Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Observation et suggestions à l’attention du FMI

Observation et suggestions à l’attention du FMI

Photo Kristi Blokhin

Observations concernant la lettre ouverte de l’ONG Kulluna Irada à la directrice générale du FMI publiée dans L’OLJ du 22 janvier 2022.

J’ai lu avec attention votre lettre ouverte à la directrice générale du FMI publiée et tiens à vous féliciter pour son contenu et pour l’initiative que vous avez prise de souligner les appréhensions de la grande majorité du peuple libanais relatives à la classe politique, aux effets dévastateurs d’une milice armée au sein de l’État et aux détenteurs du pouvoir financier qui ont causé la catastrophe économique actuelle.

Je trouve aussi louable que vous ayez averti que l’ajustement en cours est brutal et inéquitable et ne sert que les intérêts de ceux qui sont responsables du désastre actuel. Les propositions sont réalistes et courageuses et méritent que l’on s’arrête dessus. C’est la raison pour laquelle je me permets d’émettre ci-dessous certaines observations et d’ajouter certaines suggestions dans le but de maximiser les chances d’une sortie de crise et d’un regain de confiance dans les plus brefs délais.

Il aurait été utile d’inclure les points suivants :

1- La réforme de la justice. Sans une justice efficace et indépendante, il sera très difficile au secteur privé et aux investisseurs étrangers de s’engager à nouveau. Et sans une justice non politisée et motivée, il sera impossible de réduire la corruption pour redonner confiance aux investisseurs étrangers. Il sera aussi impossible de recouvrer une partie des fonds mal acquis et rapatrier les fonds virés à l’étranger depuis le début de la crise. L’arrêt du gaspillage, de la corruption ainsi que la bonne gouvernance que vous souhaitez commencent par une justice performante, ce qui est loin d’être le cas en ce jour.

2- Le contrôle des frontières. Il s’agit pour le FMI de veiller à ce que toute aide soit conditionnée à un système strict de contrôle sur le port, l’aéroport et toutes les frontières avec la Syrie et une gestion efficace et transparente des douanes et des frontières. Les douanes représentent le plus grand revenu de l’État libanais et le manque à gagner dans ce secteur avant la crise est estimé à 600 millions de dollars par an. Le manque de contrôle à la frontière syrienne a fait perdre des milliards de dollars au pays surtout après 2011, date qui a marqué le début de la guerre en Syrie et les sanctions imposées sur ce pays par l’Europe et les États-Unis.

3- La fermeture pure et simple de dizaines de caisses et d’institutions qui relèvent de l’État ainsi que l’arrêt du financement des ONG détenues par les politiques ou leurs proches. Ces institutions existent encore uniquement pour servir les intérêts des oligarques et des chefs communautaires et sont une source de dilapidation des fonds de l’État. Elles incluent entre autres le Conseil du Sud, les Chemins de fer, la Caisse des déplacés, la Finance Bank… et au moins 20 autres.

4- Combattre l’évasion fiscale et collecter l’argent dû à l’État. Ceci doit inclure la vérification que les taxes ont été réglées sur les fonds transférés à l’extérieur de manière non éthique et contraire à la responsabilité fiduciaire des banques. Ces fonds étant estimés par la société Moody’s à 9,4 milliards de dollars, les taxes et les pénalités représentent un montant non négligeable et le rapatriement donnera un « impetus » de taille à la situation financière du pays. Ceci doit aussi inclure les biens maritimes et la non-collecte des factures d’EDL.

5- Résoudre le problème de l’électricité. Ceci doit inclure les recommandations de Kulluna Irada au sujet de la remise sur pied de cette institution. EDL représente des pertes sèches qui ont atteint deux milliards de dollars par an et la vision là-dessus s’impose en priorité.

Quant à mes commentaires relatifs à certaines de vos recommandations communiquées dans votre lettre, ils sont les suivants :

A- Votre lettre mentionne : « La distribution équitable des pertes suppose de les imputer en premier aux actionnaires des banques, le bail-out doit être exclu. »

Les actionnaires des banques portent effectivement une grande part de responsabilité et doivent donc faire bien plus pour renflouer leurs banques surtout que leurs profits des 20 dernières années avoisinent les 25 milliards de dollars. Mais s’ils pouvaient rembourser à eux seuls la perte des dépôts, dans un délai raisonnable, de sorte à permettre au système financier de démarrer, ce serait idéal. Mais, à mon avis, ceci n’est pas réaliste. Les pertes du système financier étant établies à 69 milliards de dollars, au minimum, une telle proposition reviendrait à faire assumer au déposant tôt ou tard un haircut énorme sur la valeur initiale de son dépôt. Et on s’orienterait, comme propose la feuille du gouvernement, vers une émission de bons du Trésor en faveur des déposants ou/et un bail-in qui consiste à lui octroyer des actions dans les banques non recapitalisées et non restructurées. Ces deux options veulent dire que son remboursement serait remis aux calendes grecques et qu’il ne retrouvera pas grand-chose de son argent. Et si le bail-out tel que proposé en ce moment est composé de bons du Trésor en LL sans échéance précise, les chances de paiement en un temps acceptable sont inexistantes car nous n’avons aucune garantie du retour à la productivité dans nos institutions étatiques. J’estime que les déposants ont perdu toute confiance en l’État et la BDL, et donc toute solution qui compte sur eux.

