de consulter la société civile et les organisations internationales sur les moyens constructifs d’assurer la protection des travailleurs domestiques migrants conformément aux normes du travail », explique Zeina Mezher, porte-parole de l’OIT.
Car le Liban est aujourd’hui considéré par la communauté internationale comme l’un des cancres en matière de droits de sa main-d’œuvre étrangère. En période de pandémie de Covid-19 et d’effondrement économique, les images de travailleuses migrantes abandonnées, sans ressources, aux portes des ambassades ont horrifié le monde. Cerise sur le gâteau, les travailleuses sans papiers font aujourd’hui l’objet d’odieux chantages pour parvenir à rentrer chez elles. « Chantages financiers en dollars frais, mais aussi à caractère sexuel sont orchestrés par les bureaux de recrutement pour salir l’image des travailleuses kényanes qui s’échinent à régulariser leur situation pour quitter le pays », accuse Castro Abdallah, président du syndicat Fenasol, qui milite pour les droits des employées de maison. Une situation qui décourage les travailleuses étrangères de se faire embaucher au Liban. « En 2021, seulement 9 762 travailleuses migrantes ont été recrutées au Liban et 65 825 ont renouvelé leur permis de travail », révèle Zeina Mezher.
Aucun compromis sur les droits fondamentaux du travail
Comment en sommes-nous arrivés là, après avoir crié victoire il y a deux ans ? En septembre 2020, la ministre sortante du Travail, Lamia Yammine, adoptait un nouveau contrat de travail unifié à l’intention des employées de maison migrantes. Une initiative qui visait alors à mettre fin aux abus et violations répétées de leurs droits en l’absence de la moindre protection légale, tant de la part d’employeurs peu scrupuleux que d’agences de placement guidées par des considérations exclusivement mercantiles. Le document est l’aboutissement d’un travail d’un an et demi, initié par le précédent ministre du Travail Camille Abousleiman, en collaboration avec le groupe de travail dirigé par l’OIT. Mais un mois plus tard, et suite à une action en justice menée par le syndicat des bureaux de recrutement, mécontent du nouveau contrat, le Conseil d’État a suspendu sa mise en œuvre.
L’affaire est remise sur le tapis fin 2021 lorsque le ministre du Travail Moustapha Bayram, proche du Hezbollah, décide de réglementer le travail des étrangers au Liban. « Il veut alors préserver l’image du Liban auprès de la communauté internationale et améliorer la note du pays sur le respect des droits de l’homme », observe l’Agenda légal dans son enquête sur le dossier. Le ministre Bayram propose même de geler les permis de nouvelles agences de recrutement, après avoir été averti par les organisations onusiennes de pratiques de trafic d’êtres humains. « C’est alors qu’il décide de se pencher sur le contrat de travail des employées de maison », explique l’ONG. Avec pour point de départ, le contrat de travail adopté en 2020 par Lamia Yammine auquel il a apporté des amendements, finalisant ainsi un brouillon de contrat.
Une question se pose aujourd’hui. Faut-il tenir tête à un ministère accusé de façonner un contrat à la mesure des agences de recrutement, ou au contraire accepter les compromis au détriment des droits essentiels des travailleuses migrantes ? Les discussions vont bon train. Dans la situation actuelle d’effondrement économique et de pandémie, la nécessité de ne pas faire de compromis sur les droits fondamentaux du travail fait l’unanimité.
« Le contexte actuel et l’évaluation du processus politique passé suggèrent que la modification de la législation du travail est inévitable face à l’impasse qui laisse les travailleurs domestiques migrants (et éventuellement nationaux) dans des conditions inacceptables », conclut Zeina Mezher. Autrement dit, n’est-il pas grand temps pour les travailleurs domestiques du Liban d’être protégés par le code du travail ?
commentaires (11)
J’ai beau lire ce papier attentivement, je n’y trouve aucune info sur les changements que le ministre veut apporter au contrat-type de recrutement de la main d’œuvre étrangère. Quelqu’un peut-il détailler les clauses qu’il veut modifier? Parce que, pour hurler au scandale, il faut des billes. Et ici, des billes, y a point.
Marionet
22 h 43, le 16 février 2022