À l’échelle mondiale, la récente escalade à la frontière russo-ukrainienne a réactivé d’anciennes lignes de fracture héritées de la guerre froide. D’un côté, le camp occidental – OTAN, États-Unis et Europe en tête – s’est précipité au chevet de Kiev, qui entend défendre sa souveraineté face à la menace militaire russe. De l’autre, Moscou, qui avait déjà soutenu les sécessionnistes à l’est du pays et annexé la Crimée en 2014, a amassé ses troupes à la frontière tout en menant des opérations de déstabilisation à l’intérieur du pays. Mais pour le gouvernement israélien, la situation est surtout synonyme d’embarras, et appelle à la prudence.
L’État hébreu, où résident des centaines de milliers de ressortissants issus des communautés juives russe et ukrainienne, est l’un des rares pays à entretenir un lien privilégié avec l’Ukraine, mais aussi et surtout avec la Russie, devenue un partenaire-clé au cours des dernières années. Outre les liens historiques unissant les deux pays, Moscou est devenu indispensable sur le terrain syrien, où Israël mène des frappes régulières contre des cibles iraniennes et le Hezbollah avec l’accord tacite de l’allié russe.
Face à un conflit ultrapolarisé qui traîne en longueur, l’attitude israélienne a longtemps été de privilégier le dialogue en tentant de se poser en médiateur. En octobre dernier, le Premier ministre israélien Naftali Bennett avait par exemple suggéré à Vladimir Poutine l’organisation d’un sommet entre les deux pays, proposition qui avait été déclinée par le président russe.
Aujourd’hui encore, Tel-Aviv est resté jusqu’à présent discret, évitant de prendre ouvertement position. « C’est une sorte d’exercice d’équilibriste », fait remarquer Daniel Brumberg, professeur à l’Université de Georgetown, aux États-Unis. Cette réserve avait pourtant coûté cher à l’État hébreu par le passé. En avril 2014, l’administration Obama avait notamment durci le ton face à la « neutralité » israélienne suite à l’invasion russe de la Crimée, regrettant le manque de soutien à la politique américaine.
Mais la Russie de 2022 n’est plus celle d’il y a huit ans, et Naftali Bennett n’est pas Benjamin Netanyahu. Le nouveau Premier ministre israélien, à la tête d’une fragile coalition depuis juin dernier, n’a ni les atouts ni la confiance qu’affichait son prédécesseur en termes de politique étrangère et d’ancrage sur la scène intérieure. Aujourd’hui, « il serait déraisonnable pour l’administration Biden de provoquer un conflit ouvert avec son allié », estime Daniel Brumberg, mais il n’est « pas impossible que des pressions discrètes aient lieu en coulisses ». « Si une invasion militaire se concrétise, Israël sera contraint de s’éloigner de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une politique de neutralité… » poursuit ce dernier.
75 000 juifs d’Ukraine
Pour l’heure, l’exécutif israélien s’est contenté de mettre l’accent sur son désir de protection des communautés juives en cas d’agression russe. Dimanche, des représentants du gouvernement et d’organisations juives se sont réunis à Jérusalem afin d’étudier la possibilité d’un transfert en urgence en cas d’escalade des tensions. « L’hypothèse est la suivante : quand des incidents de la sorte ont lieu, les communautés juives comme les autres minorités deviennent vulnérables face aux nationalistes ukrainiens, qui tentent de les rendre responsables de la situation… » observe Daniel Brumberg.
Comme il l’avait fait par le passé pour les communautés juives d’Éthiopie, du Tadjikistan ou d’Abkhazie, l’État israélien pourrait organiser une vaste opération d’évacuation pour les quelque 75 000 Ukrainiens de confession juive éligibles à la citoyenneté, le droit israélien accordant la nationalité à toute personne capable de prouver une origine juive jusqu’à cinq générations en amont. L’immigration juive en provenance d’Ukraine s’est renforcée au cours des trois dernières décennies, mais les demandes n’ont pas connu de hausse depuis la reprise du conflit à la frontière il y a plusieurs mois.
L’accueil de plusieurs milliers de ressortissants ukrainiens marquerait un succès politique pour l’État hébreu, engagé dans une bataille démographique afin d’attirer sur son territoire les juifs du monde entier. Mais une telle décision, qui impliquerait que l’Ukraine ne soit plus en mesure d’assurer la protection d’une partie de sa population, pourrait aussi contribuer à froisser les dirigeants du pays, dont le président Volodymir Zelensky est lui-même juif. « Plus les autres pays se préparent sérieusement à l’option d’une invasion militaire, plus les dirigeants ukrainiens deviennent nerveux… » souligne Daniel Brumberg.
"… quand des incidents de la sorte ont lieu, les communautés juives comme les autres minorités deviennent vulnérables face aux nationalistes ukrainiens, qui tentent de les rendre responsables de la situation …" - Encore? C’est comme pour les 3’200 dernières années alors. On se demande pourquoi cet acharnement. Hein? On le sait? Mauvaise langue va!
21 h 24, le 28 janvier 2022