Donc un bail-out partiel mais direct des déposants, et non des banques, devrait faire partie de la solution et devrait inclure certains biens de l’État qui seraient octroyés à une société cotée en Bourse et dont la gestion dépendrait des déposants eux-mêmes qui auraient l’option d’échanger leurs dépôts par des actions dans cette société. Ceci tout en s’assurant qu’il n’y ait pas de monopole des grands déposants dans la gestion par l’imposition de « covenants » pour les protéger.

Une gestion choisie et supervisée par les déposants gérera mieux ces biens et saura mieux les revaloriser. L’État qui a démontré son incapacité totale de gérer à bien son patrimoine peut s’attendre à encaisser à moyen terme, en taxes seulement, autant que la totalité des revenus qu’il perçoit de ces biens. Ces biens cédés par l’État et la BDL représenteront une partie de ce qu’elles doivent aux banques.

Il est vrai que les déposants ne représentent que près de la moitié de la population, comme vous l’avez bien souligné, cependant, toute la population a été appelée aux urnes et a élu, et élu maintes fois, ces mêmes dirigeants oligarques et leur a, par ce fait même, donné une procuration illimitée pour emprunter les fonds et les dilapider. Tout le peuple porte donc une part de responsabilité de rembourser cette dette et doit faire le nécessaire pour que ces dirigeants rendent l’argent mal acquis afin que le pays redémarre. L’État doit repayer concrètement au moins une bonne partie de sa dette et faire payer ceux qui ont volé ou dilapidé l’argent du peuple.

Sans cela, ce serait, hélas, une hécatombe pour les déposants, surtout les moyens et grands d’entre eux qui représentent 85 % des dépôts et qui ont été, et seront de nouveau, les principaux moteurs du développement financier et économique du pays, à condition qu’ils reprennent confiance. Leur confiance dans le secteur financier serait détruite pour des décennies s’ils ne retrouvent pas une valeur réelle et acceptable de leurs dépôts.

B- La lettre recommande qu’une partie de l’or puisse servir à « protéger l’épargne d’une certaine catégorie de petits déposants dans le cadre d’un plan global ». Malheureusement, au Liban et de par l’expérience passée, un plan reste en général un plan et n’est jamais exécuté comme il le faut. Aucune garantie pour l’instant que le plan, même une fois voté au Parlement, sera en fait exécuté par cette classe politique et financière et que la corruption va s’arrêter. L’or aurait déjà été dilapidé comme les 56 milliards de dollars de la BDL et les dettes de l’État l’ont été si la loi ne l’interdisait pas. Cet or est le dernier bien quantifiable et d’une valeur marché sûre qui doit servir de socle et de garantie de la reprise une fois le plan adopté. Cet or est aussi le meilleur réconfort pour les institutions étrangères qui vont prêter au Liban pour l’aider à se relever et dont on a grand besoin. Son utilisation ne doit pas être mise sur la table pour l’instant, à mon avis.

C- Vous préconisez une « nouvelle gestion à la BDL ». C’est le moins qu’on puisse dire étant donné la gestion catastrophique de la BDL au moins depuis 2013. Mais celle-ci doit aller de pair avec une actualisation des lois, en l’occurrence le code de la monnaie et du crédit pour arrêter les prêts directs ou indirects à l’État, pour garantir l’indépendance de la BDL, pour empêcher le financement direct ou indirect des médias, le financement de ceux qui n’en ont pas besoin, etc. Il s’agit aussi que cette nouvelle structure légale mette un terme au clientélisme et aux bénéfices direct ou indirect qui peuvent être perçus par les hauts placés à la BDL dans des affaires de courtage ou autres qui ont une relation quelconque avec le secteur financier libanais ou avec les banques qu’elle est censée contrôler. Une nouvelle gestion seule ne présente donc pas une garantie suffisante.

Des garde-fous et une restructuration s’imposent aussi. Pour aider à atteindre cet objectif il serait souhaitable, une fois le programme du FMI mis en place et entamé, de penser à un système de Currency Board qui imposerait une discipline monétaire stricte de par la loi et donnerait confiance et visibilité aux investisseurs.

Finalement, je félicite Kulluna Irada pour cette initiative et pour sa définition des objectifs à atteindre. Je la félicite aussi pour son activité diversifiée qui consiste entre autres à servir de catalyseur à un véritable changement dans le panorama des personnalités politiques qui gouvernent notre pays. J’espère que ces quelques idées émises ci-dessus puissent servir à un addendum à la lettre envoyée au FMI sachant que cette lettre revêt une grande importance vu son contenu et son timing.

Président honoraire de l’Association des diplômés de Harvard au Liban.

Ancien banquier à JP Morgan à Wall Street et enseignant dans le programme MBA à la New York University.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Observations concernant la lettre ouverte de l’ONG Kulluna Irada à la directrice générale du FMI publiée dans L’OLJ du 22 janvier 2022.J’ai lu avec attention votre lettre ouverte à la directrice générale du FMI publiée et tiens à vous féliciter pour son contenu et pour l’initiative que vous avez prise de souligner les appréhensions de la grande majorité du peuple libanais...

commentaires (1)

Point de vue et remarques pleines de bons sens. Merci.

Sam

09 h 19, le 09 février 2022

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Point de vue et remarques pleines de bons sens. Merci.

    Sam

    09 h 19, le 09 février 2022

Retour en haut