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Société - Crise

« Notre gouvernement nous tue » : les patients cancéreux laissent éclater leur colère

L’association Barbara Nassar a organisé un sit-in à Beyrouth vendredi à l’occasion de la Journée mondiale de la lutte contre le cancer, afin de dénoncer la difficulté d’accès au traitement en raison des pénuries.

« Notre gouvernement nous tue » : les patients cancéreux laissent éclater leur colère

Des manifestants dénonçant la difficulté d’accès au traitement des malades souffrant de cancer, lors d’un sit-in organisé par l’association Barbara Nassar à Achrafieh, le 4 février 2022. Photo Layal Dagher

La sirène d’un corbillard retentit sur la place Sassine à Achrafieh en ce vendredi après-midi. Quatre hommes en retirent un cercueil sous une pluie battante, alors qu’un groupe de zaffé (danse traditionnelle pour les grandes occasions) fait son entrée, bloquant brièvement la circulation et suscitant l’étonnement des passants. Des dizaines de personnes vêtues de noir arrivent alors sur place, brandissant des pancartes avec des slogans dénonçant les risques fatals auxquels font face les malades souffrant de cancer au Liban. « Nous voulons un médicament pour le cancer et non pas un cercueil », « Notre gouvernement nous tue », « Nous ne pouvons pas attendre », scandent des volontaires de l’ONG Barbara Nassar, qui organise ce rassemblement à la mise en scène volontairement macabre pour mieux frapper les esprits.

Soudain, la foule se calme. Les hommes déposent le cercueil par terre, au bord de la rue. Un silence glaçant s’instaure. « Le patient a droit à un traitement digne. Nous voulons vivre et non pas mourir », lance le président de l’association, Hani Nassar. Et il se met à donner de brusques coups de marteau au cercueil, avant que les hommes qui l’ont descendu du corbillard n’en fassent de même, le détruisant complètement.

Scène macabre montée par l’association Barbara Nassar sur la place Sassine à Achrafieh, en guise de protestation contre les pénuries de médicaments pour le cancer, le 4 février 2022. Photo Layal Dagher

Compenser les lacunes de l’État

« Ceux qui ont enduré un traitement de chimiothérapie ne seront pas gênés par la pluie. Brisons le silence et faisons entendre notre voix ! » : c’est avec ce slogan que l’ONG, qui vient en aide à des patients cancéreux depuis 2014, a appelé à un sit-in au cœur de Beyrouth à l’occasion de la Journée mondiale de la lutte contre le cancer, qui tombe le 4 février. En août dernier, l’association avait également organisé une mobilisation afin de tirer la sonnette d’alarme sur la pénurie de médicaments contre le cancer. « Suite à cette mobilisation, les produits avaient alors été importés et réintroduits sur le marché, mais nous sommes à nouveau confrontés à des ruptures de stock », regrette le président de l’association. « En raison des pénuries, les traitements sont interrompus, ce qui réduit leur efficacité et met en danger la vie des malades », explique-t-il, assurant faire de son mieux afin de « compenser les lacunes de l’État ».

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L’association Barbara Nassar, qui compte sur 25 volontaires dont une majorité de jeunes, est déjà venue en aide à 2 053 patients. Cette ONG qui assure un soutien psychologique et financier aux malades organisait avant le début de la crise plusieurs activités afin de s’autofinancer et de sensibiliser les jeunes au dépistage précoce du cancer. Elle a récemment ouvert une branche au Canada et tente d’établir des contacts avec des parties étrangères afin de maintenir ses aides.

Concernant les difficultés rencontrées par des patients pris en charge par son association, Hani Nassar déplore que « ces derniers vivent dans l’humiliation et sont condamnés à mort par l’État ». « Afin de pouvoir acheter leurs médicaments, certains malades sont contraints d’économiser sur les poches de stomie (qui stocke les matières éliminées, que ce soit des selles ou de l’urine), dont le montant s’élève à 3 000 000 LL par mois, en les lavant et les réutilisant », souligne-t-il.

M. Nassar, dont l’association porte le prénom de sa femme Barbara, décédée des suites d’un cancer, indique également que les cancéreux font face à un nouveau problème depuis août dernier. « Le tarif des séances de chimiothérapie n’est pas unifié dans les hôpitaux et oscille entre 2 et 5 millions de livres libanaises par séance », a-t-il noté, dans un pays où le salaire minimum demeure fixé à 675 000 LL.

