Critiques littéraires Anthologie

Primo Levi, témoin inlassable

Primo Levi, témoin inlassable

D.R.

Auschwitz, ville tranquille de Primo Levi, traduit de l’italien par Louis Bonalumi, René de Ceccatty, André Maugé et Martine Schruoffeneger, Albin Michel, 2022, 208 p.

Le nom de Primo Levi est à tout jamais lié à Auschwitz. En effet, les onze mois qu’il a passés dans ce camp de concentration nazi ont fait de lui un grand témoin d’une horreur unique dans l’histoire : l’extermination méthodique et scientifiquement planifiée de millions d’êtres humains. Chimiste juif italien né en 1919, il est arrêté en décembre 1943 alors qu’il vient de rejoindre la résistance italienne contre le fascisme. En février 1944, il est déporté à Auschwitz où, grâce à un concours de circonstances assez improbable, il réussit à survivre jusqu’à la libération du camp par l’Armée rouge en janvier 1945. Dans Si c’est un homme, son témoignage autobiographique rédigé peu après son retour en Italie, il décrit avec beaucoup de sobriété et de précision cet enfer que fut l’univers concentrationnaire nazi. Ce qui rend ce livre si bouleversant et cauchemardesque, c’est paradoxalement la quasi-absence d’indignation. « Un témoignage fait avec retenue, dira-t-il beaucoup plus tard dans un entretien, est plus efficace que s’il l’était avec indignation : l’indignation doit venir du lecteur, pas de l’auteur, car on n’est jamais certain que les sentiments du premier deviendront ceux du second. J’ai voulu fournir au lecteur la matière première de son indignation. »

Primo Levi aura une carrière de chimiste industriel ; il publiera plusieurs autres livres (des récits autobiographiques, des nouvelles, des romans, des essais) et sera reconnu comme un écrivain majeur du XXe siècle. Il se donne la mort en 1987.

Bien qu’il ait abordé des sujets nombreux et divers, Levi ne cessera de revenir aux camps nazis tout au long de son œuvre. C’est ce que montre Auschwitz, ville tranquille, une anthologie récemment parue, qui regroupe dix nouvelles encadrées par deux poèmes, et couvre près de trente ans. On y découvre que Levi a écrit sur Auschwitz de plusieurs façons. Ainsi, deux des nouvelles appartiennent plus ou moins au genre de la science-fiction et illustrent, sur un mode quelque peu fantastique, la volonté du Troisième Reich de transformer l’espèce humaine. « Papillon angélique » décrit les expériences d’un scientifique cherchant à provoquer une mutation de l’homo sapiens, tandis que « La versamine » raconte l’histoire d’un groupe de chimistes qui découvrent une substance ayant pour effet de renverser en plaisir la douleur physique.

Dans deux autres nouvelles, Levi relate des épisodes de sa détention à Auschwitz qui auraient facilement pu être inclus dans Si c’est un homme. Contrairement à la représentation commune, peu de victimes des camps de concentration ont été héroïques ou sublimes, la plupart, à cause de la souffrance, étant tombées dans un état d’abjection. C’est le cas de Vidal, un codétenu de l’auteur, qu’il nous décrit dans « Capaneo » : « Du haut de sa petite taille directement dans la bourbe, comme si cela avait été le sein de sa mère ; comme si, encore, la position debout n’était pas en soi naturelle pour lui, et présentait un danger, à la façon dont on marche sur un trampoline. La boue était son refuge, sa défense. C’était le petit bonhomme de boue : la couleur de la boue était sa couleur. Il le savait : dans le peu de lueur que les souffrances lui avaient laissée, il savait qu’il était grotesque. »

Une troisième catégorie de nouvelles relève des réflexions et des recherches que Levi a menées tout au long de sa vie pour comprendre comment la majorité des civils allemands avaient pu fermer les yeux sur le génocide alors en cours. Dans « Vanadium », l’auteur, vingt ans après Auschwitz, échange quelques lettres avec le responsable du laboratoire du camp où il a travaillé comme chimiste, mais sous un régime d’esclavage. Une telle rencontre, Levi l’avait ardemment espérée. « Non pour me venger, écrit-il… Seulement, pour mettre les choses au point, et pour dire : Alors ? » Cette rencontre épistolaire s’avère décevante, et ainsi jugera-t-il ce personnage : « Ni infâme ni héros… un exemplaire humain typiquement gris… »

Levi n’a jamais cessé de témoigner et de chercher à comprendre : c’est ce que cette anthologie montre d’une manière exemplaire. Oublier, ou déclarer qu’Auschwitz est incompréhensible, c’est risquer que quelque chose de semblable se reproduise. « C’est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau », a-t-il écrit dans son ultime livre, Les Naufragés et les rescapés.

Auschwitz, ville tranquille de Primo Levi, traduit de l’italien par Louis Bonalumi, René de Ceccatty, André Maugé et Martine Schruoffeneger, Albin Michel, 2022, 208 p.Le nom de Primo Levi est à tout jamais lié à Auschwitz. En effet, les onze mois qu’il a passés dans ce camp de concentration nazi ont fait de lui un grand témoin d’une horreur unique dans l’histoire :...

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