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Monde - Entretien express

« En déstabilisant l’Ukraine, la Russie a déjà atteint son objectif »

Florent Parmentier, secrétaire général du Cevipof, enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

« En déstabilisant l’Ukraine, la Russie a déjà atteint son objectif »

Le président russe Vladimir Poutine à Moscou, le 19 janvier 2022. Sputnik/Pavel Bednyakov/Pool via Reuters

Alors que les tensions ne cessent de monter entre la Russie et les Occidentaux sur le dossier ukrainien depuis ces derniers mois, Moscou a assuré hier ne pas vouloir d’une guerre. Ayant déployé des dizaines de milliers de soldats et multiplié les manœuvres militaires à la frontière ukrainienne, le Kremlin demande la garantie de l’OTAN et de l’Union européenne de ne pas envisager d’intégrer Kiev, des exigences jugées inacceptables par les Occidentaux. Ces circonstances font craindre un nouvel affrontement entre les forces russes et ukrainiennes, à l’instar de la crise de 2014 ayant mené à l’annexion de la Crimée par Moscou. Si les discussions se multiplient entre les différents acteurs pour tenter de trouver un terrain d’entente, les divergences stratégiques au sein du camp occidental et entre Européens, concernant le mode d’action à adopter face à l’expansionnisme russe, contribuent également à assombrir les perspectives de règlement. Le secrétaire général du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC, Florent Parmentier, analyse pour L’Orient-Le Jour les enjeux de la question ukrainienne pour la Russie.

Pourquoi l’Ukraine est-elle un enjeu important pour la Russie ?

Fondamentalement, la Russie ne voit pas l’Ukraine comme un pays étranger, mais comme un élément essentiel de ce qu’elle appelle « le monde russe ». La géographie, l’histoire, les liens linguistiques, la religion majoritaire (russe-orthodoxe), beaucoup d’éléments font de l’Ukraine un pays à part pour Moscou. Les dirigeants russes font à présent l’analyse suivante : petit à petit, l’Ukraine tend à se détacher de la Russie, notamment en raison de la guerre qui a commencé en 2014. De son côté, Kiev souhaite bénéficier de garanties de sécurité à travers l’OTAN, d’autant qu’il a accepté de se séparer de son stock d’armes nucléaires au début des années 1990 pour la sécurité collective. Deux logiques se font donc face : d’un côté, la volonté d’un peuple de pouvoir assurer sa propre défense ; de l’autre, une Russie qui estime qu’une présence de l’OTAN en Ukraine est une ligne rouge, comme l’étaient les armements soviétiques à Cuba pour les États-Unis en 1962. À l’époque, le conflit nucléaire n’a été évité que de peu.

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Le cas ukrainien semble revêtir une dimension personnelle pour Vladimir Poutine. Dans quelle mesure est-il le seul maître à bord dans la gestion de ce dossier ?

Vladimir Poutine est à la tête de son pays depuis une vingtaine d’années, il connaît parfaitement la gestion des rapports de force. Il dispose également d’un ministre des Affaires étrangères expérimenté, Sergueï Lavrov, et d’une diplomatie efficace. Dans nos analyses, nous faisons donc l’hypothèse que toute la politique russe dépend de ses pensées. C’est oublier cependant le poids que peuvent revêtir les groupes d’influence et les acteurs locaux. « Il y a plusieurs tours au Kremlin », dit l’adage russe, autrement dit, le président russe est moins un superjoueur d’échecs qu’un arbitre entre des groupes d’intérêt différents. Il existe plusieurs services de renseignements qui peuvent être désireux de prendre des initiatives pour se valoriser. Il en est de même des acteurs de terrain. Ce qui est certain, c’est que le président russe a vu un avantage à tester le président américain et le chancelier allemand maintenant. C’est sans doute moins de l’aventurisme qu’une étude serrée des rapports de force.

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Le président russe peut-il sortir affaibli de ce bras de fer ?

Vladimir Poutine n’est pas un joueur invétéré : selon son calcul, les cours élevés de l’énergie et le chaos actuel favorisent ses desseins. Il a émis des propositions, comme le retrait de l’OTAN à l’Est, bien qu’il sache pertinemment qu’elles ne sont pas acceptables pour les États-Unis et leurs alliés. Le président russe pose un rapport de force depuis plusieurs mois pour être en mesure de négocier quelque chose. Le principe de toute négociation est de pouvoir permettre aux différentes parties de garder la face : il est donc probable qu’ils continuent de négocier suivant d’autres canaux pour trouver des pistes de coopération. On peut par exemple imaginer qu’ils réfléchissent à rendre effectives les négociations des accords de Minsk, qui prévoient la fédéralisation de l’Ukraine, même si elle est nettement rejetée par la population ukrainienne. Ayant réussi à déstabiliser l’Ukraine, la Russie a déjà atteint son objectif. Elle a contraint les États-Unis à se mettre autour de la table. Ce qui en sortira est encore incertain.

Alors que les tensions ne cessent de monter entre la Russie et les Occidentaux sur le dossier ukrainien depuis ces derniers mois, Moscou a assuré hier ne pas vouloir d’une guerre. Ayant déployé des dizaines de milliers de soldats et multiplié les manœuvres militaires à la frontière ukrainienne, le Kremlin demande la garantie de l’OTAN et de l’Union européenne de ne pas envisager...
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"Ayant réussi à déstabiliser l’Ukraine, la Russie a déjà atteint son objectif. Elle a contraint les États-Unis à se mettre autour de la table. Ce qui en sortira est encore incertain". Une interview où l'on passe de la pénombre à l'obscurité !

F. Oscar

09 h 11, le 29 janvier 2022

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Commentaires (1)

  • "Ayant réussi à déstabiliser l’Ukraine, la Russie a déjà atteint son objectif. Elle a contraint les États-Unis à se mettre autour de la table. Ce qui en sortira est encore incertain". Une interview où l'on passe de la pénombre à l'obscurité !

    F. Oscar

    09 h 11, le 29 janvier 2022

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