Un homme détruisant symboliquement un cercueil lors d’une mobilisation en guise de soutien aux patients cancéreux à Achrafieh, le 4 février 2022. Photo Layal Dagher

Les malades paient le prix

Interrogé par L’Orient-Le Jour au sujet des pénuries de médicaments contre le cancer, le président de l’ordre des médecins, Charaf Abou Charaf, explique que le retard dans la livraison des médicaments est « essentiellement dû au fait que la Banque du Liban tarde à octroyer son accord préalable pour l’importation de ces produits subventionnés, faute de fonds ». Il explique également que l’inégalité des tarifs des traitements de chimiothérapie dans les établissements hospitaliers résulte du fait que « la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) et les assurances tardent à régler les montants dus aux hôpitaux » qui finissent par faire payer aux malades la différence. Il regrette que « les malades en paient le prix ».

« Nous n’avons pas le luxe du temps »

Place Sassine, les manifestants ne cachent pas leur colère. « Nous n’avons pas le luxe du temps et nous refusons de mourir », scande Élise Hajjar, 43 ans, qui souffre d’un cancer des ovaires depuis six ans. Cette mère de deux enfants, qui enchaîne plusieurs boulots en raison de la détérioration des conditions de vie dans le pays, déplore que les pénuries de médicaments l’aient contrainte à interrompre son traitement à maintes reprises. « Alors que nous nous retrouvons obligés de recommencer de zéro après chaque interruption, les dirigeants se renvoient la responsabilité de cette crise », s’indigne-t-elle.

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Lara Maghariki, 46 ans, qui a perdu son père à cause du cancer et dont la mère souffre de cette maladie, estime que « ce ne sont pas les médicaments qui manquent dans ce pays, mais l’humanité et la conscience ». « Nous sommes venus manifester sous la pluie en guise de soutien aux malades cancéreux alors que plusieurs responsables politiques sont bien au chaud dans leurs palais et ne manquent de rien », lâche-t-elle. La protestataire espère que les prochaines législatives du 15 mai instaureront un changement dans le pays.

« Les patients souffrant de cancer ont droit à la vie », lance Maguy Hélou, banquière trentenaire qui a rejoint l’association en tant que volontaire depuis sa fondation. Et comme en écho à ces paroles, la petite Aya Mchek, âgée de onze ans et souffrant de leucémie, lance : « J’ai droit à la vie et à l’accès aux soins médicaux. » Elle s’est déplacée avec ses parents de Choueifate pour participer au sit-in. « Nous nous sommes endettés pour lui acheter un médicament qui coûte 7 millions de livres libanaises, mais aurions été incapables de le faire chaque mois », ajoute sa mère, qui remercie l’association de l’avoir aidée à assurer la suite du traitement.

Présente sur les lieux, Nathalie Jbeily, présidente de l’association I Battle Disease qui vient en aide aux patients souffrant de maladies chroniques du système digestif, affirme que ces derniers sont également confrontés à des pénuries de médicaments. « Un malade qui souffre n’a pas à manifester pour réclamer ses droits », s’écrie-t-elle.

La vie des patients cancéreux, tout comme celle de tout malade, demeure donc tributaire des fonds dont dispose un État en léthargie, qui poursuit sa descente aux enfers depuis plus de deux ans.

La sirène d’un corbillard retentit sur la place Sassine à Achrafieh en ce vendredi après-midi. Quatre hommes en retirent un cercueil sous une pluie battante, alors qu’un groupe de zaffé (danse traditionnelle pour les grandes occasions) fait son entrée, bloquant brièvement la circulation et suscitant l’étonnement des passants. Des dizaines de personnes vêtues de noir arrivent alors...

commentaires (2)

"… les assurances tardent à régler les montants dus aux hôpitaux …" - ‘Les’ assurances, ou ‘des’ assurances? Ne jamais, jamais, généraliser, les gens pourraient vous croire…

Gros Gnon

13 h 35, le 07 février 2022

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Commentaires (2)

  • "… les assurances tardent à régler les montants dus aux hôpitaux …" - ‘Les’ assurances, ou ‘des’ assurances? Ne jamais, jamais, généraliser, les gens pourraient vous croire…

    Gros Gnon

    13 h 35, le 07 février 2022

  • Ignobles politiciens!!! Les droits humains les plus basiques on ete assassines par le vol institutionalise par une classe politique inerte, vendue, sans ame ni foi.......

    Sabri

    04 h 09, le 07 février 2022

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