Critiques littéraires Bande dessinée

Rabaté, peintre du récit social

Rabaté, peintre du récit social

Sous les galets la plage de Pascal Rabaté, éditions Rue de Sèvres, 2021, 152 p.

1963. Station balnéaire. Un père, militaire de carrière, accompagne son fils en fin d’adolescence dans les allées d’une brocante. Il devise sur des objets issus des colonies qu’il connaît bien. Il marchande, vantant les bienfaits des économies sur un ton droit, satisfait et moralisateur. Il rentre à la maison, une villa, en portant à bout de bras un meuble de valeur. Il mentionne comme il se doit ses talents de marchandeur à son épouse. Tout le long de la scène, le fils ne dit rien. Lorsque toute sa famille prend, dès la scène suivante, la route de retour vers la ville, le laissant seul pour quelques semaines, il exulte : libre enfin.

Cette scène d’introduction résume à elle seule la situation d’Albert, personnage principal de Sous les galets la plage, le nouvel album de Pascal Rabaté. Vivant sous la pression d’une famille conservatrice à la morale étriquée et aux valeurs oppressantes, voilà que s’ouvre devant lui la perspective d’un été de liberté absolue, aux côtés de deux amis vivant la même situation.

Mais la joie est de courte durée : pris dans l’ivresse de cette liberté inespérée, mais animés par l’inconscience et l’inconsistance de la jeunesse, tous trois vont vite déchanter, piégés comme des benêts dans une affaire de mœurs au parfum de scandale. Comment réagissent-ils ? Chacun à sa manière. Toute l’histoire repose sur ces différences de tempéraments. C’est tout le talent de Pascal Rabaté que de camper des personnages tous différents et tous crédibles. Rabaté passe effectivement maître de la captation des attitudes naturelles, pleines de vie et de nuances.

Au-delà de cet art pour décrire des individualités, Pascal Rabaté propose, plus largement, un récit éminemment social. C’est l’histoire d’une prise de conscience, d’un retournement de ces jeunes de familles aisées face à un ordre établi, d’une remise en cause de ce qui est juste ou légitime. Les personnages vont goûter à une illégalité avec laquelle chacun entretiendra des rapports contrastés.

Si le grand public avait découvert Rabaté à travers les lavis de gris expressionnistes de sa magistrale adaptation du roman Ibicus d’Alexis Tolstoï, parue en quatre tomes à partir de 2005, il a depuis développé, d’album en album, un goût pour les récits sociaux, ancrés dans une réalité moins extravagante. Son trait noir, fragile, semble sans cesse en équilibre sur une corde tendue. Un équilibre qu’il semble devoir rechercher et retrouver à chaque case, sans jamais se laisser aller à l’application d’un système. Le plus particulier dans l’esthétique de ses planches est sans doute que, suite à ce trait fin, Rabaté applique une texture colorée peinte, pâteuse, pour sculpter la lumière. Une manière de jouer sur les atmosphères lumineuses qui n’est pas sans rappeler les gouaches de l’illustrateur Georges Beuville, pour qui Rabaté a une grande estime.

En proposant un récit qui passe sans cesse du privé au public, de l’individuel au social, Rabaté met une nouvelle fois son talent de narrateur au service d’un récit qui, sous des airs d’anecdote, porte une réflexion plus large.

Sous les galets la plage de Pascal Rabaté, éditions Rue de Sèvres, 2021, 152 p.1963. Station balnéaire. Un père, militaire de carrière, accompagne son fils en fin d’adolescence dans les allées d’une brocante. Il devise sur des objets issus des colonies qu’il connaît bien. Il marchande, vantant les bienfaits des économies sur un ton droit, satisfait et moralisateur. Il rentre à la...
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